À l’approche du congrès de l’Association internationale des maires francophones qui aura lieu les 9 et 10 décembre à Tunis, la question qui se pose c’est quel est le rôle de la gouvernance locale ? Souad Abderrahim, maire de Tunis, a dressé un état des lieux sur le pouvoir local, le métier de maire et bien d’autres questions. Interview.
leconomistemaghrebin.com : L’Assemblée générale de l’AIMF se réunira à Tunis les 9 et 10 décembre dans un contexte incertain en raison de la crise sanitaire ayant secoué le monde entier, quelle est la nécessité de se réunir aujourd’hui ?
Souad Abderrahim: La réunion de l’Assemblée générale de l’AIMF était programmée il y a un an de cela. Nous nous sommes préparés pour que tout soit en ordre, dont l’application du protocole sanitaire. Quant au nombre de participants, ce sera le même que prévu. En tout, plus de 120 délégations de Maires et de partenaires internationaux venant de 33 pays d’Afrique, d’Amérique, d’Asie et d’Europe seront présents, soit en présentiel ou à distance.
D’ailleurs, plusieurs points seront débattus durant ces deux jours. Rappelons que cette même assemblée s’est réunie il y a cinq ans de cela. Aujourd’hui, j’espère que l’événement connaîtra un grand succès.
Aujourd’hui, en parlant de gouvernance locale ou encore de numérique, qui rappelons-le, offre aux villes le moyen de se valoriser sur la scène internationale comme des villes dynamiques et modernes. Quelle est donc son importance pour les villes, et particulièrement la municipalité de Tunis ?
Souad Abderrahim: Le numérique est essentiel. Qui dit numérique dit digitalisation. Ce qui veut dire également la digitalisation au sein de l’administration. On ne peut plus la dissocier car tout est lié. Il faut ainsi prendre en compte ces nouveaux outils numériques pour les opportunités de gestion qu’ils offrent en matière de lien avec la population, de suivi des services d’eau, d’assainissement, de prévention des risques naturels. Mais de manière plus générale, il faut prendre conscience ce que le numérique offre aux villes en termes d’atouts.
D’ailleurs, le numérique a fait ses preuves durant la pandémie et lors du confinement total. Et ce, comme l’importance du télétravail comme nouvelle forme d’organisation du travail. En tant que secteur vital, comme celui de la municipalité, nous devons être à la pointe de la technologie. C’est pour cela que nous devons favoriser la digitalisation de l’administration.
En parlant de digitalisation !
À mon avis, la digitalisation nous sortira de cet handicap appelé la bureaucratie. Ce qui permettra également la réduction du gaspillage du papier. En somme, la digitalisation a réglé un certain nombre de problèmes.
Qu’en est-il de la stratégie mise en place sur le court terme, le moyen terme ou encore le long terme ? Ou simplement cette stratégie, serait-elle limitée durant la pandémie ?
Souad Abderrahim: Nous travaillons sur le long terme. Même s’il est vrai que la pandémie a soulevé au départ, un certain nombre de points, tels que disposer d’applications digitales, mais le chemin est encore long car notre politique est de faire en sorte que le numérique soit notre quotidien d’aujourd’hui et de demain. Mais pour y parvenir, il est urgent de changer cette mentalité et de s’adapter aux nouvelles technologies. Prenons l’exemple également de la santé. Rappelez-vous ce qui s’est passé durant la pandémie (mars, avril et mai). Le plus important c’est d’être prêt à faire face à un quelconque obstacle. Même si c’était une période difficile, nous avons tout de même réussi à faire passer les examens nationaux dans les meilleures conditions et avons instauré l’enseignement à distance. Autrement dit, il faut toujours être prêt en toute circonstance.
En outre, le numérique joue un rôle croissant dans le domaine de la santé. En permettant une communication affranchie des distances, la technologie peut en effet réduire les coûts, permettre de soigner les populations isolées, prendre des rendez-vous chez le médecin à distance, ne plus se retrouver des heures durant dans la file d’attente, etc.
L’AIMF est un réseau de Maires engagés qui pensent qu’en changeant la ville, ils pourront changer le monde. Quelle est votre vision de cette manière de faire ? Mais plus encore, peut-on s’appuyer sur les services municipaux et non sur des experts internationaux ou de grandes ONG internationales ? Est-ce une garantie de durabilité et d’appropriation des projets ?
Souad Abderrahim: Le travail municipal est un élément capital. Aujourd’hui, on parle de décentralisation, qui rappelons-le, est un processus qui demande des efforts. Cela permet des échanges entre les Maires pour réfléchir ensemble aux solutions à apporter au développement des villes. Ainsi l’objectif est celui de mettre en place tout un mécanisme de bonne gouvernance et de proximité. En somme, il s’agit de tout un processus mis en place. Nous sommes en train de poser la première pierre de l’édifice, comme le stipule le chapitre 7 de la Constitution.
En outre il ne faut pas non plus oublier la participation des femmes et des jeunes qui jouent un rôle important dans le processus électoral. La loi électorale garantit la participation des femmes en termes de parité horizontale et verticale. De ce fait, nous avons ainsi une forte représentation des femmes dans les Conseils municipaux (soit 48% des femmes). Il s’agit avant tout d’un pas en avant. Car notre unique objectif est d’être au service du citoyen. Et cela à mon avis a de l’importance.
Par quels moyens peut-on améliorer la décentralisation, face à un manque d’espaces verts, absence de passage piéton, ou passage pour les cyclistes, où en sommes-nous dans tout cela ?
