A quoi peut-on s’attendre en 2021 ? Peut-on parler des scénarios positifs face à la crise sanitaire? Kerim Bouzouita, anthropologue, dresse un état des lieux dans une interview accordée à leconomistemaghrebin.com.
leconomistemaghrebin.com: à quoi faut-il s’attendre en 2021 ? En Tunisie et ailleurs ?
Kerim Bouzouita: Le scénario dépend beaucoup des campagnes de vaccination et de la politique des Etats en 2020. De ce fait, 2021 dépendra de 2020. Par exemple, les Etats qui ont pris les mesures pour ralentir la pandémie en numérisant les services en évitant les contacts inutiles dans les administrations seront mieux lotis en 2021. Pareil pour l’adaptation du système de santé, les Etats qui auront adapté l’hôpital public à cette nouvelle réalité saurons mieux relever les défis de 2021.
Mais le plus important reste au niveau macro-politique : Avons-nous préparé un modèle de développement différent respectueux de la nature et de l’humain qui ne pollue pas et qui n’exploite pas la nature de manière outrageuse. Il est toujours utile de rappeler que la pandémie COVID 19 est un résultat direct de la société de consommation et du productivisme industriel.
Mais 2021 dépendra aussi de 2021, c’est à dire de l’efficacité des campagnes de vaccination. Là, on a plusieurs scénarios positifs et négatifs possibles.
Le scénario négatif : les vaccins sont peu disponibles ou sont inefficaces ou bien les gens refusent de se faire vacciner. On risque des mesures de confinement, le port du masque prolongé, perte des emplois les plus précaires, avec les conséquences politiques dangereuse : partout ou il y a une crise économique, on voit les peuples se jeter dans les bras de l’extrême droite.
Comment expliquer que dans certains pays, les gens ont confiance dans le vaccin contrairement à d’autres ?
La réponse est claire. Il y a trois raisons : la confiance dans l’Etat avant la crise, la confiance dans l’Etat durant la crise et la relation de la population avec les campagnes de vaccination. Prenons l’exemple des trois pays: La Chine, l’Inde et le Brésil sont tout en haut du classement de confiance dans la vaccinqgion. Ces pays ont un passé récent positif avec la vaccination: le Brésil (campagne fièvre jaune), la Chine et l’Inde (campagne polio, rougeole, etc.).
Pour ce qui est des pays dont la confiance de l’Etat avant et durant la crise est bonne, on note, à titre d’exemple, que 66% des Allemands ont confiance dans le vaccin contrairement aux USA, la Croatie, le Liban (crise politique, explosions de Beirut) ou encore la France (les Gilets iJaunes, réformes des retraites) où 4/10 des français uniquement comptent se faire vacciner, selon les sondages BVA et IPSO).
Il y a aussi le passif de certains pays avec les vaccins entre scandales et conflits et relations d’intérêts. Prenons l’exemple de la France en 2010. Les experts ayant des liens d’intérêt avec l’industrie pharmaceutique ont conseillé Roselyne Bachelot, ministre des Solidarités et de la Santé de l’époque, d’acheter 94 millions de doses de vaccin contre la grippe A (H1N1). Une grande majorité de ces doses restera inutilisée.
Que risquent les citoyens dans la mesure où leurs Etats les obligent à se faire vacciner ?
Il y a quelques jours j’aurais dit ‘non’. Parce que le code de Nuremberg, qui influence grandement l’étique médicale, implique le consentement du patient dans l’administration de tout traitement. Mais il y a eu un antécédent dangereux au Brésil le 17 décembre, la plus haute juridiction du pays a autorisé le gouvernement à adopter des lois pour rendre la vaccination obligatoire. On ne forcera pas officiellement les Brésiliens à se faire vacciner, mais on pourra imposer des restrictions à ceux qui refusent de se faire vacciner : interdiction des lieux publics, interdiction de voyager à l’étranger ou d’exercer certaines activités.
En parlant de scénario positif , qu’en est-il ?
Si les campagnes de vaccination réussissent, c’est-à-dire : Les vaccins sont disponibles, les vaccins sont efficaces, les vaccins sont inoffensifs et les gens acceptent de se faire vacciner.
Est-ce que l’économie repartira avec ce scénario-là ?
Le modèle économique mondial était déjà en crise avant la pandémie. D’ailleurs, elle n’a fait qu’accélérer les choses et montrer que ce modèle était dangereux. C’est un modèle qui a réduit les humains au service de l’économie et non pas l’économie au service de l’humanité. Les analysent nous montrent que l’économie et l’emploi vont repartir et les perspectives de croissance selon l’OCDE sont positives.
La Chine fera +8% de croissance par exemple. Mais il faut regarder dans les détails, le diable est toujours dans les détails. Croissance et développement ne riment pas toujours. A qui bénéficiera cette croissance ? Au plus grand nombre ou à une minorité d’actionnaires de certaines industries ?
Ce qui semble certain, certaines secteurs mettront des mois voir des années à redémarrer comme la culture, l’événementiel, la restauration, le tourisme et l’aviation. D’un autre côté, les commerces qui sauront faire la transition vers le online, les services de livraison ont déjà commencé à s’en remettre voire à bénéficier de la crise.De manière générale, les diplômes perdront encore de la valeur face aux compétences d’adaptation et au soft skills : 62% des managers se déclarent prêt à recruter un candidat principalement sur ses compétences comportementales.
Mais le plus grand risque, c’est la nature de ce redémarrage, il risque de ressembler à une fuite en avant. Le capitalisme se suicide et il veut nous emmener avec lui dans la tombe. 2021 risque de ressembler à 2019 côté industries excavatrices et polluantes, c’est-à-dire nous allons assister au renouvellement des conditions qui ont causé cette pandémie. Et on pourrait avoir un COVID-21 ou 22 ou une autre pandémie dûe à ce modèle économique si on continue de produire et de consommer de cette manière-là.
Qu’est-ce que l’Etat peut faire dans tous les scénarios ?
En conclusion, la perspective de voir plusieurs vaccins contre la COVID-19 devenir largement accessible en 2021 a fait naître l’espoir d’une reprise prochaine. Mais, la route est encore longue parce qu’il y a plusieurs inconnues à l’équation. Les gouvernements doivent maintenir un soutien budgétaire exceptionnel et s’assurer que l’argent profite à ceux qui en ont le plus besoin.