A l’heure où j’écris ces lignes, les forces de l’ordre essaient d’endiguer la perturbation provoquée par des jeunes dans le quartier où j’habite (El Mourouj). Le son des bombes lacrymogènes heurtent mes tympans violemment. Mes mains pianotent sur mon ordinateur portable à la recherche de sources fiables pour éclairer ma lanterne.
J’essaie de contacter mes connaissances dans le quartier pour avoir des nouvelles. Après plusieurs coups de fil, je me rends compte de la tension et des perturbations qui règnent en maître à quelques mètres de chez moi. En effet, rien de nouveau. Car, c’est du déjà vu. Ce n’est qu’un morne spectacle qui rappelle les janviers de 2015, 2016 et 2017. Des adolescents et des jeunes les provoquent et essaient de saccager des biens privés et publics.
D’ailleurs, j’ai pu observer plusieurs “estafettes” noires des forces de l’ordre rôder dans le quartier. Pis encore des jeunes ont tenté de piller et saccager le magasin Aziza situé à 500 mètres de chez moi. Au quartier El Fol, des jeunes ont incendié des pneus et le feu illumine l’obscurité de la nuit comme pour dévoiler les identités des jeunes. Comment ne pas être interpellé par tous ces indices: fourgons qui rôdent dans le quartier, portes fermées des maisons des familles sans défenses et un silence qui précède la tempête. On espère qu’elle sera une tempête passagère et pas un ouragan qui emporterait tout sur son passage.
Les scènes précitées font état d’un constat alarmant; à savoir que les protestataires nocturnes ne reculent plus devant rien. Ni les avertissements du ministère de l’Intérieur, ni le couvre-feu et encore moins les différentes interventions médiatiques de personnalités politiques et des acteurs de la société civile dénonçant la violence n’ont pu freiner les perturbations nocturnes récentes.
Problématique de la dénomination de ces perturbations
De prime abord, ce qui se passe pose un problème de dénomination. Certains le qualifient de mouvements sociaux et actes légitimes. Ils estiment que peu importe le moment de la protestation qu’il soit de jour ou de nuit. Car « la loi n’a pas déterminé des horaires pour protester ». Pour eux, la loi garantit le droit de manifester sans déterminer le lieu et l’heure. Et ce n’est pas uniquement cela! Ils creusent, encore, dans leurs arguments, en avançant que les actes de pillage et de violence ne sont que la réponse à la violence de l’Etat! Pour eux, cette violence est représentée par les forces de l’ordre. Dans la même logique, ils assimilent les agissements de ces jeunes à ceux des Gilets jaunes en France!
D’autres estiment que c’est du pillage et du vandalisme. L’argument majeur de ce point de vue, consiste à dire que la grande majorité des mouvements sociaux, protestations, sit-in et autres expressions de colère se déroulent durant la journée. Les défenseurs de cette thèse avancent qu’un protestataire ayant des revendications légitimes n’a pas à brandir ses slogans la nuit et surtout pendant le couvre-feu. Ce dernier, s’il le veut, pourrait crier sur tous les toits, pendant la journée, sa colère et son mécontentement contre les « politiques d’appauvrissement adoptées par l’Etat ».
Contrairement aux perturbations, les protestations doivent rimer avec pacifisme
D’ailleurs, les protestations devraient rimer avec pacifisme. Sinon elles risquent de perdre la crédibilité et la sympathie des uns et des autres. Si on parle de sit-in pacifique, à titre d’exemple, on pourrait évoquer celui des docteurs chômeurs. Ils observent un sit-in depuis plus de six mois au ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique.
Ainsi, il s’agit de deux points de vue majeurs qui se sont confrontés. Et ce, tout au long de cette journée sur les réseaux sociaux. Les défenseurs de ces deux thèses n’ont pas hésité à argumenter leurs propos. Mais force est de constater qu’en dehors des réseaux sociaux, la réalité est toute autre. Magasins pillés, distributeurs cassés, l’odeur des bombes lacrymogènes flotte partout et les forces de l’ordre se mobilisent pour endiguer le pillage, afin de limiter les dégâts.
Une scène atypique
A mon sens, si on a à retenir une seule scène de cette journée mouvementée, ce sera celle où deux policiers interpellent deux pilleurs calmement à Cité Ettadhamen: « Arrêtez, c’est votre pays, vous ne faites que le détruire, nous sommes tous des Tunisiens ». Mais les deux jeunes ne manquent de répondre avec des insultes. Une vidéo qui a tant ému les internautes. Car, les propos des deux policiers auraient brisé une idée reçue chez une bonne partie des Tunisiens…
Cette vidéo a été massivement partagée sur les réseaux sociaux. Mais d’autres internautes ont choisi de partager une vidéo filmée au gouvernorat de Siliana montrant un policier agresser un berger. Tout ce contenu numérique a bel et bien son influence et oriente d’une manière ou d’une autre l’opinion publique.
L’heure d’agir sonne
Autre élément de réflexion. Les zones concernées par les perturbations sont celles de la pauvreté et de la marginalisation des jeunes. Ils s’agit notamment de Mellassine, Ezzahrouni, El Intilaka, Daouar Hicher, Gafsa, Sidi Bouzid et Béjà. Bien évidemment, nous refusons d’admettre que pauvreté et la marginalisation sont les moteurs de la violence. Et qu’elles peuvent servir de prétexte pour justifier le pillage. La preuve en est que Sousse et Bizerte ont connu des scènes similaires. Le scénario se répète souvent: des jeunes qui lancent des pierres contre les forces de l’ordre. Et les forces de l’ordre qui répondent à coup de lacrymogène. La violence engendre la violence.
Entre les arguments des uns et les justifications des autres, il semble que cette spirale de violence ne s’arrêtera pas de sitôt. Faut-il encore rappeler que les trois présidences ne se sont pas encore exprimées sur le sujet? Alors que l’intervention devient de plus en plus urgente et avant que les dégâts humains soient enregistrées et que la situation devienne irréversible…