On note l’allégement des programmes scolaires, suite à la diminution des heures de cours de l’enseignement. exigence de la protection contre la pandémie oblige. Avec la suppression, dans ce contexte, par le ministère de l’Education de livres et de thèmes.
Tout d’abord, présentons les œuvres, livres et thèmes qui ont été retirés de l’enseignement. Il s’agit de:
- Al-Machraa el-Akli (l’esprit rationnel) de Jahiz, en littérature.
- Rissalat al-Gofrane (l’épitre du pardon) d’al-Maarri, en littérature.
- La révolution de 1917, en Russie, en histoire.
- La question de l’esthétique et la question artistique, en Philosophie.
Comment juger ces suppressions d’enseignement pour les bacheliers tunisiens? Ne contredisent-elles pas l’esprit d’ouverture et de progrès, de la réforme du ministre de l’Education nationale, Mahmoud el-Messadi en 1958-1959?
En effet, ce grand auteur de la littérature arabe, avait répondu aux vœux du leader Habib Bourguiba. Son programme permettait de prendre possession de notre héritage culturel, de le restaurer. Mais aussi d’assurer les conditions de promotion du citoyen tunisien, par: la connaissance des différentes cultures du monde; l’étude de la pensée de progrès des grands savants musulmans; et le développement de l’esprit critique. Ainsi, les matières frappées aujourd’hui d’ostracisme étaient mises au programme de notre enseignement; et jusqu’à ce jour.
Al-Jahiz, précurseur de Darwin
Car, il faut rappeler la valeur des auteurs supprimés: Jahiz (776 – 867) est un écrivain, encyclopédiste et polygraphe arabe mutazilite. Auteur de plus de deux cents ouvrages dont plusieurs ont été traduits en français, en anglais et dans d’autres langues. Ayant étudié des textes de science et de philosophie traduits du grec, notamment les œuvres d’Aristote. Il réussit une synthèse entre la tradition avec des données de la pensée grecque. Erudit de la cour de Bagdad, il apporte un regard nouveau fondé sur l’observation et la raison.
Dans son Kitāb al-hayawān, il formula des idées préfigurant les thèses darwiniennes. « Les facteurs environnementaux influencent les organismes à développer de nouvelles caractéristiques pour assurer leur survie, les transformant ainsi en de nouvelles espèces… Les animaux qui survivent pour se reproduire peuvent transmettre leurs caractéristiques à leur progéniture. »
D’ailleurs, le discours élogieux de James Higham professeur à l’université de New York confirme l’importance du philosophe. Puisqu’il affirmait récemment: « J’ai été frappé, par la mesure dans laquelle Al-Jahiz semble avoir eu non seulement des idées évolutionnistes; mais aussi de nombreuses idées dont on pourrait dire qu’elles sont spécifiquement liées au processus d’évolution par sélection naturelle. »
Abul ʿAla Al-Maʿarri ou la pensée critique à l’honneur
Abul ʿAla Al-Maʿarri (973-1058) : Poète et philosophe arabe. Esprit libre et original. Ses œuvres se distinguent par sa volonté d’offrir une pensée critique, sans être à l’encontre du dogme. Son œuvre, la plus célèbre, la Risalat al-ghufran (Épître du pardon), est un « savoureux voyage de l’ouvrage dans l’au-delà, qui a su garder jusqu’à aujourd’hui un charme indéniable pour sa verve et son ironie » (dictionnaire Larousse).
Suppression d’auteurs de grande valeur dans l’enseignement
De fait, le ministère supprime les figures majeures de la littérature et de la pensée arabes; des œuvres qui assurent la promotion de l’esprit critique. La suppression du cours sur la révolution de 1917, révèle-il une volonté de fermer les frontières politiques et d’occulter tout débat idéologique? La remise en cause de l’esthétique et des questions artistiques, au programme du bac de Philosophie s’inspirerait d’un esprit protectionniste révolu.
Alors, le rétablissement des matières supprimées constitue une urgence. Dans notre aire menacée par un passéisme salafite, qui censurerait la gloire de la civilisation sous les Abbassides, qui étaient soucieux d’acquérir les œuvres étrangères et d’ouvrir des débats philosophiques et existentiels.