La fâcheuse nouvelle était foudroyante pour les passionnés du livre et les amateurs de lecture. Jeunes et moins jeunes en étaient affligés. Car le doyen des bouquinistes tunisien a décidé de mettre la clé sous la porte. Désormais, le spectre de la fermeture définitive guette la bouquinerie populaire.
Étudiants à la recherche de leurs œuvres aux programmes, chercheurs fouillant dans les coins et recoins de la bouquinerie en quête d’un vieux livre pour étoffer leurs thèses. Et encore un lecteur chevronné qui cherche bec et ongles de quoi remplir les étagères de sa bibliothèque. Telles sont les scènes quotidiennes qui se déroulent dans la bouquinerie populaire de Faouzi Hedhili, située à la Rue d’Angleterre, à Tunis.
Ni la chaleur torride de l’été, ni le froid glacial de décembre n’empêchent les lecteurs de faire leur pèlerinage au temple du savoir. Où l’odeur des livres et manuscrits se mêlent au bruissement des pages feuilletées avec tendresse, délicatesse; tout en faisant attention à ne pas abîmer les livres vétustes. La petite ruelle qui mène à cette bouquinerie lui donne un aspect mystérieux. Surtout que ses deux côtés sont pleins de livres rangés sur des étagères. Dès l’entrée de cette ruelle, le visiteur ne peut pas passer son chemin sans s’arrêter et prêter attention aux livres entassés avant de succomber au charme d’un titre accrocheur.
Plus qu’une bouquinerie, c’est un pan inestimable de notre histoire à plus d’un titre. Puisqu’elle remonte à plus de 70 ans. Elle était auparavant la propriété d’un juif tunisien avant qu’il ne la cède au père de Faouzi, Bouraoui Hedhili. Ce dernier, durant toutes ces années, a pris soin de l’étoffer de plusieurs ouvrages et livres. Et ce, dans toutes les spécialités et en cinq langues. Plusieurs livres sont très rares et remontent au début du 20ème siècle.
Bien qu’elle soit une propriété privée, elle demeure incontestablement une partie indéniable du patrimoine culturel du Grand-Tunis. Et un morceau de mémoire pour tous ceux qui y sont passés, notamment les étudiants.
Mais voici que l’époque n’est plus la même. D’ailleurs, le nombre de bouquineries se réduit comme une peau de chagrin partout en Tunisie. Ainsi, cette menace qui guette le doyen des bouquinistes et sa bouquinerie pourrait signer l’arrêt de mort de toutes les bouquineries. Disons que Faouzi est le gardien de la dernière citadelle de la lecture et du savoir.
Car, la vulgarisation des livres électroniques (PDF, e-pub), le manque d’engouement à la lecture, la dégradation du pouvoir d’achat des Tunisiens ont fait le lit de la décrépitude de la bouquinerie. Puis c’est au tour de la pandémie Covid-19 d’asséner un coup quasi fatal à la bouquinerie. Petit à petit, la bouquinerie se dépeuple et les visites des pèlerins fidèles deviennent de plus en plus rares. Le résultat n’est pas enchanteur. Le doyen des bouquinistes se trouve dans l’incapacité d’honorer ses engagements envers la CNSS. De même que le versement des salaires de ses employés et aussi les factures d’électricité.
Alors, y-a-t-il un mécène généreux qui volerait au secours de la bouquinerie? Les entreprises privées, dans le cadre de la responsabilité sociale de l’entreprise (RSE), sont capables d’apporter une pierre à l’édifice du sauvetage de ce temple. Nos entreprises qui ne lésinent guère pour assister les établissements éducatifs, secourir les personnes à besoin spécifique, sponsoriser des événements culturels de grande envergure peuvent sauver ce pan d’histoire. Quant au ministère des Affaires culturelles, il devrait intervenir pour sauver ce joyau. Et ce, à travers le fonds Relance culturel; avant l’exécution de l’arrêt de mort de la bouquinerie.
D’ailleurs, les lecteurs chevronnés n’ont pas attendu l’intervention du secteur privé et celle du ministère des Affaires culturelles. En effet, ils ont lancé un appel à la mobilisation pour un achat massif de livres de la bouquinerie; un geste symbolique envers la bouquinerie. Mais la réalité est bien autre: le temple du savoir a bel et bien besoin d’un mécène généreux et d’une réforme structurelle.
À bon entendeur.