L’année 2020 s’achève dans un fracas d’angoisse, de peur, et d’incertitude. Elle finit beaucoup plus mal qu’elle n’avait commencé. Reste à savoir si nos tourments vont prendre fin avec l’annonce de la nouvelle année. Peu probable, mais l’espoir est permis.
Osons rêver d’une année 2021, bien meilleure que celle qui avait ébranlé nos certitudes et marqué au fer rouge notre économie.
Des crises, on en a bu jusqu’à la lie. Une interminable crise politique dont on ne voit pas l’issue. Elle mine le pays depuis une dizaine d’années, détruisant tout sur son passage.
L’économie en premier, qui part en vrille ; elle se rétrécie comme peau de chagrin. L’appareil productif s’affaisse, faute de nouveaux investissements et donne des signes d’obsolescence. Il détruit plus d’emplois qu’il n’en crée, distribue moins de revenus et génère peu de profit. Qui va pour l’essentiel dans les caisses de l’Etat, qui n’en a que pour ses salariés.
Ces derniers se multiplient à vue d’œil, au grand dam des contribuables, alors que les services publics, quand ils existent, n’ont jamais été aussi défaillants. La fonction publique et associés – entreprises et offices d’Etat – sont devenus, par la grâce de la révolution, le réceptacle des damnés de la terre, des sans-emploi, des diplômés au chômage longue durée que rien ne prépare à des emplois qualifiés, restés vacants, en jachère, dans l’industrie et les activités de service qui lui sont liés.
Dix années d’une crise politique qui n’en finit pas d’en finir, sans une véritable politique de sortie de crise. Elles ont installé le pays dans une sorte d’équilibre instable. Sans aucune vision, ni la moindre perspective.
D’un gouvernement à l’autre – 9 au total sur 10 ans – il n’y eut qu’une litanie, un chapelet de promesses sans lendemain. Une véritable machine à fabriquer et amplifier les désillusions et les frustrations, qui aboutissent à la propre perte des gouvernements. Ceux-ci ont fini par prendre la tangente, après s’être livrés au seul exercice qu’ils savent faire : distribuer ce qui n’a pas été produit et ce qui ne peut l’être dans les conditions d’incertitude, d’instabilité et de perte de confiance qui sont les nôtres.
« Osons rêver d’une année 2021, bien meilleure que celle qui avait ébranlé nos certitudes et marqué au fer rouge notre économie »
Ils se sont laissé entraîner sur la même pente, avec pour seule issue : le cumul des déficits, l’explosion de la dette et au final, la faillite financière. Seul point de ralliement : acheter à n’importe quel prix la paix sociale. Leur principal, sinon leur unique souci est de préserver leur survie politique. Cette démarche, en trompe-l’œil, qui tient lieu de politique, a fini par exacerber les tensions et les crises sociales.
Le traitement social du chômage et de la pauvreté se heurte assez tôt à ses propres limites, en l’absence de création de richesse. On ne gère pas le chômage, on le combat. En mettant fin à notre égarement et en retrouvant les chemins vertueux d’une croissance forte, durable et inclusive. On en est, hélas, bien loin.
Car on ne peut remporter cette bataille, sans une réelle volonté politique, portée par un Etat de droit qui soit l’incarnation d’une vision, d’un vaste dessein et d’une ambition nationale. Un Etat dont le cœur bat pour les régions, privées jusque-là de développement. Un Etat déterminé à réformer le pays, sans se laisser intimider ou reculer devant les revendications catégorielles, un Etat qui met fin au raidissement de sa propre bureaucratie, qui voit rouge à la moindre manifestation de liberté d’entreprendre et un Etat stratège qui protège quand il le faut et là où il faut, qui impulse et accompagne, un Etat qui combat la corruption, le commerce illicite et l’évasion fiscale et un Etat qui investit le champ laissé vacant par le secteur privé, qu’il gagnerait à associer à travers le PPP.
