Enfin, l’annonce de l’épilogue du triste épisode d’El Kamour. Le énième en la matière. En espérant que cette fois-ci ce sera la bonne, car l’incertitude persiste et l’accord n’est jamais à l’abri d’éventuelles contestations.
C’est la loi du genre. La « négociation » avec des ovni n’aurait jamais dû exister, du moins dans sa configuration actuelle. Elle pouvait difficilement aboutir en l’absence d’un cadre plus conventionnel. Une poignée de révoltés autoproclamés coordination, aux intentions troubles, tient le haut du pavé. Elle prend en otage, au-delà de la région, l’ensemble du pays. Pour imposer une sorte de chantage peu compatible avec nos lois républicaines.
Comment qualifier ce simulacre de négociations, sinon qu’il fait penser à un diktat de nature à écorcher les valeurs républicaines et déstabiliser les institutions de l’État. Il a fallu toute l’intelligence, la patience et la détermination des représentants du gouvernement pour dénouer cette tragédie. Mais jusqu’à quand ?
Le gouvernement Mechichi ne pouvait faire autrement sans déclencher de véritables émeutes et embraser la région. Il a pris le train en marche et ne pouvait prendre le risque de le faire dérailler. Mais c’est loin d’être la pente naturelle s’il veut réhabiliter et renforcer l’autorité de l’État. Qui, il faut bien le dire, n’avait pas besoin d’ennemis pour se faire discréditer.
« Le gouvernement Mechichi ne pouvait faire autrement sans déclencher de véritables émeutes et embraser la région »
Les dirigeants et responsables politiques ont, dix années durant, réussi l’exploit de se faire détester, rejeter, bannir pour longtemps. Les promesses succédaient aux promesses sans qu’aucun de leurs engagements n’ait été tenu.
Dix ans après, le printemps de Tunis vire à l’automne et mène à un froid glacial de nature à enflammer le pays. La désillusion est totale. La misère et la pauvreté gagnent du terrain. L’insécurité s’installe, elle hante notre vie autant que la pandémie. La corruption, jadis décriée fait florès. Le chômage s’incruste dans la société, se répand comme une traînée de poudre. La saleté et l’insalubrité envahissent nos villes et nos campagnes. La fracture sociale prend des proportions effrayantes. L’économie informelle sans être clandestine est devenue la norme.
Le pays se vide de ses compétences et de son industrie qui part en lambeaux. On trônait à la tête du continent avant de nous retrouver réduits à lancer un appel au secours, de détresse à l’adresse de nos médecins qui ont fui le pays. Sans leur implication sur le terrain, nous ne pouvons éviter l’effondrement de notre fragile infrastructure sanitaire.
Destruction massive de valeurs et de richesses. Il se sert plus qu’il ne sert
Les frustrations s’accumulent, à force d’arrogance, de cynisme, de mensonges de dirigeants politiques qui ont fait main basse sur le pays. Tout un abîme les sépare du pays réel aux prises avec des difficultés qu’il ne pouvait imaginer au lendemain du 14 janvier 2011.
Le droit au travail, au logement, au transport, à la santé, à l’eau potable, et pour tout dire le droit à une vie décente se fissurent et se lézardent par la grâce du souffle révolutionnaire.
Les qualités de prestation des services publics sont une insulte à notre dignité, à l’effort et aux sacrifices consentis durant cinq décennies de développement économique et social. Cela fait dix ans que nous marchons à reculons.
Seuls les prélèvements obligatoires de l’État vont de l’avant et gonflent d’année en année au point de condamner à l’arrêt, initiative privée et investissement. L’État prélève et dépense près de 50% du PIB sans impulser une quelconque croissance. Il se découvre, à force d’inefficacité, un nouveau rôle de destruction massive de valeurs et de richesses. Il se sert plus qu’il ne sert. Tout autre était l’État à l’orée de l’in dépendance.
Il était à la fois le principal architecte et promoteur du développement régional. Il a fait émerger dans chacune des régions des pôles d’activités industrielles et agricoles qui devaient irradier et exercer un effet d’entraînement sur l’ensemble du territoire national. On y a vu sortir de terre d’imposants complexes et usines : cellulose à Kasserine, raffinerie du sucre à Béjà, pétrochimie et aciérie à Bizerte-Menzel Bouguiba, complexe chimique à Gabès, Gafsa, Sfax, groupement textile au Sahel, pêche et tourisme… et l’enseignement partout.
« Les frustrations s’accumulent, à force d’arrogance, de cynisme, de mensonges de dirigeants politiques qui ont fait main basse sur le pays »
Il y a plus de cinquante ans, on faisait œuvre de pionniers en matière d’aménagement du territoire. L’État allait à la rencontre des régions démunies, anticipait leurs besoins et amorçait la pompe de l’investissement.
Pour créer de vrais emplois et de vraies richesses. L’État était porteur d’une vision, d’un projet de société, d’un grand dessein et d’une ambition nationale. Il pouvait ainsi rallier l’adhésion de la population. Il n’a pas attendu la révolte des laissés-pour-compte, des jeunes désœuvrés pour déclarer la guerre à la misère et à la pauvreté ou au mal développement. L’Etat a, avec si peu de moyens, su construire un pont entre le centre et la périphérie, laissée pendant des siècles à la traîne. Il était en permanence à l’écoute des gens pour ne pas se laisser surprendre et pour éviter de courir derrière les problèmes qu’il sut dans une large mesure prévenir.
Les régions qui crient aujourd’hui leur colère et qui s’insurgent, étaient autrefois plus pauvres qu’elles ne le sont aujourd’hui, tout en étant plus sereines. Elles avaient la foi dans l’avenir. Elles avaient le sentiment d’exister et de contribuer à l’effort national de développement et d’émancipation.
Ce n’est plus hélas le cas. Sauf à revisiter notre histoire récente et à remonter le temps pour retrouver le fil perdu de notre solidarité nationale et de notre volonté de nous surpasser.