De quoi se fera le vécu des Tunisiens qui ne cessent de voir retardé l’espoir d’une sortie de crise économique? Les récentes déclarations de Seifeddine Makhlouf et de Mohamed Abbou, nouveaux et anciens alliés d’Ennahdah, mouvement qui truste la vie politique depuis 2011, donnent à penser que ce n’est pas demain la veille.
Survenus le même jour, deux événements en disent long sur les majorités qui se font et se défont dans notre pays au grand dam des Tunisiens. Le premier est le communiqué émanant, le 16 janvier 2021, du Bureau de l’Assemblée des Représentants du Peuple (ARP) condamnant les actes de violence dans l’enceinte de cette Assemblée exercés par la coalition Al-Karama (18 députés). Ce qui n’a pas manqué de provoquer la colère de ce mouvement et de son chef, Seifeddine Makhlouf, contre le parti islamiste dont le président dirige le parlement.
Le second est l’attaque en trombe de Mohamed Abbou, ancien chef du Attayar ou Courant démocratique, qui n’y est pas allé, dans une interview avec Attassya (La neuf), de main morte. Et ce, pour dire tout le mal qu’il pense de son ancien allié Ennahdah. Il a notamment qualifié le parti islamiste de « bande » et l’a accusé de financement illicite.
Un « coup de poignard dans le dos »
Pourtant, le jour même, les députés d’Attayar décidaient d’interrompre leur sit-in au siège de l’ARP. Après que le Bureau de l’Assemblée avait publié le communiqué comme ils le souhaitaient.
Ainsi, il ne faut pas beaucoup de capacité d’analyse pour comprendre que ces deux événements ne vont qu’avoir des influences sur le vécu du parlement. De même que les répercussions s’en ressentiront sur le travail du gouvernement dont la coalition d’Al-Karama fait partie de son « coussin politique ». Certes, Mohamed Abbou n’est plus le secrétaire général d’Attayar, mais il garde toujours une certaine influence. Et le mouvement a la même ADN que son ancien patron.
Quant à la coalition d’Al-Karama, elle n’a pas déjà caché qu’elle ne comptait pas avoir les mêmes relations, que certains décrivent comme celles d’un « parechoc », avec le mouvement islamiste. D’ailleurs, le porte-parole d’Al-Karama, Seifeddine Makhlouf, n’a-t-il pas souligné que le communiqué de l’ARP est un « coup de poignard dans le dos » ?
A moins que cela ne soit une manœuvre? Certains suggèrent même que le contenu du communiqué aurait été bien négocié avec la coalition de Seifeddine Makhlouf. Et ce, pour assurer une sortie de crise au sit-in d’Attayar et en vue de pouvoir permettre à l’ARP de reprendre ses activités!
Autant dire que l’instabilité, tant au niveau de l’ARP qu’à celui du gouvernement, a encore quelques beaux jours devant elle. Une instabilité qui n’est pas pour arranger les affaires du pays. Car, les acteurs politiques n’ont pas, à ce niveau, compris, dit-on dans certains milieux, la sonnette d’alarme de l’International Crisis group.
« La confiance minée »
En effet, ce think tank qui dit s’employer à « tirer la sonnette d’alarme pour éviter un conflit », soulignait, en 2018, que la crise politique en Tunisie « paralyse l’action publique et le travail législatif, divise et discrédite la classe politique; en minant la confiance à l’égard des institutions. Comme elle diminue la capacité du pays à faire face à des évènements imprévus, tels que des attaques jihadistes ou des émeutes de grande ampleur; et alimente la tentation autoritaire ».
Cela fait bien un bail que les majorités changent au quart de tour dans notre pays depuis 2011. Tout d’abord, il y eut Ennahdah avec Ettakatol et le Congrès Pour la République (CPR). Puis, l’ex-parti de Mohamed Abbou, Ennahdah avec Nidaa Tounes. Ensuite vint Ennahdah avec Tahya Tounes; et encore, Ennahdah avec Qalb Tounes et la coalition Al-Karama, enfin. Qui dit mieux?
Et chaque fois les chamailles ne manquent pas, constituant le plat de résistance des regroupements qui se font pour aller à la conquête du pouvoir. Les propos conflictuels des présidents Mohamed Moncef Marzouki (CPR) et de Mohamed Béji Caïd Essebsi (Nida Tounes) résonnent encore dans nos têtes.
Des alliances qui semblent souvent contre nature. En créant Nidaa Tounes, le président Caïd Essebsi et les militants qui l’ont entouré, en 2012, ne l’ont-ils pas fait pour s’opposer à la politique d’Ennahdah et à son action en vue de dominer la société?
Peut-on croire que cette éternelle instabilité va permettre au pays de sortir de sa crise économique? Difficile en réalité. L’histoire n’est-elle pas un perpétuel recommencement?
Alors, impossible de ne pas croire, dans ces conditions, que pour les partis l’occasion nous est donnée de nous assurer que seule la conquête du pouvoir et des maroquins ministériels intéressent. La satisfaction des attentes de la population, cela peut sans doute attendre!