Un projet d’initiation à l’éco-agriculture des parents en situation de précarité verra bientôt le jour. Il se tiendra sur une terre de huit hectares dans la localité de Makthar (Siliana), à 170 km au sud de Tunis. Son objectif est de leur garantir des revenus justes et stables. Tout en servant des repas sains et équilibrés à leurs enfants-élèves. Il est à mettre au crédit au crédit de « Wallah We Can ».
En effet, l’initiateur de ce projet n’est autre que l’association « Wallah We Can » de Lotfi Hamadi. Une ONG qui milite en faveur l’autonomisation énergétique et alimentaire de l’internat du collège de Makthar.
Ainsi, la première étape de ce projet pilote était d’autonomiser énergétiquement cet internat. Et ce, grâce à l’installation de 200 unités solaires (chauffes eau et panneaux photovoltaïques). Un défi relevé par l’association; en attendant la prochaine mise en conformité des installations électriques par le ministère de l’Education, partenaire de l’initiative.
D’ailleurs, Lotfi Hamadi rappelle que l’aventure à Makthar remonte au lendemain de la révolution. A l’époque des violences policières commises contre les manifestants à Siliana, en 2012. « Fraîchement revenu au pays que j’ai quitté très jeune, j’ai fait le déplacement à Siliana avec des amis. Pour être les témoins des événements policiers qui avaient tourmenté la scène à l’époque. Et nous avons pour l’occasion visité l’hôpital de la région auquel nous avons fait parvenir du matériel hospitalier en guise de soutien ».
A l’issue de cette visite, le jeune tunisien originaire de Kesra (une autre ville du gouvernorat de Siliana), a été sollicité par une école française qui cherchait à établir un jumelage avec un établissement scolaire de la région. Et c’est dans le cadre de sa quête de l’établissement adéquat qu’il découvre l’internat de Makthar. Il était choqué par l’humidité, le froid et l’inconfort dans lesquels vivaient les élèves.
« En maltraitant l’enfance, on crée une jeunesse frustrée »
« En découvrant l’état de vétusté des internats publics, j’ai très vite compris ce qui ne va pas dans ce pays. J’ai très vite compris qu’en maltraitant l’enfance, on a créé une jeunesse frustrée, désabusée, désorientée, incapable de s’intégrer dans son pays et encore moins de l’intégrer dans le monde ».
Il décide alors d’être un acteur du changement plutôt qu’un simple témoin d’une réalité pas trop reluisante et c’est ainsi que l’association Wallah We Can est née. Son principal objectif est de contribuer à la réhabilitation des internats et établir une certaine égalité des chances. L’association a depuis élargi son champ d’action à d’autres initiatives pour œuvrer en faveur de l’enfance et de la jeunesse en Tunisie.
L’idée de départ était de faire de l’internat de Makthar un établissement modèle qui produit sa propre énergie pour garantir l’eau chaude aux élèves. Un premier défi quasi-atteint. Mais Wallah We Can, consciente de la nécessité d’un cadre global d’apprentissage de qualité, décide de poursuive l’aventure. Avec l’objectif cette fois-ci d’améliorer l’alimentation des élèves; vu l’incidence directe des repas scolaires sur la santé et la scolarité des élèves. Elle tente ainsi, dans un premier temps, de transformer les terrains entourant l’internat en potager et jardin comestibles permacoles. Afin de produire des légumes de manière pérenne. Dans l’objectif de contribuer à l’épanouissement des élèves, de les sensibiliser à la culture de la terre et la protection de la nature. Tout en renforçant les liens entre l’internat et son environnement.
Les produits Kidchen
« Mais nous nous sommes finalement rendus compte que la capacité de production du potager n’était pas suffisante pour couvrir les besoins de l’internat. D’autant plus que les voisins venaient souvent s’en servir, en dégradant les plantations. Nous avons donc décidé de chercher une solution plus durable, plus productible et qui engage les parents des élèves. Et c’est ainsi qu’est venue l’idée de lancer l’initiative « Kidchen » de formation en éco-agriculture des parents en situation de précarité », souligne encore M. Hamadi.
