Le ministère de l’Intérieur, n’est-ce pas, pour ainsi dire, le rayon du chef de l’Etat? Que signifie « la sûreté nationale » dont il a la haute main pour les nominations? Le premier magistrat du pays ne préside-t-il pas le « Conseil de sécurité nationale »? Il faut reconnaître que la « meilleure constitution au monde » n’a pas tout réglé!
La « meilleure constitution au monde » est-elle aussi « meilleure » que cela? La question concerne de toute évidence la Constitution de janvier 2014, conçue par la Constituante de 2011. Et qualifiée ainsi par notamment les membres de la « Troïka », qui a réuni entre 2011 jusqu’à 2014, Ennahdah, Ettakatol et le Congrès Pour la République. Notamment dans ses références à la sûreté nationale.
L’occasion vient de nous être donnée ces derniers jours de la juger, concernant les prérogatives du président de la République. Et ce, à la suite du limogeage de Taoufik Charfeddine, ministre de l’Intérieur. Il était présenté comme étant un homme du président de la République, que le chef du gouvernement aurait souhaité, dit-on, relever de ses fonctions? Comme à la suite d’un probable remaniement ministériel qui toucherait d’autres départements que ceux de la Culture, de l’Environnement et de l’Intérieur. Les ministres en charge étant limogés, depuis la constitution en septembre 2020 du gouvernement Mechichi.
Et le débat n’est peut-être pas prêt de finir, concernant notamment la question suivante: le ministère de l’Intérieur est-il au même titre que celui de la Défense et des Affaires étrangères, pour ainsi dire, une chasse-gardée du président de la République?
Matière à interprétation
Tout d’abord, l’article 78 de la Constitution de janvier 2014 ne stipule-t-il pas clairement que le président de la République « procède, par voie de décrets présidentiels, aux nominations aux emplois supérieurs militaires, diplomatiques et de la sûreté nationale »?
Et si les « nominations aux emplois supérieurs de la sûreté nationale » n’incluaient pas ceux du ministère de l’Intérieur dont le premier responsable de ce département lui-même? « La sûreté nationale » n’est-elle pas la quintessence même du département de l’intérieur? lors, est-il possible de séparer cette fonction des autres assurées par un département qui a aussi la charge du développement dans les régions ou du moins une partie de celles-ci?
Ensuite, n’est-il pas, dans le même ordre d’idées, celui qui détermine « les politiques générales dans les domaines de la défense, des relations étrangères et de la sécurité nationale relative à la protection de l’État et du territoire national des menaces intérieures et extérieures »? (Article 77 de la Constitution)
Reconnaissons, et pour reprendre une formule popularisée par un sketch de l’humoriste français Fernand Raynaud, en 1966, qui a pour titre Le tailleur: « Ici, il y a comme un défaut ».
Arrêtons-nous un instant pour nous demander quel sens pourrait-on donner au mot « sûreté nationale »? Cela signifie-t-il celui d’« une force publique civile armée », selon nombre de lois dans le monde?
Y a-t-il une lacune?
Reconnaissons également qu’il y a matière à interprétation du texte. Et comme, on ne peut que le penser, la question aurait pu être tranchée par la Cour constitutionnelle. Mais, celle-ci n’est pas encore opérationnelle. Sa mise en place fait l’objet d’un certain tiraillement.
Ne peut-on autoriser que le président de la République n’ait pas la haute main sur le ministère de l’Intérieur; et ce, quand il « préside le Conseil de la sécurité nationale auquel doivent être convoqués le Chef du Gouvernement et le Président de l’Assemblée des représentants du peuple »? (Article 77 de la Constitution)
Tout ne peut-il pas être intégré dans ce vocable de « sécurité nationale » qui couvre des champs multiples; à commencer par celui de la sécurité du territoire, alimentaire et financière?
Est-il, par ailleurs, normal qu’une interprétation des textes se fasse, au moment où des opinions et des avis différents s’expriment, en défaveur de la seule personne élue au « suffrage universel, libre, direct, secret, honnête et transparent » de tout le peuple tunisien; et non pas d’une partie qui est l’expression d’une seule circonscription? (Article 75 de la Constitution)
Voilà qui donne matière à débat, à interprétation, mais aussi à polémique. Voire même à déchirement dans un paysage politique qui s’est quelquefois distingué par même la violence verbale et…physique. Le chef de l’Etat, Kaïs Saïed, en a du reste parlé assez clairement dans son adresse au peuple tunisien, le 31 décembre 2020.
Comment donc éviter que du fait de cette sans doute lacune de « la meilleure constitution au monde », les relations n’aillent pas pour le mieux entre les palais de la Kasbah et Carthage? N’a-t-on pas là une occasion supplémentaire de revoir la copie de notre loi fondamentale?