Passé le simulacre de surprise au sujet des dernières batailles rangées de nature tribale, il va bien falloir réfléchir à mettre un peu d’ordre dans les idées reçues autour du projet national enfant d’une révolution qui fête déjà sa décennie.
Il y a eu mort d’hommes, sans parler des amochés à coups de gourdins. Le Président a même dû, enfin ! on va dire, faire le déplacement pour s’informer de l’état des lieux. Il a même sermonné les fauteurs d’État de droit, vocable manifestement inconnu dans le jargon belliqueux des tribus en délicatesse au sujet d’un point d’eau.
Les antagonistes n’ont évidemment pas tenu pour acquis que les biens de la Nation appartiennent à la Nation, et que la démocratie a élu des représentants pour gérer au mieux les biens communs.
Au moins en principe. Dans la pratique, les élus sont à l’évidence hors sol national. Ils n’ont pas encore vidé les querelles infantiles et infantilisantes qui tiennent lieu pour eux de programme et de raison de vivre.
Depuis un bon moment déjà, sur le terrain, beaucoup de citoyens dans les régions ne roulent plus que sur le mode rétro. C’est à qui s’en remet à un vague passé glorifié uniquement pour réussir à fuir le présent.
La question du puits de la discorde n’est en réalité qu’un détail pour ceux qui se sentent spoliés sous les coups des différents « kamours » de l’irrédentisme rampant. Certains des « Représentants du Peuple » ne s’en cachent même plus, dans la foulée des élans populistes qui tuent une « révolution » dont on ne voit vraiment plus qu’elle soit dite nationale.
« Les antagonistes n’ont évidemment pas tenu pour acquis que les biens de la Nation appartiennent à la Nation »
Il y a plusieurs types de rétros il faut dire : Il y a ceux qui cherchent dans l’histoire lointaine les motifs suffisants de la pureté originelle. Il y a aussi ceux qui ne cherchent pas plus loin que l’ancien régime pour draper celui-ci de vertus, comme si tout allait bien alors, dans le meilleur des mondes possibles et il y a encore d’autres nuances, toutes aussi décrochées de la réalité qui se traduit en ce moment par des lois de finances, de gouffres budgétaires et de délabrement sanitaire. Le rétro, ça peut aider à ajuster la conduite, mais il est toujours recommandé de regarder en avant pour éviter les accidents mortels.
Il est maintenant admis que le développement fut inégal entre les régions. La réalité est plus nuancée et, en théorie tout au moins, beaucoup d’argent a été mis pour tenter, ou faire semblant, de corriger le tir. Depuis plusieurs décennies. Il se trouve seulement que personne ou presque ne veut nous dire où est passé l’argent attribué à cette noble, noble et nécessaire, cause. On peut bien décréter qu’un CHU sera bientôt érigé dans telle ou telle région, mais est-il assuré que des enfants de la Nation iront y exercer ?
Mieux : pourquoi a-t-il toujours été nécessaire d’avoir les sièges des sociétés nationales à Tunis quand le travail réel n’y est pas ?
« Le rétro, ça peut aider à ajuster la conduite, mais il est toujours recommandé de regarder en avant pour éviter les accidents mortels »
Les derniers mouvements sociaux montrent clairement que le pays ne fonctionne que par le centre, source des décisions et des moyens qui vont avec. Or, le centre en question est particulièrement instable et fait l’objet de tiraillements de toutes sortes. Le Président le dit à qui veut l’entendre et en a lui-même subi les affres en allant tenter d’étouffer le feu des tribus en guerre de voisinage. Or, comme dans tous les centres surchargés, en particulier urbains, le rétro ne sert plus à grand-chose puisque tout le monde veut doubler alors que le feu de circulation ne fonctionne qu’au rouge et que l’agent dévolu à la fluidité du mouvement est occupé à vérifier son « statut » sur les réseaux dits par excès de langages sociaux.
Les corporatismes échevelés et maintenant le tribalisme exubérant racontent ensemble un triste récit national au milieu duquel on voit mal se réinstaurer un dialogue dit aussi national. Ce récit est encore rattaché à la « révolution », sans que l’on sache finalement c’est quoi la révolution chez nous. En l’absence d’un projet qui mène vers l’avant, le rétro lamine ce qui reste de confiance en l’avenir .