A l’issue de sa rencontre hier soir avec Noureddine Tabboubi, le président de la République n’a pas donné un franc blanc-seing à l’initiative de l’UGTT. Il semble même qu’ayant émis de sérieuses réserves sur les futurs participants au Dialogue national, il a cherché à le torpiller. Mais en prenant des gants.
17 jours après que l’UGTT eut lancé son initiative sur le Dialogue national sensée être parrainée par le président de la République. Et après avoir reçu dans la soirée du mercredi 16 décembre 2020 Noureddine Taboubi, le SG de l’UGTT, au palais de Carthage, Kaïs Saïed n’a pas donné son feu vert au patron de la centrale ouvrière pour engager la procédure. Au contraire, il a émis tant de réserves qu’in fine, il s’agit d’une fin de non recevoir déguisée. Pour ne pas dire d’un enterrement d’une initiative mort-née.
Le oui, mais du Président
En effet, « l’entretien entre Saïed et Tabboubi a porté sur l’initiative de dialogue proposée par l’UGTT. Et ce, dans le but de parvenir à des solutions. Mais plus encore, de résoudre la crise qui ébranle le pays sur les plans politique, économique et social ».
Ainsi, « Kaïs Saïed a souligné que le dialogue doit favoriser les conditions pour réussir les objectifs ». Tout en réitérant son rejet d’établir un dialogue avec les corrompus.
D’ailleurs, « cette initiative forme une alternative aux tiraillements et une issue à la crise vécue dans le pays ». C’est ce qu’on peut lire dans un laconique communiqué rendu public hier soir par la présidence de la République.
De quels « corrompus » s’agit-il?
En clair, même « s’il fallait déployer tous les moyens nécessaires à la réussite de cette initiative », tournure bien diplomatique pour exprimer qu’il s’en détache; le locataire du palais de Carthage souligne que ce dialogue « ne pourrait être conduit de la même manière que le précédent (2013) ». Et qu’enfin, « il est exclu de dialoguer avec les corrompus ».
Mais alors, avec qui faudra-t-il dialoguer? Car, le dialogue suppose un vis-à-vis qui n’épouse pas forcement votre cause; sinon, il s’agit plutôt d’un monologue stérile. Et qu’en est-il, à défaut de les nommer, des corrompus à qui le président de la République, fidèle à sa vieille rhétorique, claque la porte avec fracas?
Car, si on prenait en compte le dernier rapport de la Cour des comptes sur le double scrutin de 2019, il y aurait lieu de supposer qu’il s’agisse d’Ennahdha et de Qalb Tounes.
Autre exclu de la table du Dialogue national: le parti destourien d’Abir Moussi. Sauf que la championne des sondages pour les prochaines élections législatives avait déjà claqué la porte. Convaincue que « c’est une perte de temps. Le contexte n’étant pas celui de 2012, l’heure est aux décisions urgentes. Pour apaiser la tension sociale et engranger les réformes qui s’imposent pour les court, moyen et long termes », arguait-elle.
Alors encore une fois, comment réussir un dialogue qui exclut les partis « poids lourds » représentés au Parlement? Et même si ce n’était pas le cas, comment réussir la prouesse de réunir autour de la même table Ennahdha de Rached Ghannouchi, Al Karama de Makhlouf et Qalb Tounes de Nabil Karoui, avec leur pire ennemie Abir Moussi?
Stratégie suicidaire
De toute évidence, en réitérant sa volonté de ne point engager un dialogue avec les « corrompus », le chef de l’Etat qui ne croit pas à la pertinence d’un « dialogue national similaire à celui organisé durant ces dernières années », cherche en fait à éviter de superviser la partie de l’initiative de l’UGTT. Etant convaincu d’avance qu’elle est vouée à l’échec, faute de joueurs.
Quitte à refiler la patate chaude à la centrale syndicale et attendre. Attendre que le toit nous tombe sur la tête; sachant que désormais, personne n’est plus à l’abri.