L’Egypte organise des élections législatives (les secondes depuis l’accession au pouvoir d’Al-Sissi en 2014). Elles s’étalent sur plusieurs semaines. On ne connaitra pas les résultats avant début décembre. Il n’empêche, il n’y a pas beaucoup de suspens. Tant ces élections sont acquises aux partisans et alliés du président Abdel Fattah al-Sissi. Ainsi, selon une nouvelle loi électorale, l’attribution de la moitié des 568 sièges en jeu se fera à des listes présélectionnées.
En Egypte, l’actuelle chambre basse du Parlement, élue en 2015, est déjà largement dominée par la coalition gouvernementale. Portée par le parti Mostakbal Watan, elle devrait sortir renforcée par ce scrutin législatif.
Mais derrière cette façade parlementaire, c’est le pouvoir du président Al-Sissi qui risque d’être conforté. Et ce, avec bienveillance des Occidentaux, l’Arabie saoudite et Israël.
Car, rappelons que le mouvement de la Place Tahrir né en janvier 2011 avait été confisqué par les Frères musulmans. Lesquels remportèrent malgré tout les élections législatives et présidentielle de 2012. Avant d’être étouffé par le coup d’État militaire de juillet 2013.
Alors, arrivé au pouvoir à la suite du coup d’État contre le président démocratiquement élu Mohammed Morsi, issu de l’organisation islamiste des Frères musulmans, l’ancien général Al-Sissi gouverne l’Égypte d’une main de fer. En réprimant sévèrement l’opposition politique de toute nature: islamistes ou libéraux; politiques ou journalistes; militants associatifs…
Ainsi, à l’instar de l’élection présidentielle, les élections législatives se caractérisent par une compétition biaisée. Non seulement par les limites à la liberté d’expression en vigueur dans ce régime autoritaire. Mais aussi par l’absence de réel pluralisme et débat politique.
« Al-Sissi gouverne l’Égypte d’une main de fer, réprimant sévèrement l’opposition politique de toute nature »
Si la révolution de 2011 avait suscité des espoirs de liberté chez les Égyptiens. Près de dix ans plus tard, le régime repose sur un pouvoir autoritaire et centralisé autour de la figure du Raïs. Avec une opposition politique largement muselée. Objet d’un culte de la personnalité, le président Abdel Fattah al-Sissi a beau jeu de surfer sur une sorte d’hyper-nationalisme; sur fond de lutte contre le terrorisme islamiste. La liberté d’expression, le pluralisme politique et donc l’idée même d’opposition ont été érigés en fiction.
D’ailleurs, récemment, trois membres exécutifs d’une ONG phare des droits de l’Homme – l’« Initiative égyptienne pour les droits personnels » (EIPR) – ont été arrêtés. Et ce, après une rencontre avec des diplomates au Caire. L’ONG s’est fait connaitre pour son action de plaidoyer en faveur des droits de l’Homme. Y compris à travers la publication d’enquêtes sur les violations commises par les autorités.
Cet autoritarisme est justifié par un discours officiel focalisé sur la menace politique et sécuritaire. Laquelle est incarnée par les Frères musulmans et les djihadistes qui sévissent dans le Sinaï et ailleurs dans le pays. Pourtant, non seulement le régime de répression est généralisé et va bien au-delà de la mouvance islamiste; mais – derrière la stabilité apparente – cette politique répressive échoue à assurer la sécurité et la relance économique du pays.
« Abdel Fattah al-Sissi a beau jeu de surfer sur une sorte d’hyper-nationalisme, sur fond de lutte contre le terrorisme islamiste »
Sur le plan économique, non seulement le programme de réformes lancé par le président Al-Sissi a nourri une forte inflation. Mais les déséquilibres structurels qui ont contribué au soulèvement populaire de 2011 demeurent prégnants: dépendance alimentaire et financière; pauvreté croissante… Le libéralisme économique et l’intégration de l’économie égyptienne dans l’économie mondiale ne profitent qu’à un petit nombre. Bien que le pays connaisse un véritable essor économique. De même, les inégalités sociales s’accentuent et la pauvreté explose sous le poids de l’accroissement démographique et des conséquences de la pandémie de Covid-19.
Assise sur quatre piliers sensibles aux aléas mondiaux – les rentes du canal de Suez, les transferts d’argent des émigrés, le tourisme et la rente stratégique (les États-Unis assurant un « soutien civil et militaire » de près de 2 milliards par an) –, l’économie égyptienne est fragile et dépendante. Grand pays agricole de la région grâce aux terres fertiles de la vallée du Nil; paradoxalement, l’Égypte ne jouit toujours pas de l’indépendance alimentaire et agricole nécessaire pour nourrir sa population.
De la Nahda (mouvement de « Renaissance » arabe de la fin du XIXe siècle) à la vague de soulèvements populaires de 2011, en passant par le panarabisme qui a marqué le milieu du XXe siècle, les Égyptiens ont largement contribué à façonner le visage politique et culturel du monde arabe moderne. Si aujourd’hui, la situation du pays illustre la part d’échec de la séquence née en 2011, il n’y a pas de fatalité: l’Egypte d’aujourd’hui ne condamne pas l’Egypte de demain.