Face à un contexte mondial inédit, la Tunisie se retrouve aujourd’hui devant un défi qu’elle devrait relever. Ce défi étant d’assurer le relèvement économique et la création de la richesse. A cet effet, des réformes économiques doivent être instaurées afin de renouer avec la croissance et sortir de cette crise économique et sociale à peu de frais.
Déjà fragilisées depuis 2011, nos PME tunisiennes ont beaucoup pâti de la survenue de la crise sanitaire et de l’impact du confinement décidé lors de la première vague, en Tunisie et au sein de ses principaux partenaires commerciaux, à savoir la France et l’Italie.
Aujourd’hui, plus de 5 000 entreprises rencontrent des difficultés que ce soit endogènes pour manque de liquidité permettant d’assurer le financement de leurs besoins d’exploitation, ou exogènes pour des difficultés d’écoulement de leurs produits et de recouvrement de leurs créances.
Compte tenu des contraintes qui pèsent sur le budget de l’Etat, le financement de la relance économique en général, et des PME en particulier, nécessite le déploiement de ressources et d’efforts conséquents.
Sur le plan macroéconomique, l’Etat est appelé à entreprendre un assainissement de fond en comble au niveau des entreprises publiques. Principalement auprès de celles qui opèrent dans des secteurs stratégiques. Comme le phosphate et le pétrole. Ces entreprises qui devraient normalement être créatrices de richesse pour notre économie, grâce à leurs recettes en devises et à leur contribution au maintien de l’employabilité de leur personnel, constituent aujourd’hui un énorme fardeau pour l’Etat et pour les finances publiques.
Un coup de pouce pour les entreprises
Plus de souplesse et de célérité dans le traitement des dossiers des crédits dans le cadre du Mécanisme de garantie des crédits accordés par les banques aux entreprises sinistrées par la pandémie de la Covid-19, sont aussi fortement recommandées.
En effet, ce mécanisme mis en place conjointement entre le Ministère des Finances et la BCT, pour 500 millions DT portés à 1,5 milliard de dinars par la suite, représente certes un coup de pouce pour les entreprises, mais le nombre de dossiers traités jusqu’à ce jour reste faible par rapport aux objectifs fixés et surtout compte tenu de l’importance du facteur temps dans cette période de crise.
La Caisse des Dépôts et Consignations a joué depuis sa création un rôle indéniable dans la promotion de l’investissement et le développement du tissu industriel tunisien. Durant cette crise sanitaire, elle a pris sa part de responsabilité en mettant en place cinq véhicules d’investissement (ligne santé, fonds relais, fonds impact, fonds Aspire et fonds Empower) pour la relance des entreprises.
Ces mécanismes qui devraient drainer plus de 700 millions DT ne sont pas, jusqu’à ce jour, tous opérationnels, puisque l’Etat a limité la contribution de la CDC dans ces mécanismes à 40%, dans l’espoir de lever le reliquat auprès d’autres bailleurs de fonds, nationaux et internationaux.
D’autant plus que la décision a été prise de confier la gestion de la majorité de ces véhicules à des sociétés de gestion qui obéissent à certains critères difficilement satisfaites par les acteurs tunisiens.
A ce niveau, je suis persuadé que si l’opportunité de la gestion de ces véhicules est accordée aux sociétés de gestion tunisiennes, plus d’efficience et de rapidité seront déployés. Et ce en raison de la proximité et de la connaissance des acteurs tunisiens du marché local.
De ce fait, certains mécanismes décidés peuvent ne pas voir le jour et l’urgence d’agir vite et d’une manière efficace est plus que nécessaire aujourd’hui pour sauver ce qui peut l’être.
C’est pour cette raison que je reste convaincu que la relance économique doit reposer sur le développement de l’industrie du capital investissement dans notre pays. Si l’Etat peut à travers la CDC allouer une enveloppe de 280 millions DT pour les investir auprès des PME tunisiennes fragilisées par cette conjoncture internationale à travers le secteur du capital investissement, autant le faire incessamment.
Conditionner l’allocation de ces fonds par la souscription intégrale des 700 millions DT par des bailleurs de fonds privés pourrait amener le déclin de ces mécanismes décidés et avorter toute tentative de sauvetage de nos PME.
Personnellement, j’ai toujours plaidé pour que les actions à mener pour sauver nos entreprises se passent à travers les fonds d’investissement déjà opérationnels ou à créer par des professionnels du métier, et ce, pour différentes raisons.
D’abord, parce que l’intervention doit se faire rapidement, sans attendre que l’entreprise mette la clé sous la porte pour décider d’agir.
Ensuite, parce que l’expérience acquise par les capital-investisseurs sur le terrain et auprès des sociétés ne doit pas être marginalisée, mais au contraire mise en valeur et exploitée pour agir d’une manière efficace et profitable pour tous.
