Le Royaume-Uni est et reste géographiquement un pays européen. Cette donnée ne se négocie pas. En revanche, son retrait de l’Union européenne est bel et bien acté. Un retrait officialisé depuis le 31 janvier 2020. Mais concrétisé désormais par la fin de la période de transition; au cours de laquelle le droit de l’Union continuait de s’appliquer au Royaume-Uni. On entre donc dans une nouvelle ère avec le Brexit.
En effet, l’accord de commerce et de coopération signé le 30 décembre 2020 détermine les règles applicables aux relations entre le Royaume-Uni et l’Union européenne; et ce, dans un certain nombre de domaines. Il formalise ainsi une réalité juridico-pratique: les deux entités sont à la fois séparées et liées. Le Brexit est aussi une source d’enseignements sur la nature de l’intégration européenne.
L’histoire du « Brexit »
Car, l’histoire de l’intégration européenne ne relève pas du processus linéaire. Le « Brexit » l’atteste. Celui-ci vient ponctuer une relation tortueuse entre le Royaume-Uni et l’Union européenne. Depuis l’adhésion à la CEE en 1973, la participation britannique est marquée par un déficit de volonté d’intégration, concentrée sur la réalisation d’un grand marché unique; et rétive à toute logique fédérale (avec ses déclinaisons monétaires, sociales, fiscales, etc.). Si le retrait du Royaume-Uni s’inscrit dans une certaine logique; cette expérience unique est aussi une source d’enseignements. Et ce, sur la nature de l’intégration européenne, ainsi que sur le sens de l’appartenance à l’Union.
Finalement, le 23 juin 2016, les Britanniques ont voté à 51,9% des voix en faveur du Brexit. C’est-à-dire la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne. Une décision démocratique qui a été difficile à traduire en fait. L’État membre de l’Union européenne n’est pas n’importe quel État. Le concept de souveraineté paraît en effet inadapté pour rendre compte de quoi « l’intégration » est le nom. Car celle-ci se cristallise autour d’un « lien spécial » qui se matérialise par une interdépendance entre l’Union et les membres; mais aussi entre ses États intégrés eux-mêmes. C’est une logique d’interdépendance (tant avec l’organisation d’intégration qu’avec les autres membres étatiques intégrés), d’imbrication et d’interaction multiniveaux (en particulier sur le plan organique et fonctionnel) qui est à l’œuvre au sein de l’Union.
Un statut différencié pour une intégration a minima
Ainsi, en dépit d’un statut différencié qui traduisait déjà une volonté d’intégration a minima; la mise en œuvre du droit de retrait par le Royaume-Uni a d’emblée été confrontée à la difficulté de procéder à la déconstruction du lien d’intégration noué au sein de l’Union. Soit avec l’organisation elle-même, mais aussi avec ses autres membres.
Alors, l’histoire sans fin du « Brexit » nous rappelle d’abord une réalité par trop ignorée ou minorée. Effectivement, non seulement la volonté souveraine des États demeure centrale dans le processus d’intégration européenne; mais le projet d’Union revêt une dimension étatique particulièrement aiguë. L’intégration européenne s’accompagne d’un « volontarisme étatique ». Donc, la fondation, l’approfondissement et l’élargissement de l’Union sont tributaires de la volonté souveraine de l’État.
Partant, l’image d’un État membre dépeint en simple instrument assujetti à « Bruxelles » relève de la chimère simplificatrice et de la fiction idéologique. Juridiquement, le Brexit est le résultat de la mise en œuvre d’une clause de retrait suivant laquelle tout État intégré peut librement « décider, conformément à ses règles constitutionnelles, de se retirer de l’Union » (art. 50 du traité sur l’Union européenne).
Le nationalisme en Europe contre l’intégration européenne
Ainsi, non seulement l’appartenance à l’Union n’est pas définitivement acquise; mais la relation ambivalente des États à l’intégration indique qu’au-delà de la « différenciation formelle ou statutaire », les États intégrés ne partagent pas/plus la même conception et représentation du projet d’Union. La dynamique d’approfondissement ne neutralise pas les formes de résistance exprimées par des États et/ou nations, au nom d’une souveraineté et d’une identité ancrées dans leurs constitutions. D’ailleurs, des États membres (comme la Pologne et la Hongrie, mais pas seulement) n’hésitent plus à remettre en cause certaines des valeurs communes qui les lient à l’Union.
Or, le projet d’Union suppose une volonté d’adhésion qui dépasse le simple acte d’adhésion. C’est sans doute l’une des clefs d’analyse de la situation de « polycrise » qui frappe l’Union elle-même. Derrière le spectre de désintégration, il y a la difficulté toujours prégnante des États membres à concevoir le principe même d’intérêt commun et à transcender leurs intérêts individuels propres. Or, la logique individualiste est nourrie par un retour en force des « nations » et des « nationalismes » en Europe, dont les ressorts et les manifestations contredisent le sens profond d’un projet d’intégration par trop perçu comme une menace existentielle.
Des eurosceptiques affaiblis
Symbolisée par le « Brexit », cette vague — inégale et ambivalente — de désaffection des peuples à l’égard du projet d’intégration invite à repenser la place des nations dans une Union sans peuple européen…
Il n’empêche, il apparaît clairement que l’expérience britannique a eu un effet repoussoir sur les opinions publiques des 27 Etats membres de l’UE. Et que les partis politiques eurosceptiques ne sont pas parvenus à capitaliser sur le Brexit. En France, même au sein du parti nationaliste, le « Rassemblement national », la tentation d’un retrait de l’Union, en général, et de la zone euro, en particulier, n’est plus à l’agenda …