C’est à la porte du Sahara, dans la ville de Tozeur que s’est tenue, le 24 septembre, la cinquième édition du débat Economic Policy Dialogue (EPD) sur le thème : « Déficit énergétique et énergies renouvelables ». Elle a été présidée par Steve Utterwulghe, Représentant résident du PNUD en Tunisie et Tony Verheijen, Représentant résident de la Banque Mondiale en Tunisie.
Les EPD sont organisés par la Banque Mondiale et le Programme des Nations unies pour le Développement (PNUD), en partenariat avec l’Économiste Maghrébin et Express FM. Des représentants du secteur public, du secteur privé, de la société civile tunisienne ainsi que des experts en la matière étaient présents physiquement en respectant les mesures de distanciation sociale ou par visioconférence, pour proposer des recommandations sur les orientations stratégiques nécessaires en vue d’accélérer le développement des énergies renouvelables. Celles-ci étant la pierre angulaire de l’amélioration de la sécurité énergétique et de la compétitivité économique.
En effet, le gaz naturel représente aujourd’hui 97% du mix électrique. Les deux fers de lance d’une transition énergétique sont les énergies renouvelables et l’efficacité énergétique. Comment arriver alors à réaliser un objectif de 30% d’énergies renouvelables dans la production d’électricité en 2030 ?
Cet objectif exigerait qu’on soit, d’après le Plan national des Energies renouvelables, à 12% actuellement, ce qui revient à 1350 MW dont 380 MW produits par la STEG et 970 MW produits par le secteur privé. Malheureusement, on est aujourd’hui très loin de cet objectif. Afin de booster radicalement la mise en place et l’opérationnalisation des énergies renouvelables, le débat a fait ressortir un certain nombre de recommandations.
Reconfirmer l’appui gouvernemental
La Tunisie est en train d’avancer dans le processus du régime des concessions. Il n’en reste pas moins que le pays a un retard sur les pionniers de la région MENA comme le Maroc ou encore l’Egypte. Pour envoyer un signal fort sur sa volonté politique, il serait impératif que la Tunisie puisse finaliser les négociations des contrats de concession (il s’agit d’au moins 500 MW) et d’achat de l’énergie produite avec les investisseurs privés, de les faire approuver par le gouvernement et le parlement, et ce, avant la fin de l’année.
Cet accomplissement donnerait un signal positif à tous les investisseurs étrangers dans tous les domaines, notamment dans le contexte actuel de la crise sanitaire, difficile pour l’économie nationale.
S’agissant du régime des autorisations, la responsabilité est partagée. Vu la faible bancabilité du contrat d’achat d’électricité, il est important d’accorder aux investisseurs une lettre de confort qui démontre le soutien du gouvernement tunisien à ces contrats pour faciliter leur aboutissement et activer l’investissement.
Quant au régime de l’autoproduction, la concrétisation des projets déjà autorisés passe par la finalisation des textes d’application relatifs à la loi transversale de 2019, notamment le tarif de transport d’électricité pour la moyenne tension. Elle passe aussi par la révision du système de comptage et de facturation de l’excédent d’électricité à vendre à la STEG dans la limite des 30% prévus par la réglementation.
Renforcement du dialogue social pour faire adhérer et favoriser les synergies
Afin d’assurer un dialogue bien informé, il faudrait entamer un processus de communication plus sérieux engageant toutes les parties prenantes, voire des campagnes de sensibilisation autour des énergies renouvelables ainsi qu’un dialogue national et même régional impliquant les utilisateurs des terres pour les sensibiliser sur les avantages de ces énergies pour leurs régions.
Par exemple, en ce qui concerne le volet de l’autoproduction, la concertation et l’implication de toutes les parties prenantes permettent de faire ressortir des synergies et une optimisation de l’allocation des ressources.
En effet, la tarification du transport d’électricité à travers le réseau électrique est une pièce maîtresse dans les projets d’autoproduction. Avec une concertation entre les différentes parties prenantes et un dialogue en toute transparence, il pourrait y avoir un compromis pour des tarifs raisonnables qui assureraient la rentabilité des projets sans pour autant faire supporter des surcoûts à la STEG.
Ainsi, un tel compromis dans les tarifs encouragerait les opérateurs à prévoir des sites de production des centrales photovoltaïques ou éoliennes loin des sites de consommation. Il faudrait, à ce titre, assister la STEG dans la détermination des différents coûts de services qu’elle assurerait aux tiers, entre autres les coûts de transport de l’électricité produite par les privés (comme il est prévu dans une étude financée par la Banque Mondiale) et aussi dans les études de flexibilité pour que son réseau devienne capable d’absorber le maximum d’énergies renouvelables.
Plus généralement, il est important de préciser que la loi de 2015 sur les énergies renouvelables n’exclut pas les collectivités locales ou les établissements publics de la réalisation de projets d’énergie renouvelables.
Développer des mécanismes de financements adéquats
Pour accélérer le financement des projets, il est important de mettre en oeuvre et de mener à bien des projets rentables, et de valoriser les success stories. Il est nécessaire que le système financier puisse soutenir ce genre de développement en créant des mécanismes de finance verte.