Enfin, parce que l’industrie du capital investissement n’a cessé de contribuer au développement de notre économie. Chiffres à l’appui, environ 500 millions DT ont été investis en 2019 par les acteurs du capital investissement, soit le double par rapport à 2014, ce qui a permis le financement de plus de 150 opérations d’investissement dont 78% alloués à des opérations de capital développement, et la création de plus de 4 700 postes d’emploi.
L’investissement dans la restructuration de nos PME
Sur le plan pratique, cela pourrait être réalisé d’une part à travers les FCPR existants et dont la CDC est déjà souscripteur, en relevant la part de sa participation dans leurs actifs souscrits, actuellement plafonnée à 20%, à 40%.
D’autre part, l’Etat peut décider la création d’un fonds des fonds géré par la CDC et dont l’actif sera réparti entre les sociétés de gestion tunisiennes moyennant la création des fonds d’investissement (FCPR) de taille moyenne de 10 MDT. La vocation de ces FCPR devrait être orientée vers le financement exclusif du besoin en fonds de roulement de nos entreprises.
Cette mesure permettra une répartition équitable des fonds disponibles et une intervention à grande échelle auprès des PME, qui bénéficieront d’un financement immédiat de leur exploitation, leur permettant d’assurer la continuité de leur activité.
En effet, il faut savoir qu’actuellement, le seul souci de nos PME étant d’assurer la continuité de leur exploitation, le plus souvent grâce à des montants qui peuvent être dérisoires devant l’impact négatif qui peut être engendré par sa faillite, notamment en termes de pertes d’emploi, de ressources fiscales pour l’Etat, etc.
Plusieurs études ont démontré que la perte de 15 000 emplois est systématiquement accompagnée par une perte de 1% de croissance. Par ces temps de crise, ce qui importe le plus c’est l’investissement dans la restructuration de nos PME. Et ce afin de relancer leur croissance et assurer leur survie. Ainsi, des emplois peuvent être sauvés et d’autres peuvent être créés en préservant nos entreprises.
L’Etat est bien conscient de l’importance de la restructuration de nos PME afin de les préserver. C’est ainsi que la Loi relative à l’amélioration du climat de l’investissement et la Loi de Finances 2020 sont venues intégrer les opérations de restructuration dans le catalogue d’investissement spécifiant les entreprises qui ouvrent droit à l’avantage fiscal pour leurs souscripteurs, moyennant certaines conditions.
Cependant, au niveau des Articles 21 et 25 du Projet de la Loi de Finances 2021, et pour assurer un maximum de recettes fiscales, l’Etat décide d’augmenter le taux du minimum d’impôt imposé sur les institutions financières, principales souscripteurs et pourvoyeurs de fonds pour le secteur du capital investissement en Tunisie, de 20% à 30%. Concrètement, une institution financière (banque, assurance, etc.) est imposable aujourd’hui à raison de 35% de ses bénéfices avant impôt.
Pour l’inciter à contribuer au financement de l’économie et de l’investissement, le législateur a accordé un avantage fiscal à toute institution financière qui alloue tout ou une partie de ses bénéfices imposables à la souscription dans des SICAR ou FCPR, à condition que ces fonds souscrits soient investis dans certains projets figurant dans un catalogue d’investissement prédéfini, notamment dans les entreprises installées dans des zones de développement régional et/ou ayant une activité agricole et/ou à caractère innovant. Ces souscriptions donnaient droit à un dégrèvement de 100% du montant souscrit de l’assiette imposable, sans ou considérant un minimum d’impôt de 20%, selon le cas.
Suite à la révision à la hausse du minimum d’impôt de 20% à 30% et son application à tout type d’investissement, les institutions financières ont aujourd’hui le choix soit de payer leur impôt à 35%, soit d’investir dans les SICAR et FCPR et payer 30% d’impôt sur les montants souscrits. Au final, leur gain d’impôt n’est plus de 15% mais seulement de 5%. Cette mesure est très contraignante et je dirais même dangereuse sur l’avenir de l’industrie du capital investissement en Tunisie et particulièrement sur notre tissu industriel.
L‘Etat doit plus que jamais jouer un rôle de premier plan dans la promotion de l’investissement dans le cadre d’un partenariat public-privé et encourager davantage la contribution du secteur privé dans la restructuration et l’assainissement de nos entreprises pour relever les capacités de l’économie nationale.
Dans son projet de LF 2021, l’Etat a également relevé le plafond des montants qui peuvent être souscrits dans les comptes d’épargne en actions de 50 000 DT à 100 000 DT. Ceci permettra donc une déduction de l’impôt sur le revenu au titre de l’épargne en CEA plus importante. Pour cette mesure, je suggère à ce que le surplus du montant de la déduction (de 50 000 DT) soit alloué pour la souscription aux FCPR.
Pour une politique de réconciliation économique et financière
L’Etat pourrait d’un autre côté drainer plus de recettes fiscales sans pour autant nuire à l’investissement. Parmi les mesures que j’ai auparavant citées figure la lutte contre le marché parallèle à travers une politique de réconciliation économique et financière qui encourage tout citoyen à déclarer ses revenus et avoirs non divulgués auparavant, quelle que soit leur origine. La mise en place d’une amnistie accordée à ces agents aura pour effet de renflouer les caisses de l’Etat et la formalisation du secteur informel.