Souad Abderrahim: Nous avons tout un programme sur le court terme et sur le long terme. Le court terme concerne ce qui est fait quotidiennement. Il y a aussi des programmes participatifs incluant les espaces verts. Ce sont les citoyens qui proposent un certain nombre de projets. Cette année, en raison de la Covid, nous avons fait en sorte que le vote des citoyens soit à distance. De ce fait, le projet qui bénéficie du plus grand nombre de voix sera retenu. Et parmi les grands projets prévus, la mise en place d’un centre culturel, des terrains de quartier, la piscine du Belvédère qui sera prochainement ré-ouverte… Ce sont des projets fondés sur une implication directe des citoyens.
En outre, nous avons procédé à la mise en place d’une stratégie des villes futures pour 2030-2050, et ce, avec une collaboration étroite avec les différents ministères. L’intérêt est de se projeter vers le futur comme le projet des villes intelligentes, ou encore à favoriser la mobilité douce, une zone pour les piétons et surtout pour les personnes à mobilité réduite. En somme, ce sont des programmes à court terme et à long terme. J’espère que Tunis gardera son élan « Tunis la verte restera verte ».
Pour ce qui est du métier de maire, quelle est son importance ?
Souad Abderrahim: Le métier de maire est à la fois difficile et passionnant. Le travail municipal est un travail quotidien et continu. En effet, le rôle d’un Maire ne se limite pas à gérer le quotidien. En fait, son rôle est bien plus important. Il doit s’assurer de préserver la cohésion entre les citoyens, le lien social. Un Maire doit aussi proposer une vision du développement du territoire qui donne des perspectives à la population, qui façonne l’image de la ville, les rues, les trottoirs, les déchets, l’éclairage et donc son attractivité. Il doit tisser du lien entre l’ensemble des acteurs de la ville : public, privé, société civile… autour d’un projet et de valeurs communes.
Je suis convaincue que le plus grand travail se trouve dans les municipalités, qui demeure une école pour les Tunisiens. Mais le plus important c’est d’être au service de l’autre. Et ce malgré les pressions, le manque de moyens, le manque de ressources financières et humaines. Je suis heureuse d’avoir pris cette fonction, après tant d’années où elle était dominée par des hommes. Je suis fière en tant que femme d’avoir accompli ma mission, je me sens comme une maire maman, mais soyez sûrs, nous allons œuvrer à ce qu’il y ait plus d’espaces verts. Nous avons instauré pour la première fois l’éclairage à la cité de Hrairia ainsi que celui du passage. En outre, nous avons également rajouté plus d’arbres dans plusieurs quartiers afin d’équilibrer notre paysage vert.
Nous avons œuvré pour l’action « Un dimanche sans voiture », accompagnée par de l’animation culturelle zone piétonne. En somme, il faut que Tunis soit une ville attractive pour tous et principalement pour les visiteurs. Nous sommes en train de bâtir l’histoire. Et chacun de nous doit bâtir l’histoire de sa commune, telle l’histoire d’une nation. Il y a aussi tout un programme prévu comme celui du programme de Tunis Marine. De ce fait, les Maires ont intérêt à travailler avec ces acteurs pour faire en sorte que leur action contribue le plus possible au développement de la ville, et rende un meilleur service aux citoyens.
Quelle est la place de la femme tunisienne aujourd’hui et son importance à l’échelle locale dans l’émergence de son parcours ?
Souad Abderrahim: Les femmes jouent un rôle fondamental pour le développement et la pacification de nos sociétés, surtout lorsqu’elles investissent la sphère publique. Et cela revient en partie à la loi électorale et à cette parité horizontale et verticale. Ce n’est pas nouveau pour la femme tunisienne qui agit au quotidien pour le développement de sa région. Et je le dis toujours, les femmes de mon pays “Nissa biladi w noss”. Cela dit, même si les femmes ne sont pas assez présentes dans les postes de décision, cela n’empêche que je reste convaincue que la femme tunisienne doit et peut occuper des postes de décision. D’ailleurs, le taux de scolarité chez les filles est plus important que celui des garçons.
Au sein de la municipalité, la Secrétaire générale est une femme. Miser sur le capital féminin est un atout considérable. Et pour arriver à cette égalité, il faut un effort culturel pour commencer, et ce via le changement de la mentalité masculine. Et comme le stipule la Constitution appliquer l’égalité parfaite entre le droit et le devoir.
En parlant de l’UMA, ou ce qu’on appelle le Grand Maghreb, quelle est son importance pour votre commune ?
Souad Abderrahim: Nous soutenons la mise en place de rencontres entre les Maires du Maghreb. Et ce dans le but de réunir autour d’une même table les Maires d’Algérie, de Libye, du Maroc, de Mauritanie et de Tunisie pour nouer un dialogue et aboutir à des positions communes, à discuter sur un certain nombre de sujets dont la numérisation. D’ailleurs, nous reconnaissons l’importance de la dynamique lancée par les autorités locales. Nous espérons avoir ce socle maghrébin plus opérationnel que jamais.
Et pour finir, le sommet de la Francophonie, qui aura lieu prochainement en 2021 à Djerba, quel est son apport pour votre territoire quand on parle d’ouverture à l’autre, mais aussi en termes de solidarité ?
Souad Abderrahim: Le choix de la Tunisie n’est pas anodin. Il y a là un véritable enjeu car la francophonie joue un rôle en faveur du dialogue des cultures. Le choix de la Tunisie est judicieux et ce via son histoire et des différentes civilisations passées. La Tunisie est connue par sa tolérance et son ouverture vers d’autres cultures. Les autorités locales seront présentes parce qu’elles sont proches de la population, et qu’elles ont une coopération très diversifiée, y compris entre les villes d’Afrique. C’est une bonne échelle pour porter un autre regard sur la Francophonie. Ce sommet sera un message des Tunisiens vers l’autre pour dire que la Tunisie restera toujours ouverte et tolérante comme elle l’a toujours été.