Et de poursuivre: « Grâce à un partenariat local avec un habitant de la région qui nous louera, à un prix très symbolique, un terrain de 8 hectares à 30 km de la ville, à proximité d’un lac collinaire qui nous épargnera les problèmes d’accès à l’eau, nous allons enfin pouvoir lancer ce défi. Sur ce terrain, nos agronomes, diététiciens et partenaires des ministères de l’Education et de l’Agriculture et de l’Agence de la vulgarisation et de la formation agricoles vont bientôt former les parents qui décideront de nous rejoindre, au micro-maraîchage biologique intensif ».
L’objectif de l’ONG est en premier lieu de donner la chance à ces parents de devenir des micro-agriculteurs et de leur assurer des emplois stables; afin de les faire sortir de la précarité. En deuxième lieu, il s’agit d’approvisionner la cantine scolaire en fruits et légumes nécessaires pour garantir des repas sains et équilibrés aux enfants dont l’alimentation au sein de cette cantine se limite souvent aux pâtes et au pain ».
« La commercialisation, sur Tunis, de l’excédent de production sous l’étiquette « Kidchen » permettra aux consommateurs de faire des achats éco-responsables dont les revenus nous aideront à payer les salaires des parents engagés dans le cadre de ce projet leur garantissant ainsi une certaine autonomie financière ».
« L’absence d’une culture d’engagement et de travail, problème principal de la Tunisie »
Cependant, Lotfi Hamadi reconnait toutefois que le chemin parcouru par son association pour pouvoir mettre en marche un tel projet n’était pas sans difficultés. « Le problème majeur de la Tunisie n’est pas le manque d’argent ou de solutions. Mais c’est l’absence d’une culture d’engagement et de travail et la difficulté d’impliquer les gens dans la durée », constate-t-il amèrement.
« D’ailleurs, quand on voit tout l’argent dont le pays a bénéficié depuis 2011, sans que la situation ne s’y améliore, on comprend que le problème est bien plus profond que le simple fait de mobiliser des fonds. Pour que les choses bougent dans le bon sens, il faut que les gens comprennent que c’est seulement à travers le travail et l’engagement qu’on pourrait sortir de la précarité », enchaîne-t-il.
« Pour l’ONG, le défi était de pouvoir mobiliser des gens sur la durée. D’ailleurs, l’une des difficultés rencontrées avec l’expérience du potager était liée au manque d’implication du personnel de l’internat dans l’entretien des plantations et c’est aussi l’une des raisons qui nous a poussés à chercher des solutions plus durables en impliquant les parents. Mais encore faut-il que ces parents soient suffisamment impliqués pour mener l’expérience jusqu’au bout ».
M. Hamadi reconnait aussi que plusieurs bénévoles qui l’ont rejoint au départ ont à un certain moment renoncé à l’engagement moral qu’ils avaient envers l’association. « Nous sommes dans une sorte d’engagement « ingrat » dont les résultats ne sont pas immédiatement visibles et cela demande une forte persévérance de la part des porteurs du projet qui doivent être essentiellement animés par l’obligation de résultat. Et je pense que ce problème n’est pas spécifique à notre association, c’est en quelque sorte le problème de tout le pays ».
Un projet pilote qui pourrait être dupliqué partout…
Interrogé sur la possibilité de voir naître de similaires initiatives dans d’autres régions du pays, notre interlocuteur souligne: « A Wallah We Can, notre approche consiste à mettre en place des projets pilotes. A en tester toutes les difficultés, les échecs, les options et les solutions possibles. Pour enfin aboutir à des projets viables et pérennes qui pourraient être dupliqués partout. »
« Nous travaillons sur le projet de Makthar depuis plus de quatre ans et nous travaillerons encore dessus pour cinq années supplémentaires. Et ce, afin que ce projet tienne véritablement la route et soit capable de résoudre tous les défis auxquels il pourrait être confronté. Au terme de l’expérience, nous aurons mis en place un projet qui se duplique facilement, là où le besoin existe. Une fois nos objectifs atteints, nous allons faire le plaidoyer auprès de la société civile, des citoyens et des autorités pour les inciter à dupliquer des processus que nous avions déjà testé et qui ont donné de bons résultats. »
« Une autre Tunisie est possible si nous misons sur l’enfance en lui garantissant toutes les chances du succès, là où elle se trouve. Et c’est bien le pari de Wallah We Can », conclut le jeune activiste de la société civile.
Avec TAP