Coup de tonnerre à l’annonce de la Loi de finances rectificative. Les premières déflagrations ont retenti dans l’enceinte de la commission des finances de l’ARP. Paradoxalement, c’est moins l’ampleur du déficit abyssal qui a choqué les députés que le schéma de son financement laborieusement mis au point par le ministère de l’Économie, des Finances et de l’appui à l’investissement.
Le ministre, à peine installé dans ses quartiers, a prévenu en se faisant l’écho du Chef du gouvernement. Il a fait le choix de la transparence et a veillé en personne pendant tout ce temps à l’intégrité et à la cohérence des chiffres. On n’imaginait pas une telle débâcle financière.
L’ennui pour le gouvernement est que le temps de l’inventaire se confond avec celui de l’action. Il n’est pas le maître des horloges. Il se devait au nom de la continuité de l’État d’assumer les défaillances du budget 2020 qui brillait par son opacité. Mais assumer est une chose, y souscrire en est une autre.
Le gouvernement Mechichi affiche sa différence et s’inscrit en rupture des pratiques surannées. Non sans payer le prix des dérapages des dix dernières années. Il lève ainsi le voile sur les vrais comptes de l’État.
On avait, certes, conscience que des pans entiers des dépenses étaient débudgétisés et mis sur le compte d’entreprises et d’offices publics voire des entreprises privées qui lui servaient de paravent budgétaire. On pressentait aussi qu’une part importante de la dette publique était occultée, alors même qu’elle était contractée par ses propres entreprises avec sa propre caution. Trêve d’hypocrisie financière, de statistiques qui montrent tout mais qui cachent l’essentiel.
« L’ennui pour le gouvernement est que le temps de l’inventaire se confond avec celui de l’action. Il n’est pas le maître des horloges »
Ali Kooli, notre argentier national, en véritable orfèvre des finances publiques a brisé la loi du silence. La sentence est immédiate : le déficit budgétaire culmine à près de 14%, bien loin de la rengaine habituelle des 3-4%. La crise sanitaire et l’effet confinement n’expliquent pas tout. Le mal est endémique, souterrain, comme l’est l’économie souterraine. L’État péchait d’année en année par omission. Ce qui lui vaut le qualificatif peu flatteur de mauvais payeur qui a fini par ruiner entreprises publiques et fait fuir fournisseurs et sociétés privées. Que faire alors pour mettre fin à un tel désordre économique et à un tel gâchis financier ?
Arrêter l’hémorragie, principal mot d’ordre du Chef du gouvernement n’est pas non plus sans coût. Le devoir de vérité, de transparence et d’exemplarité a un prix.
D’autant plus élevé qu’en l’absence d’artifices, le gouvernement dispose de très peu de marges, de manœuvre pour boucler ses fins de mois. Il a beau racler ses fonds de tiroir, le compte n’y est pas, tant s’en faut.
Tout calcul fait, il reste à combler un immense trou de 10 milliards de dinars d’ici fin décembre. Un exercice de très haute voltige. Le gouvernement est victime de la dictature d’une arithmétique budgétaire qu’il n’a pas choisie mais qu’il subit.
Où trouver la manne qui lui fait défaut ? Sûrement pas en prélevant davantage d’impôts devenus, au fil des gouvernements, confiscatoires et contre productifs. Il ne pourra pas non plus solliciter les marchés financiers dont l’accueil est pour le moins réservé, sinon hostile. Au final, il se tourne, comme il est permis de le faire vers la Banque centrale dont seul le concours peut le tirer d’affaire.
« Le gouvernement dispose de très peu de marges, de manœuvre pour boucler ses fins de mois »
Les premières salves de protestation sont tirées par les députés qui fustigent le recours à l’endettement. Ils poussent en choeur des cris d’orfraie pour exprimer leur refus et leur indignation. Oubliant au passage qu’ils ont ratifié tous les crédits contractés par l’État.
Ce sont ces mêmes formations politiques, qui jouent aux vierges effarouchées, qui ont mis en coupe réglée les finances publiques, dont elles se sont grassement servies. Elles mènent aujourd’hui la fronde contre le gouvernement, qu’elles sont censées soutenir, jusqu’à l’obliger à reconsidérer sa copie et à revoir à la baisse l’endettement national, sans lui permettre de tailler dans les dépenses. Qu’elles avaient sciemment votées et défendues. Cet acte de bravoure n’en est pas un.
Le gouvernement était-il fondé dans sa démarche en sollicitant le concours, sur une vaste échelle, de la BCT, au regard des difficultés du moment ?
Le pays, il est vrai, est confronté à la plus grave crise qu’il ait jamais connue. Ailleurs dans le monde, et même pas loin de chez nous, les instituts d’émission ont injecté des liquidités au-delà de ce qui était imaginable en temps normal, pour éviter un effondrement économique et social. Solliciter un tel recours est loin d’être une hérésie, en l’absence d’autres issues possibles dans l’immédiat.
La BCT, si elle n’est pas sourde aux demandes gouvernementales, elle ne les entend pas ainsi. Elle refuse de jouer au pompier quand les pyromanes poursuivent leur oeuvre de démolition de l’économie nationale. Elle campe dans son rôle et s’interdit de mettre en péril la stabilité de la monnaie. Au motif qu’elle n’a pas mandat à actionner la planche à billets de peur d’attiser les feux de l’inflation. Elle fixe les limites au-delà desquelles elle ne s’aventurera pas même en situation d’exception.
Le message est clair. Le gouvernement doit aller chercher l’argent là où il se trouve, dans les méandres de l’évasion fiscale et là où il est dilapidé sur les lieux de production contraints à l’arrêt. Réaction, pour le moins tardive.
« Le gouvernement doit aller chercher l’argent là où il se trouve, dans les méandres de l’évasion fiscale »
La BCT aurait dû mettre en garde, depuis fort longtemps, contre les dérives qu’elle dénonce aujourd’hui. Qui mieux qu’elle pouvait déceler les trous de la raquette budgétaire de l’État ? Elle ne pouvait ignorer l’ampleur de son déficit et ce qu’il doit à ses entreprises à travers leurs comptes auprès des banques qu’elle contrôle et supervise.
Alors qui va payer pour solder l’inconsistance, l’incapacité, les fuites en avant des gouvernements qui se sont succédé ces dix dernières années ? Qui va payer pour que les 700 000 fonctionnaires continuent de siphonner 40% du budget de l’État, et qui qui va payer le service de la dette qui a fini dans nos assiettes et qui dessert aujourd’hui le pays et freine la croissance ? Qui va payer ?
Le contribuable forcément tout autant que les entreprises victimes expiatoires de la bureaucratie de l’État. Et en dernier ressort… la BCT, en mettant en avant ses propres et nécessaires gardes-fous.
Peut-être pas autant qu’on lui demande, mais juste ce qu’il faut pour éloigner ou conjurer le spectre de la banqueroute. Histoire de réaffirmer son attachement à ses sacro-saints principes. À cette nuance près qu’à force de s’appuyer sur les principes, on finit par y faire des trous. Un point d’inflation supplémentaire vaut bien 10 000 chômeurs en moins. C’est aussi cela le réalisme. À méditer.