16 septembre 2007. Des mercenaires de la société « Blackwater » tirent sans raison sur des civils irakiens à Bagdad à la place Nisour. 17 personnes sont massacrées et des dizaines d’autres blessées. La société de mercenariat a travaille pour l’armée américaine. Elle avait alors prétendu que ses agents ont répondu à des menaces. Prétentions démenties par les centaines de témoins irakiens. Prétentions démenties aussi par l’armée américaine dont le rapport sur l’affaire avait établi que « les agents de Blackwater avaient ouvert le feu sans provocation et qu’ils avaient fait un usage disproportionné de la force. » Prétentions démenties enfin par un rapport du Congrès américain selon lequel « Blackwater a été impliquée dans 195 incidents armés en Irak depuis 2005. Dans 84% des cas, ses agents auraient tiré les premiers. »
Le choc provoqué en Irak et dans le monde par ce massacre était immense. Beaucoup le comparaient au choc provoqué par le crime de guerre commis à Mai Lai au Vietnam. Le 16 mars 1968, des soldats américains avaient massacré horriblement et sans raison des centaines de civils vietnamiens.
13 ans après le crime des mercenaires de Blackwater, des Irakiens vivent encore dans leur chair les conséquences du massacre. On parle de ce professeur universitaire irakien qui a perdu toute sa famille, massacrée par les quatre mercenaires américains. Il a perdu son travail pour cause de dépression qu’il traine jusqu’à ce jour.
Soulagement de courte durée
Il a fallu beaucoup de pressions, de campagnes et de réclamations aux Etats-Unis et dans le monde pour que la justice américaine se résolve à se saisir du dossier du massacre de Bagdad. Et il a fallu des années pour que cette justice rende son verdict en août 2019 : prison à vie pour le premier responsable du massacre, et 30 ans de prison pour ses trois complices.
Le verdict avait provoqué alors un certain soulagement en Irak surtout, mais aussi dans certains milieux américains et dans le monde. Un soulagement de courte durée, car Trump vient d’y mettre fin en utilisant son pouvoir. Déterminé à faire le plus de mal possible avant la fin de son mandat cauchemardesque, Trump vient d’accorder son pardon aux quatre criminels de Blackwater. Ce qui revient à dire que le criminel condamné à perpétuité n’aura passé que 15 mois en prison. Idem pour ses trois complices condamnés à 30 ans…
Incongruité constitutionnelle
L’une des incongruités de la Constitution américaine est contenue dans l’article II qui octroie aux présidents «le pouvoir d’accorder des sursis et des grâces pour les infractions contre les États-Unis», sauf en cas de procédure d’impeachment. Ce privilège est cimenté si l’on peut dire par la Cour Suprême qui estime que ce pouvoir est «accordé sans limite» tant que la peine est fédérale. Le Congrès ne peut rien y faire.
En fait, tous les présidents américains ont usé de ce pouvoir du pardon. Mais tous, à l’exception de Trump, l’ont utilisé pour gracier des prisonniers coupables de petits délits sans importance. Le président Gerald Ford a bien gracié des déserteurs de la guerre du Vietnam. Et Barack Obama a gracié de petits délinquants condamnés pour des faits liés à la consommation de la drogue. Mais aucun n’a jamais gracié des criminels condamnés à de lourdes peines pour avoir massacré des civils innocents.
Les quatre criminels graciés ont la chance d’appartenir à la société de mercenariat de Blackwater. Car le président de cette société, Erik Prince, est l’ami intime de Donald Trump. Et il semble effectivement que ce président est engagé dans une course contre la montre. Le but étant qu’avant la date fatidique du 20 janvier, le jour où il quittera la Maison blanche, il graciera le maximum d’amis et de membres de sa famille impliqués dans des affaires douteuses. C’est par dizaines que des proches collaborateurs et des membres de sa famille, dont le père de son gendre Jared Kouchner, sont pardonnés.
Amendement du droit de grâce ?
Gageons que le dernier pardon que Trump accordera avant le 20 janvier sera à lui-même. Car, la Constitution américaine permet même au président de se faire pardonner lui-même des crimes et délits qu’il aurait commis au cours de son séjour à la Maison blanche. Il est vrai que les rédacteurs de la Constitution américaine n’avaient jamais imaginé que les Etats-Unis auraient un jour un président de la trempe de Trump. Un président dont la fortune s’élève à des dizaines de milliards de dollars et qui paye 750 dollars d’impôts sur les revenus. Soit beaucoup moins que ce que paye un simple ouvrier d’usine…
Pendant les quatre années cauchemardesques de sa présidence, Trump a usé et abusé de ses pouvoirs et de ses compétences. Aucun président avant lui n’a fait autant de mal à son pays, aucun n’a autant noirci la réputation de l’Amérique et aucun n’a autant divisé le pays et nourri haine et rancœur entre ses habitants.
Les innombrables abus commis par le président sortant dans les derniers jours de sa présidence sont si graves que le Congrès serait peut-être appelé à se pencher sur la question du droit de grâce présidentiel. C’est en tout cas l’appel lancé par le professeur de droit à Harvard Jack Goldsmith dans les colonnes du « New York Times »: «Il se peut », écrit-il, « que les pardons de M. Trump se révèlent si abusifs qu’un amendement constitutionnel au pouvoir de pardon sera justifié ».