Le régime de l’autoproduction pourrait être rentable s’il échappe aux problèmes de coûts élevés de transport. Aujourd’hui, il est financé par crédit bancaire ou à travers des fonds d’investissement.
Le traitement des dossiers dans certaines banques prend beaucoup de temps. Par exemple, l’examen d’un dossier de 1 MW a pris une année et demie. La banque a exigé un collatéral de 5 fois le montant demandé.
Pour accélérer le développement de projets dans le régime d’autoconsommation, il faut créer un club de banques stratégiquement intéressées par le secteur. Il faut s’adresser aux banques les plus expérimentées et convenir avec elles d’un même type de modélisation financière pour que leurs propositions soient uniformes.
Aussi, il faut mettre en place un fonds d’investissement qui soit rentable pour perpétuer son activité et attirer les investisseurs. Il doit cibler des projets d’autoproduction avec des compagnies solides où l’exit est envisageable et facile. C’est ainsi que nous allons attirer des ressources.
Créer une autorité de régulation indépendante
Activer la mise en place de la loi sur la création d’une autorité de régulation indépendante, notamment dans cette phase d’implication du secteur privé dans le développement des énergies renouvelables. Celle-ci aura pour mission de réglementer les prix et les tarifs conformément à la loi, d’assurer la gestion de l’accès au réseau pour les ER, le règlement des litiges et l’arbitrage, ainsi que la gestion de tout le processus des appels d’offres pour les projets IPP conventionnels et renouvelables sous ses trois régimes : concession, autorisation et autoproduction. Et pour preuve, dans la majorité des pays, la tarification est assurée par une autorité indépendante.
Créer un comité technique autour du problème foncier
Les problèmes fonciers relatifs à la gestion de certains terrains entravent le développement du photovoltaïque et de l’éolien. Il est recommandé de trouver un consensus avec les ministères de l’Agriculture et de la Défense nationale.
Un comité technique en charge des problèmes fonciers aura comme prérogative de faire des propositions concrètes au Conseil des ministres. En effet, les problèmes fonciers représentent un obstacle majeur au développement des énergies renouvelables. Ceci permettrait de faciliter l’accès au foncier par les investisseurs des ER en allégeant les procédures, notamment en ce qui concerne les terrains publics.
Il a été également recommandé d’effectuer une planification urbaine. Il s’agit de prévoir une mégazone urbaine pour héberger des projets publics ou privés. Ce regroupement d’acteurs permettrait de développer des synergies favorisant la recherche et le développement technologique de leur offre. Il s’agirait de mettre en place une plateforme de démonstration technologique qui pourrait rayonner à l’échelle du pays mais aussi au niveau de l’Afrique du Nord.
Solutions au problème d’intermittence des ER
Vu l’intermittence des énergies renouvelables, notamment le photovoltaïque et l’éolien, les solutions de stockage s’imposent pour garantir plus d’intégration de ces énergies au réseau électrique. Parmi ces solutions, nous citons d’abord les stations de transfert d’énergie par pompage (STEP) pour lesquelles une étude de projet à Oued El Maleh, d’une capacité de 400 à 500 MW, est en cours de réalisation par la STEG.
L’interconnexion électrique avec l’Europe constitue également une solution pour une meilleure intégration des énergies renouvelables. A ce titre, le projet d’interconnexion avec l’Italie, en cours d’étude avec le concours de la Banque mondiale, permettrait de créer un maillage avec l ’Europe et bénéficier des tarifs spot d’achat de l’électricité en Europe, ce qui peut être favorable financièrement.
A noter également que le solaire à concentration (CSP), considéré comme une énergie pilotable grâce à son stockage thermique, assurerait plus de flexibilité au réseau pour absorber plus d’énergies renouvelables.
Création de la valeur locale
Avec les ER, il faut également chercher à avoir des retombées bénéfiques sur les entreprises et les citoyens dans la réalisation des projets, en termes d’investissements et de création d’emplois à travers la création de marchés et le renforcement de l’intégration industrielle.
Aussi, au niveau des interventions régionales, il y a lieu de renforcer la présence de l’ANME dans la région de Tozeur à travers la création d’une antenne régionale afin d’assurer des actions de proximité en faveur des énergies renouvelables mais aussi de l’efficacité énergétique.
Ainsi, les pistes de réflexion et les solutions pratiques dégagées de cette rencontre du 24 septembre à Tozeur seront présentées pour information au gouvernement et autres parties prenantes sectorielles, tout en comptant sur l’appropriation politique des solutions proposées.
Investir dans la formation
Toutes les institutions doivent investir dans la formation. Parallèlement aux avancements du projet Plan Tozeur solaire 2030, l’Iset de Tozeur a mis en place un plan de formation : compétences, installation et maintenance, validées par l’ANME. La certification est reconnue par l’Innorpi. L’exemple de l’Iset de Tozeur peut être considéré comme un projet pilote. Ce plan de formation a été conçu à travers des partenariats entre des institutions universitaires, des Iset, des collectivités locales. Il est à même d’augmenter l’employabilité des diplômés.
Il faudrait de l’assistance de la part des partenaires techniques et financiers pour développer d’autres axes de formation : financement de projets, management de projets, installation de parcs éoliens dans le pays. La formation, R&D et la notion de développement technologique renforceront l’écosystème photovoltaïque.