La triste fin du jeune médecin à l’hôpital de Jendouba et la colère des internes et des résidents montrent à quel point le système de la santé tunisien est fragilisé. Entre manque de matériel et d’effectif, la pandémie a mis à nu toutes les défaillances que les professionnels n’ont jamais cessé de pointer du doigt.
L’origine de toutes ces catastrophes est claire : une infrastructure qui stagne et une demande de soins et de santé qui explose. En l’absence d’investissements d’entretien et de rénovation, le système ne peut que tomber en panne.
L’infrastructure sanitaire en chiffres
La grève a fait mal car le fonctionnement des hôpitaux universitaires repose de facto sur les résidents et les internes, dont le nombre s’élève respectivement à 5 487 et 2 053. Ils ont la responsabilité de gérer tout le flux qui provient du reste des structures.
La carte sanitaire de la Tunisie est basée sur trois lignes : la première composée de 2 161 Centres de Santé de Base (CSB) et 110 hôpitaux de circonscriptions ; la deuxième comporte des hôpitaux régionaux au nombre de 35 ; et la troisième est forte de 23 Etablissements Publics de Santé (EPS) et 9 centres spécialisés. Le total des lits est 21 356 fin 2018, dont 10 103 dans les EPS et 8 139 dans les hôpitaux régionaux.
A priori, nous disposons d’une infrastructure qui devrait, théoriquement, faire l’affaire. Mais en réalité, d’autres chiffres montrent que les difficultés budgétaires de l’Etat ont affecté la qualité des services de soin.
Le nombre moyen d’habitants par CSB est passé de 5 060 en 2010 à 5 345 en 2018. 20% seulement des CSB assurent une consultation médicale 6 jours par semaine. Le nombre d’unités d’imagerie médicale de première ligne par 10 000 habitants est de 0,175 seulement. D’ailleurs, fin 2018, le secteur public détient 47 scanners (contre 135 dans le secteur prié) et 13 IRM (53 dans le secteur privé).
Des ressources humaines sous pression
Pour faire tourner cette grande machine, il y a un besoin grandissant à tout type de ressources humaines. Encore une fois, les statistiques montrent que les effectifs sont sur une tendance baissière.
Le nombre de médecins spécialistes actifs du secteur public s’élève à 3 231 fin 2018 (3 239 fin 2016). Les médecins généralistes est passé de 2 877 en 2016 à 2 828 deux ans plus tard. Globalement, c’est une baisse de 0,9% sur deux ans. Cette tendance a particulièrement touché les régions intérieures : -14,1% dans le Sud-Ouest, -12,2% dans le Sud-Est, -6% dans le Nord-Ouest, -5,3% au Centre-Ouest.
Ces ressources humaines font face à une activité grandissante. En 2018, le nombre de consultations externes effectuées par la totalité des centres de soins a atteint 14,665 millions, soit 1 million de plus par rapport à 2016. Les CSB ont assuré l’essentiel de cette activité (64,5%) alors que les EPS ont réalisé 3,220 millions de consultations. La hausse a concerné beaucoup plus les consultations en médecine spécialisée, avec 6,226 millions consultations fin 2018 contre 5,589 fin 2016.
Le nombre d’admission a atteint 827 382 en 2018 et le nombre de jours d’hospitalisation était de 3,248 millions, dont 1,839 millions dans la 3ème ligne.
Le cercle vicieux des finances publiques est présent
Cette activité génère de l’argent. Les ressources propres des EPS seraient de 517 MTND en 2021. Le Budget du Ministère de la Santé s’élève à 3 766 MTND en 2021, dont 2 417 MTND pour la masse salariale et 415 MTND seulement pour l’investissement. D’ailleurs, selon les projections, ces investissements ne seraient que de 396 MTND en 2022 et 407 MTND en 2023.
Mais ces revenus ne sont pas effectivement encaissés car la CNAM cumule une dette qui dépasse 400 MTND envers les hôpitaux. C’est donc le même cercle que nous retrouvons dans tous les secteurs d’activité : une cascade d’entreprises publiques qui ne paient pas, et les hôpitaux ne parviennent pas à trouver les ressources nécessaires pour investir et pour payer leurs fournisseurs, comme les sociétés qui entretiennent les ascenseurs.
In fine, c’est donc un problème de gouvernance général qui continue à mettre à genoux tout le pays, secteur par secteur. A ce rythme, le pays va s’auto-détruire au bout de quelques mois. Réveillons-nous avant que ça soit trop tard.