La crise de la Covid-19 est en passe de reconfigurer notre manière de concevoir le développement, notre façon d’interagir socialement et d’appréhender un mode de production beaucoup plus respectueux de l’environnement. A l’exception notable de la Chine qui a vite amorti les chocs des premiers effets du ralentissement de sa production. La plupart des partenaires des pays de la région MENA connaîtront en 2020 une croissance négative. D’ores et déjà, les institutions internationales tablent sur une contraction de 7 à 8% de la croissance de la zone Euro; et de plus de 5% pour la région MENA. Pour la Tunisie, il est prévu au meilleur des cas une contraction de près de 8%. Selon l’INS, elle a été déjà de 10% pendant les neuf premiers mois 2020.
Cependant, la crise majeure et multidimensionnelle que connaît la Tunisie ne doit pas pour autant nous pousser à faire l’économie de se projeter et de construire une compétitivité davantage axée sur l’innovation, gage de création de richesse pérenne.
Une crise accélératrice de tendances sectorielles
En effet, la crise économique a accéléré des tendances en passe de recentrer les activités de production sur les compétences, l’innovation et le développement durable. Ainsi, les secteurs qui ont été les plus résilients depuis le début de la pandémie sont appelés à devenir davantage stratégiques:
- Les industries de la santé (industries pharmaceutiques, équipements médicaux et médicaments génériques…);
- Les industries agro-alimentaires (agribusiness dont l’agriculture bio, industries alimentaires, agritech);
- Les technologies de l’environnement ( énergies renouvelables, recyclage et activités de l’économie circulaire..);
- Les industries liées aux technologies de l’information (développement de logiciels, big data, intelligence artificielle, e-santé..).
Intégration de la région sud-Méditerranée dans la supply chain mondiale
Par ailleurs, les entreprises implantées ou s’approvisionnant- même indirectement- de Chine ont, dès le début de la crise sanitaire, cherché des solutions alternatives pour pouvoir continuer leurs activités. Au cours du 1er semestre, de nombreux économistes prédisaient que ces opérations provisoires étaient en mesure de pérenniser de nouvelles reconfigurations des chaines de valeurs mondiales (CVM’s). En privilégiant des circuits courts de production, qui profiteraient aux pays sud-Méditerranéens comme la Tunisie.
Mais contrairement aux pays d’Asie de l’Est, d’Europe et d’Amérique du Nord engagées dans des CVM’s de biens manufacturés et d’activités innovantes, ces pays sont davantage intégrés la production de biens manufacturés simples (sous-traitance dans le domaine du textile, câblage..)
Les transitions d’une catégorie de CVM’s basique à une autre plus sophistiquée ont été courantes au cours des dernières décennies en Asie de l’Est. La nature de la participation des pays de la région MENA aux CVM’s n’a quant à elle pas beaucoup changé et a faiblement évolué vers des formes plus sophistiquées.
Une reconfiguration des CVM’s à relativiser
Malgré une volonté forte des pays européens à relocaliser les activités d’entreprises originaires de l’UE, la « réinternalisation » de l’ensemble des chaînes de valeur en Europe semble difficile alors qu’une colocalisation vers les pays du voisinage de l’Est et du Sud de la Méditerranée pourrait être une opportunité pour les pays de la région.
Pour autant, nous devons nous donner les moyens de capter ces flux d’investissement et/ou de relativiser l’importance des flux d’investissements directs qui pourraient être générés:
- Il semble que les entreprises étrangères qui seront le plus enclines à effectuer de nouveaux investissements à l’horizon 2022 seront celles déjà implantées dans la région MENA. Elles augmenteront par petits paliers leurs approvisionnements à travers leurs filiales tunisiennes. C’est de la capacité de rétention et de sécurisation des activités d’entreprises existantes que va dépendre l’attraction de nouveaux investissements étrangers à court terme.
- La délocalisation des entreprises étrangères en Chine est en grande partie due à la présence d’un marché de près de 1,5 Milliard d’habitants. Que ce soit dans le secteur des industries manufacturières (électriques, électroniques, mécaniques…), le numérique ou les industries des secteurs primaires, l’attractivité de la Chine est essentiellement portée par les débouchés dans ce pays-continent et ceux dans les pays limitrophes.
