Il reste la question de la relance de l’économie qui devrait s’inscrire, à mon avis, dans le cadre d’un budget prévisionnel triennal, articulant d’une manière cohérente les budgets de 2021, 2022 et 2023, notamment au niveau du financement de l’impasse financière.
Concernant le budget de 2021 et en référence à l’enveloppe des 8.5 milliards consacrés à l’investissement public, il est proposé d’entreprendre des actions susceptibles de réanimer l’appareil productif et qui n’ont pas de fortes incidences sur les importations, nonobstant les autres priorités comme la revalorisation du secteur de la santé. Et ce en le débarrassant des dysfonctionnements qui entachent sa gestion et en élevant progressivement sa part dans le budget général de l’Etat à 12%, tel que préconisé par l’OMS.
On pourrait, par exemple, initier un plan de maintenance et de rénovation énergétique des bâtiments publics (principalement les établissements d’enseignement) à travers la commande publique, qui viserait en priorité les TPE et les PME. Il s’agit de travaux de restauration et d’isolation des bâtiments, ainsi que leur équipement en énergie solaire.
C’est un plan qui s’étalerait sur 2 à 3 ans et il concernerait plusieurs branches d’activité et toutes les régions du pays. Il permettrait de favoriser, entre autres, l’économie d’énergie et de diminuer les émissions de gaz à effet de serre.
Il est à souligner que les BTP, la branche la plus concernée par ce plan, bénéficient du plus grand multiplicateur de la demande finale adressée au système productif (1 dinar commandé à cette branche entraîne près de 1.8 dinar de production directe et indirecte, avec un impact sur les importations inférieur à 300 millimes).
Comme cette branche est intensive en travail (plus de 500 mille emplois en 2019 avec un capital par travailleur relativement faible, qui représente en moyenne sur 2015-2019 environ 50%, 20% et 9% du capital par tête respectivement du commerce, de l’industrie manufacturière et du secteur productif), elle est susceptible de soutenir la création d’emplois, notamment pour la main-d’œuvre précaire qui est durement affectée par la crise pandémique.
« On pourrait, par exemple, initier un plan de maintenance et de rénovation énergétique des bâtiments publics à travers la commande publique »
Un bouclier anti-faillite serait nécessaire. Il faut préciser que les pertes accumulées par les entreprises à cause de la chute du chiffre d’affaires et l’accumulation de coûts fixes, notamment ceux liés à la non utilisation complète ou partielle du capital productif (coût des locaux et bâtiments non utilisés, des usines et machines de production à l’arrêt, des avions au sol, des camions immobilisés, etc.), peuvent conduire à la faillite ou à la baisse drastique de l’investissement, afin de limiter les besoins de financement et éviter ainsi la faillite.
Malgré les facilités de trésorerie (PGE), celles-ci ne font que repousser le problème, d’autant plus que les perspectives en 2021 et 2022 ne sont pas forcément reluisantes. En effet, les entreprises en question vont devoir absorber les pertes passées et faire face à une dette bancaire et fiscale de plus en plus élevée, augmentant de ce fait les risques de dépôt de bilan. Des mesures préventives sont donc nécessaires.
Certains pays ont mis en place une mesure d’aide pour le coût du capital productif immobilisé ou faiblement utilisé, à la suite du choc d’offre négatif (tourisme, transport aérien et maritime, certaines entreprises des IME et des industries diverses, etc.).
Le calcul de l’aide d’urgence (qui n’est pas assimilée à un prêt) se fait entreprise par entreprise. Et ce sur la base de la dépréciation des immobilisations au bilan de l’entreprise, au prorata du choc sur l’activité, calculé à partir d’un seuil donné de la variation du chiffre d’affaires en 2020 (baisse d’au moins 50% par exemple).
Ce dispositif ne se substitue pas au PGE (qui doit être prolongé), indispensable à la trésorerie des entreprises en temps de crise, mais qui donne lieu à un remboursement futur, avec l’épineuse question du traitement de cette dette en sortie de crise.
Cette procédure mériterait d’être étudiée par le gouvernement et, le cas échéant, mise en œuvre rapidement, à travers un fonds dédié à ce bouclier anti-faillite.
Plaidoyer pour le long terme
Si la résilience et la relance de l’économie étaient sensibles, la croissance pour 2021 et 2022 serait plus forte, le déficit budgétaire moins important et les contraintes de financement interne moins effectives. Il reste que la fuite en avant à travers l’alourdissement de la dette extérieure fait courir au pays de graves difficultés.
Il est impératif de compter le plus possible sur les ressources propres de la nation, et d’accepter des sacrifices sur le pouvoir d’achat, qui soient équitablement répartis et étalés dans le temps.
Dans la plupart des cas, le cycle politique quinquennal fait que les décideurs sont dans une myopie générale. Si le court-termisme est un biais récurrent dans ce système politique, il est aggravé dans nos murs par une instabilité gouvernementale congénitale, et par un populisme dévastateur, comme si la sémantique allait changer les choses. Les questions avec un horizon plus lointain sont le plus souvent négligées.
C’est le cas, notamment de l’éducation, de l’enseignement supérieur, de la recherche scientifique, de la formation professionnelle dans les métiers du futur, des filières économiques d’avenir, de la santé, des transitions écologique, énergétique et numérique. Les sacrifier ne change strictement rien à court terme. La facture se paie douloureusement dix ou quinze ans plus tard.
Aussi, est-il essentiel d’évoluer vers une société qui a le sens du long terme, une société qui pense un peu moins à la consommation et davantage à l’investissement, avec les sacrifices en termes de pouvoir d’achat que cela suppose (le taux de consommation finale passe de 77.3% du PIB en 2000 à 92.9% en 2019).
« Il est impératif de compter le plus possible sur les ressources propres de la nation, et d’accepter des sacrifices sur le pouvoir d’achat »
Au-delà des mesures fiscales et d’incitation à l’adresse du secteur privé, l’Etat devrait donner l’exemple. De ce point de vue, il serait très utile de calculer deux déficits du budget : un déficit classique et un déficit excluant l’investissement public. Ce dernier déficit (surplus) devrait constituer l’un des indicateurs-clés de la politique économique à moyen et long terme du gouvernement (ce surplus passe de 4.1% du PIB sur 2000-2010 à 0.9% sur 2011-2019).
A cet égard et à moyen terme, le gouvernement devrait s’engager sur un surplus conséquent de cet indicateur, qui justifierait le financement du déficit classique du budget de l’Etat par le recours à l’emprunt (qui devient conditionnel).
Il n’y aurait pas de sortie de crise possible sans élever, à moyen et long terme, la croissance potentielle de l’économie et sans rétablir la cohérence entre celle-ci, d’une part ; et les propensions à exporter et à importer, les paramètres de l’endettement extérieur et la politique des revenus ou politique sociale, d’autre part.
Cela ne serait pas possible sans un saut qualitatif et quantitatif de l’investissement et du capital humain (les compétences), sans la promotion des exportations et la rationalisation des importations, sans compter davantage sur le financement intérieur de la dette publique, sans rendre compatible l’évolution du salaire moyen dans le secteur marchand avec les progrès de la productivité, et sans que la croissance de la masse salariale des fonctionnaires ne dépasse celle des ressources propres de l’Etat (ce qui est le cas depuis 2011 où la croissance moyenne des ressources propres est de 7.2% et celle de la masse des salaires de 11% sur 2011-2020 ; contre respectivement 8.6% et 8.7% sur 2000-2010).
Le gouvernement actuel a le pouvoir de le faire, mais aurait-il l’autorité de le faire accepter ?