« Le traitement social du chômage et de la pauvreté se heurte assez tôt à ses propres limites, en l’absence de création de richesse »
Dix ans, qui auraient pu et dû être les dix glorieuses, ont au final réduit à néant les avancées économiques et sociales. Les tiraillements et les guéguerres politiques en ont décidé ainsi : décrochage industriel, tension et instabilité sociales, dérapages effrayants sociétaux, le tout aggravé par une crise sanitaire qui a condamné l’économie mondiale à l’arrêt et plongé la nôtre dans les ténèbres.
Le spectre de la faillite, la défiance des marchés et des agences de notation, le bouillonnement social ont de quoi provoquer un électrochoc et ranimer notre instinct de survie, à moins que le pays ne soit à l’état de mort cérébrale. Il a déjà perdu son statut d’émergent dont il s’honorait au tout début de la décennie écoulée, pour se retrouver au bas de l’échelle, en compagnie des pays à risques, autant dire peu fréquentables.
On devrait figurer parmi les premiers à se faire vacciner contre le virus plus meurtrier que lors de la 1ère vague ? Pour avoir fait, depuis toujours, du capital humain notre principal planche de salut. C’est aussi l’un des meilleurs investissements, si l’on veut sauver notre industrie touristique et nos activités exportatrices. La vérité est que la Tunisie n’est plus en capacité de jouer, fût-ce dans la cour de ses voisins les plus proches. Quel gâchis ! Le pays ne mérite pas un tel sort.
Au pays des paradoxes et des contradictions, on ne s’étonnera plus de rien. La crainte – réelle – d’une nouvelle explosion sociale aux conséquences terrifiantes devrait déclencher un sursaut salvateur. Il en fut souvent ainsi chez nous. L’imminence du danger a toujours été bonne conseillère. C’est ce qui pourrait nous arriver de mieux en 2021. On est d’autant plus fondé à le croire, qu’au plus fort de la tempête, lors du confinement général, quelques rayons de soleil ont illuminé le ciel assombri de 2020.
« La crainte – réelle – d’une nouvelle explosion sociale aux conséquences terrifiantes devrait déclencher un sursaut salvateur »
La crise sanitaire, qui a paralysé l’activité économique, a réveillé en nous notre instinct d’inventivité, de créativité et notre génie national. Et une incroyable capacité d’innovation et de dépassement de soi-même. Elle a fait remonter en surface ce que l’on croyait enfoui ou à jamais disparu : un élan de solidarité nationale qui confine à l’union sacrée. On n’imaginait pas un tel engagement qui a redonné des couleurs à notre infrastructure hospitalière, qui donnait bien des signes d’inquiétude.
On n’oubliera pas de sitôt le combat homérique, au péril de leur vie, des blouses blanches. Au personnel soignant jeté dans la bataille contre le virus, la nation reconnaissante. Le confinement nous a fait aussi prendre conscience de notre manque de considération à l’égard des sans-grade, ces soldats anonymes qui s’échinent en permanence pour assurer, à petits salaires, les fonctions essentielles à la vie. On mesure à quel point la société a été trop injuste à leur égard. Puisse 2021 leur apporter réparation et dédommagement.
2020 ne fut pas qu’une horrible année à enterrer au plus vite : la tornade de la Covid-19 nous a fait perdre près de 10 points de croissance – une hécatombe – mais pas le goût d’entreprendre et le sens des responsabilités sociales des chefs d’entreprise qui sont encore sous le choc.
L’aide de l’Etat – quand elle arrivait – n’était pas à la mesure des enjeux financiers et des pertes encourues. Pour autant, les chefs d’entreprise ont été jusqu’au bout de leurs possibilités pour éviter à leurs salariés les affres du chômage. La crise les a gravement affaiblis, tout autant qu’elle les a réhabilités et grandis. C’est de bon augure pour 2021.
Faisons le rêve que d’ici là, ce frémissement patriotique et les valeurs républicaines ne butent pas, ne se fracassent pas contre les égoïsmes partisans et les inavouables calculs de politique politicienne.
Bonne et heureuse année.