- Selon une récente enquête réalisée fin octobre par le cabinet EY, 33% des dirigeants internationaux interrogés en octobre n’envisagent pas de changement majeur de leurs supply chains (ils n’étaient que 2% en avril). Principal sujet des premiers mois de la crise, la relocalisation des activités industrielles ne séduit que 24% des dirigeants contre 37% en avril 2020.
« Nous devons nous donner les moyens de capter ces flux d’investissement et/ou de relativiser l’importance des flux d’investissements direct »
Avec le redémarrage rapide de la Chine et de l’Asie, les entreprises internationales, notamment européennes, sont de moins en moins favorables à la mise en place de circuits courts de production avec les régions périphériques de l’Union européenne ou en Afrique du Nord. Ils étaient 83% en avril. Ils ne sont plus que 37% actuellement.
Vers un positionnement post-COVID axé sur l’innovation
Pour autant, cette reconfiguration, même si elle ne prenait pas la dimension attendue, devrait partiellement prendre forme. Dans ce cadre, elle sera davantage envisageable pour les appareils de production de pays qui auraient atteint un degré de technicité important.
La Tunisie a su monter en gamme, en développant des activités à forte valeur ajoutée dans des secteurs dits traditionnels. Malgré un environnement d’investissement pas toujours favorable, sa production a gagné en sophistication pendant la décennie écoulée avec le développement entre autres d’activités et niches à haute valeur ajoutée comme la conception de systèmes embarqués pour l’automobile, le textile technique (matériaux composites pour l’aéronautique, équipements de protection individuelle dans le paramédical, de conception de coiffes de sièges et d’airbags), du développement de startup particulièrement innovantes dans le domaine des logiciels, des applications, de big data, du e-santé, du e-learning, du e-commerce et de l’intelligence artificielle.
Il faudrait plus promouvoir un branding boosté par l’innovation. Innovation qui contribue déjà à ce que nos balances commerciales soient excédentaires avec nos principaux pays partenaires, la France et l’Allemagne. Avec respectivement de près de 900 Millions d’euros et plus de 300 Millions d’Euros pour les dix premiers mois de l’année 2020.
La Tunisie, malgré une logistique à améliorer, consolide son positionnement de tête de pont pour le continent africain. Il s’agit également de secteurs où des entreprises tunisiennes performent sur le continent comme les travaux publics, le conseil, les travaux d’électrification, l’agroalimentaire, les médicaments génériques ou les télécommunications.
Intégrer par le haut une possible reconfiguration des circuits de production vers l’Europe
La période post-COVID pourrait véhiculer de grandes opportunités pour la Tunisie. Il semble toutefois nécessaire que notre pays se donne les moyens d’intégrer par le haut les CVM’s. Et ce, à travers:
- La pérennisation de « pactes de compétitivité sectorielle » et de « groupements d’intérêt économique » (cas de l’industrie automobile, de l’industrie électronique ou de la santé en Tunisie). Ces « contrats » et co-création de cadres législatifs spécifiques (loi Startup Act) entre les autorités publiques et les opérateurs privés auront pour objectif de promouvoir les exportations des pays de la région et mettre en avant des propositions de valeur attractives pour les entreprises internationales.
- Mettre en place des incubateurs thématiques « post-COVID » (startup dans les domaines de l’agritech, de l’e-santé, de la mobilité, de la biotech…).
- Les compétences spécialisées sont une condition requise préalable à la participation aux étapes à haute valeur ajoutée des chaînes associées aux industries comme les technologies de l’information, l’électronique et les produits pharmaceutiques.
- Mettre l’accent sur une dimension verte de développement. Celle-ci rendrait notre économie beaucoup plus attractive au regard des nouvelles exigences environnementales.
La captation d’opportunités d’investissement feraient jour à court et moyen terme. Elle va dépendre de notre agilité à adopter les tendances post-COVID, de notre capacité à améliorer la composante logistique et à fournir des solutions tangibles aux problèmes d’approvisionnement du marché européen et d’entreprises qui cibleraient une expansion en Afrique.