Alors qu’une deuxième vague de la pandémie du Covid-19 est en train de déferler sur nombre de pays européens et régionaux, dont la Tunisie, l’éventualité d’un retour à un état de confinement général semble quelque peu éloignée pour l’instant mais guère improbable.
Les gouvernements vont dans tous les cas de figure devoir naviguer à vue et imposer des restrictions variables temporellement et géographiquement pour endiguer les vagues de la pandémie et étaler la courbe de la contamination. Cela aura certes des impacts économiques mais aussi sociaux non négligeables à un moment où les acteurs publics et privés ont fort besoin d’une reprise économique soutenue.
Des Marchés de capitaux défiant la gravité
Si le troisième trimestre 2020 a été celui du déconfinement et d’une forte reprise économique un peu partout dans le monde, cet élan s’essoufflait déjà (dans les économies occidentales et leurs écosystèmes) quand de nouvelles restrictions de l’activité économique ont été récemment introduites.
Malgré les signaux d’essoufflement de la croissance et des indicateurs d’activité et de confiance en recul, les marchés de capitaux actions, mais surtout obligataires, continuent de faire preuve d’une santé presque insolente.
Certaines géographies (Etats-Unis) et secteurs ( Les valeurs de croissance comme les entreprises technologiques) ont récupéré beaucoup mieux que d’autres (valeurs cycliques, banques ..), ce qui a amené les analystes à parler d’une reprise en forme de K, mais d’une manière générale l’appétit élevé pour les actifs risqués, surtout sur les marchés du crédit obligataire, marque une contradiction en vue de la détérioration des indicateurs économiques et surtout des risques supplémentaires ambiants , tel le Brexit, l’incertitude autour des élections américaines et j’en passe.
« Les marchés de capitaux actions, mais surtout obligataires, continuent de faire preuve d’une santé presque insolente »
Au-delà de l’anticipation d’une reprise économique aux contours incertains, les investisseurs focalisent sur les actions monétaires ultra accommodantes des banques centrales qui ont été jusque-là décisives et convaincantes.
La baisse des taux d’intérêt à zéro ou presque, la provision de liquidités et surtout le rachat des dettes souveraines et obligataires (pouvant aller jusqu’en dessous du grade d’investissement dans certains cas) ont poussé l’épargne mondiale vers une chasse frénétique aux rendements risqués. Ceci a rehaussé le prix des actifs financiers, rétabli la confiance et l’appétit pour le risque et par conséquent a réajusté les variables consommation et investissement au profit de l’épargne.
Si les mécanismes de transmission ont parfaitement fonctionné pour la sphère financière, il faudra toujours transformer l’essai sur l’investissement productif et l’emploi. Pour cela l’apport des leviers fiscaux et budgétaires est primordial pour soutenir la demande et sauvegarder les outils productifs. Une politique monétaire ultra accommodante reste néanmoins une condition nécessaire, mais pas suffisante, à la lutte contre la crise.
Le dogme de l’inflation
Le contexte des interventions monétaires peut être très différent entre pays développés et pays émergents. A la suite de la crise financière de 2008, les économies occidentales sont entrées dans un cycle économique où le fléau à combattre est la déflation.
Les Banques centrales se sont alors donné l’objectif d’une inflation à la hausse et de répondre activement aux indicateurs de chômage afin de le rabaisser. Les Banques centrales sont restées dans la même logique pour répondre à l’actuelle crise de la Covid-19, baisser le loyer de l’argent, fournir des liquidités et diriger l’épargne vers les actifs risqués afin d’inciter l’investissement productif.
Une approche qui peut être contestée puisque la hausse des prix des actifs financiers (immobilier inclus) augmente les inégalités et ne se traduit pas nécessairement en une inflation des salaires. Elle a cependant donné certaines preuves puisqu’on a vu avant mars 2020 le chômage aux Etats- Unis baisser en dessous des 4%.
En Tunisie, la perception et la relation de l’inflation est tout autre. Pendant les dix dernières années, le pays a souffert d’un niveau d’inflation structurellement élevé. Les réponses successives de la Banque centrale pour augmenter le taux d’intérêt jusqu’à 7.75% en mars 2020 indique une lecture monétariste de cette inflation or beaucoup d’autres facteurs ont pu y contribuer : l’augmentation des coûts de production (sécurité par exemple) contestations sociales et pressions salariales, l’impact du secteur informel sur la rentabilité du secteur formel.
« En Tunisie, la perception et la relation de l’inflation est tout autre. Pendant les dix dernières années, le pays a souffert d’un niveau d’inflation structurellement élevé »
La stabilité du Dinar a toujours été un objectif clair de la Banque centrale. La hausse des taux a souvent été un outil répressif contre l’importation sauvage et la spéculation légale ou camouflée (via achats de matières premières libellées en devises par exemple) contre le dinar.
Là ou d’autres outils auraient pu être plus efficaces, une hausse des taux (où l’absence d’une nécessaire baisse conséquente) calmera les ardeurs des spéculateurs contre le dinar, mais elle risque surtout d’étouffer ménages et entreprises et nuire à la consommation, l’investissement et donc l’emploi.
Dans son dernier communiqué daté du 30 septembre et annonçant une baisse tardive et bien modeste de 50 bps, la Banque centrale cite le mot inflation 4 fois contre une fois la croissance et une fois l’investissement. Cela montre bien la préoccupation actuelle.
L’heure est pourtant aux actions exceptionnelles et décisives les conséquences potentielles de la crise à laquelle le pays fait face justifie largement des risques calculés d’inflation (qui a déjà enclenché un recul soutenu ).
Au-delà d’une baisse nominale plus conséquente des taux d’intérêt, il faudra aussi assurer les mécanismes de transmission dans les banques afin que le crédit coule dans l’économie. Il est nécessaire de sortir les banques de leur zone de confort et pousser les ressources bancaires et d’épargne vers des actifs plus productifs.