Les organismes et mécanismes mis en place doivent également être consolidés. A titre d’exemple, je cite la ligne de dotation de soutien à la restructuration financière des PME tunisiennes, instaurée par l’article 14 de la LF 2018. Cette ligne dotée de 400 MDT pour la restructuration financière des entreprises prendra fin en décembre 2020. Elle doit être reconduite et renforcée par plus de fonds pour soutenir la résilience de nos PME.
La BFPME devrait également se doter des moyens financiers nécessaires à l’exercice de l’objectif de sa création par l’Etat tunisien, qu’est l’accompagnement des promoteurs et la facilitation de l’accès au financement pour les PME.
A travers ses différents organismes, notamment l’APII, l’APIA, TIA, BMN, etc., l’Etat devrait accélérer le déblocage de toutes les primes d’investissement accordées aux PME tunisiennes, leur permettant de limiter les tensions de leur trésorerie.
Le processus de digitalisation des services offerts par l’Etat (dépôt, traitement, validation, décision, etc.) devrait aussi être accéléré et généralisé à tous ses organismes, et ce, afin de garantir une rapidité et efficience dans le traitement des dossiers déposés.
Dans la même lignée, le Ministère de l’Industrie et des PME devrait veiller à la publication rapide des textes d’application de la Loi relative au Crowdfunding pour permettre son activation.
D’autres mesures pourraient également être prises pour l’amélioration effective du climat des investissements en Tunisie, dont plusieurs ont été proposées par l’Association Tunisienne des Investisseurs en Capital (ATIC).
Ces mesures portent principalement sur la révision de la répartition géographique décidée au titre de la fixation des zones de développement régional pour intégrer plus de délégations, élargir le champ d’intervention des fonds d’investissement en rendant éligibles aux avantages fiscaux les sociétés exportatrices et celles qui opèrent dans le secteur de la santé, accorder la possibilité aux fonds d’investissement d’investir dans les sociétés agricoles détenant dans leurs actifs des terrains agricoles, en limitant l’entrée dans le capital de la société uniquement à des fonds d’investissement de droit tunisien et dont l’actif est souscrit à 100% par des Tunisiens et géré par une société de gestion tunisienne, accorder plus de souplesse pour les interventions effectuées sous forme d’obligations convertibles en actions ou en compte courant associé en relevant le plafond d’intervention fixé actuellement à 30% de l’actif géré, assouplir les modalités d’intervention du Fonds National de Garantie afin d’assurer une meilleure prise en charge des garanties pour les acteurs du marché, etc.
Enfin, l’Etat est appelé aujourd’hui et plus que jamais à encourager le développement du partenariat public-privé et de mettre tout en oeuvre pour inciter le secteur privé à contribuer pour rendre notre économie plus résiliente et assurer sa relance.
L’instauration de réformes tous azimuts dans le seul but d’augmenter les recettes fiscales, au détriment de l’investissement et de la création de richesses ne peut qu’aggraver la situation.
L’Etat devrait au contraire faire participer le secteur privé dans cette restructuration et l’inciter davantage à déployer ses ressources financières vers l’investissement et la création de valeur, notamment à travers le renforcement du rôle du secteur du capital investissement en Tunisie. Et ce, compte tenu de l’expérience vécue par ses opérateurs auprès des PME tunisiennes.
Un processus de cotation simplifié
Par ailleurs, et malgré l’avènement de la crise du coronavirus et la conjoncture économique nationale et internationale, l’espoir est toujours de mise dans notre économie.
Selon le bulletin de conjoncture publié par l’APII, en septembre 2020, les investissements déclarés au titre des neuf premiers mois de 2020 sont en hausse de 4% par rapport à la même période en 2019, pour s’établir à 2 246,6 millions DT.
Ces investissements ont porté sur 2 369 projets, employant 37 199 postes, en progression de 3,9% par rapport à septembre 2019.
Sur la même lignée, les investissements déclarés dans les services durant la même période ont également évolué de 6,5%, pour atteindre 717,8 millions DT en septembre 2020, permettant de financer 6 997 projets et créer 23 101 postes d’emploi.
De telles réalisations dans un contexte de crise doivent alors être consolidées, en encourageant un partenariat public-privé qui ne peut qu’être gagnant pour l’ensemble des intervenants.
Pour encourager plus l’implication du secteur privé dans ce partenariat, il est fortement recommandé d’assurer à ses intervenants, même les personnes physiques, plus de transparence et une meilleure liquidité.
C’est pour cette raison que j’encourage la création d’un compartiment boursier dédié à la cotation des FCPR d’une part, ainsi que celle des sociétés des portefeuilles des SICAR et fonds d’investissement, d’autre part.
Tout passera par un processus de cotation simplifié et dont la décision de cotation revient à tout actionnaire détenant plus de 50% du capital de la société en question.