Il y a un avant et un après-Covid. On sait que le monde qui vient consacrera le règne de l’intelligence artificielle (I.A.) Avis donc de tempête pour les pays qui décrochent d’avoir raté le tournant technologique.
Au rythme actuel de l’accélération des mutations économiques, ils finiront par ne plus apparaître sur les écrans radars du monde qui arrive. Bref, ils sortiront de l’Histoire sans laisser la moindre empreinte. La menace ne vaut pas que pour les autres. Les signes de déclin économique et de déchéance morale se multiplient chez nous au point que cela nous fait craindre le pire.
Le pays va très mal. Il vit sous perfusion financière internationale sans que cela ait redressé, si peu que ce soit, la courbe d’investissement pas plus que celle de satisfaction collective. Exit la classe moyenne, épine dorsale de la nation et principale force de régulation économique et de stabilité sociale. Les pauvres sont devenus plus pauvres. Quant aux damnés de la terre, ils ne pouvaient imaginer, dix ans après la révolution, qu’ils allaient vivre un tel calvaire.
Notre décrochage ne date pas d’aujourd’hui. Il est inscrit dans les statistiques du chômage qui explose, des exportations industrielles qui battent de l’aile, de l’investissement qui s’effondre, de la productivité qui poursuit sa chute inexorable, de la fuite des cerveaux qui prend des proportions alarmantes. Le pays n’est plus immunisé contre la misère, la pauvreté, les maladies infectieuses, l’analphabétisme, l’exclusion et la marginalisation. Plus de 30% de la population vit sous le seuil de pauvreté sans que les autres aient de vraies raisons d’espérer.
« Le pays n’est plus immunisé contre la misère, la pauvreté, les maladies infectieuses, l’analphabétisme, l’exclusion et la marginalisation »
Chaque nouveau gouvernement apporte son lot de promesses et d’espoir vite déçus. Et pour cause ! Le système politique conçu, mis en place par ceux qui ont confisqué et usurpé la révolution démocratique, porte en lui les germes de l’échec. Il n’avait pas vocation de fermer la parenthèse post-révolution, ravivée à chaque fois par les déclarations enflammées et populistes du Chef de l’Etat qui s’imagine encore en campagne présidentielle. Résultat des courses : le pays, comme au lendemain du 14 janvier 2011, est hors contrôle.
On ne s’étonne plus alors que dix ans après, les insurgés du Kamour osent l’impensable dans une démocratie : fermer le robinet des installations pétrolières et bloquer la production défiant ainsi l’autorité du pouvoir central qui a pourtant à cœur d’amorcer la pompe de l’investissement dans la région et de réparer les legs du passé.
Discuter, associer, impliquer la jeunesse, la société civile et les forces vives de la nation pour s’inventer un avenir meilleur … Oui et mille fois oui. Sauf que dans l’intérêt de tous, le gouvernement ne doit pas négocier sous la menace. Il réduit, ce faisant, sa capacité de négociation et érode son capital crédit national en acceptant de « négocier » avant que ne soit levé le siège et que ne reprenne la production.
On n’a aucune raison de douter de la sincérité du gouvernement qui entend faire la démonstration qu’il y a un cœur qui bat pour les jeunes sans emploi et les régions dépourvues d’infrastructure économique et sociale des plus élémentaires. Il doit le prouver sur le terrain avant que l’initiative ne lui échappe. Ce dont le pays a besoin en ces temps difficiles et incertains, c’est certes d’un gouvernement juste mais sûr, résolu et déterminé, un gouvernement qui soit l’incarnation d’un Etat qui protège autant qu’il sanctionne abus et atteintes aux lois républicaines. Il ne devrait pas y exister de zones de non-droit sans courir le risque de voir s’installer l’anarchie et le chaos.
« Discuter, associer, impliquer la jeunesse, la société civile et les forces vives de la nation pour s’inventer un avenir meilleur … Oui et mille fois oui »
Y aurait-il un avant et un après-Kamour avec les conséquences que l’on observe ? Hier, on fermait la vanne de conduite pétrolière. Aussitôt après, on bloque de force et de manière illégale l’accès à la zone industrielle de Bizerte, cœur économique battant de la région et du pays. Que nous réservent les contestataires des autres régions que plus rien ne semble retenir ?
On ne joue pas avec le feu sans prendre le risque de déclencher un immense incendie qui ravagerait tout le pays. Le gouvernement a mieux à faire que de s’épuiser à éteindre les foyers d’incendie à répétition. Il ne doit pas tomber dans ce piège. Il doit assumer le rôle et les fonctions qui sont les siens. Ceux d’un Etat stratège qui anticipe, protège, impulse, investit quand il le doit, légifère, conduit les politiques publiques et les choix sectoriels. A charge pour lui de remettre en ordre de marche un pays qui a perdu le sens du travail et de la mesure. Il ne résorbera pas autrement la fracture régionale et sociale.
Le gouvernement a besoin d’écouter. Et il le fait. Mais il faut en même temps que sa voix se fasse entendre quand elle est porteuse d’espoir. C’est-à-dire d’un projet de développement qui ne laisse personne sur le bord de la route.
Au slogan mystificateur « le peuple veut », devenu un véritable cri de ralliement politique, le gouvernement doit opposer un discours vrai, juste et courageux. Il doit mettre en avant sa détermination de réformer, de redresser l’économie et de replacer le pays sur l’échiquier des émergents. Seule manière pour figurer de nouveau dans le monde qui arrive.
Le peuple veut ? Il y a comme un puissant relent populiste qui n’est plus de saison. Il est plus indiqué de se demander ce que doit faire le peuple pour remonter la pente et sauver le pays du déclin, d’une probable implosion, déchirure et éclatement.
On mesure déjà les méfaits d’un tel slogan : une effroyable montée de régionalisme, de tribalisme et de corporatisme qui sonne le glas de la cohésion et de la solidarité nationales.
Il est temps que le Président de la République, qui s’est fait le chantre de ce slogan et le parangon d’une démocratie participative mettant en danger l’unité du pays et son indépendance, sorte de son mutisme et retrouve le sens des réalités. Il lui incombe de mettre fin à ce désordre qui détruit sans rien créer. Et qui tétanise l’action gouvernementale.
Sinon qui le ferait ?