Alors que le premier mois de 2021 n’est pas encore arrivé à son terme, voici que la Maison d’édition Miskiliani publie un roman qui fera date dans la littérature tunisienne en langue arabe. Qiyamat Al Hashshashin قيامة الحشاشين (La Résurrection d’Al Hashshashin en français) de l’écrivain tunisien Hédi Timoumi (à ne pas confondre avec le célèbre historien Hédi Timoumi), disponible dans les librairies depuis samedi 23 janvier, tient le lecteur en haleine jusqu’à la dernière ligne de ses 455 pages. L’Economiste Maghrébin a lu pour vous ce roman.
Début de l’histoire de la Résurrection d’Al Hashshashin : un enseignant universitaire tunisien d’histoire n’aurait jamais imaginé, en découvrant des vieux manuscrits dans une tombe pendant des travaux de bâtiment dans sa villa, qu’il ouvrirait les portes de l’Enfer. En effet, le professeur universitaire trouve les psaumes et le testament de Hasan-i Sabbâh, le chef de la branche chiite ismaélienne des Nizârites et le fondateur de l’Ordre secret appelé Al Hachachine (Les Assassins) au XIIème siècle, dont les membres maîtrisent parfaitement les assassinats silencieux, l’infiltration et l’espionnage. D’ailleurs à la seule évocation de leur nom, les décombres et le sang sont convoqués. La découverte des psaumes devient l’instigatrice de l’aventure et déclenche les péripéties.
Historiquement, les membres de cette secte vouent presque une idolâtrie à ce fondateur et lui doivent une obéissance inconditionnelle. Cette secte a réalisé de nombreux assassinats de plusieurs personnalités politiques au XIIème siècle. Même Saladin échappa, par miracle, à leur plan d’assassinat. Et les Croisés craignaient également cette secte. Pour rappel, il fallut attendre le fondateur de la dynastie mongole des Houlagides, Houlagou, pour qu’elle puisse être exterminée, en 1275. Et ce, après le siège et la destruction de leur forteresse à Alamut, à Qazvin en Iran.
Quand le mal traverse les siècles
Pour décrypter le contenu des psaumes, le protagoniste, en marge de sa participation à un colloque scientifique au Yémen, tente de partir à la quête de la vérité. Mais voici qu’il devient la cible des descendants de deux sectes. Une qui veut récupérer les psaumes, tandis que l’autre qui veut les détruire. Ainsi les portes de l’Enfer ont été ouvertes dès la première page du roman. D’ailleurs, ce roman est, entre autres, celui de la fuite des enfers. C’est le roman du sang qui coule à flot, des énigmes successives et de la résurrection des vieux démons, avec la complicité des démons d’aujourd’hui.
Ce roman est une véritable réflexion sur l’extrémisme, le fanatisme, le danger que présentent l’endoctrinement et les Ordres secrets. Chaque page est un cri de rage alertant sur la possibilité de la résurrection du Mal et des vieux démons, même des siècles après. Il faut juste lire entre les lignes pour se rendre compte que seul le décor a changé: les armes à feu et les snipers ont remplacé les dagues et les épéistes. Hasan-i Sabbâh a cédé sa place à d’autres maitres qui prêchent le terrorisme, la haine et l’enfermement aux jeunes du XXIème siècle.
Une aventure dans la langue
Hédi Timoumi ne se contente pas de sa parfaite maîtrise de la langue arabe littéraire. En effet, il surpasse l’étape de la maîtrise de la langue pour atteindre celle de la manipulation et de la perfection. Comme nous l’avons expliqué, les événements du roman se déroulent dans deux cadres spatio-temporels. Le XXIème siècle qui correspond à la Tunisie, le protagoniste, les personnages adjuvants et le XIIème qui se passe, entre autres, au Yémen, en Iran, avec ses différents conteurs et la secte des Assassins.
Quand l’auteur laisse libre cours aux personnages vivants au XIIème siècle, il fait surgir une langue arabe littéraire soutenue digne de cette époque historique. L’auteur, en invoquant ce registre archaïque, manie la langue tel un chevalier médiéval qui manie son épée à la conquête d’une princesse inaccessible dans une forteresse imprenable, ou comme un héros arthurien dans sa course à la quête du Graal.
En évoluant dans cette perspective, l’auteur défie le poète irakien du Xème siècle Al-Mutanabbī et le écrivain et épistolier arabo-persan du Xème siècle Badi’ al-Zamān al-Hamadāni sur leur propre terrain. Les partisans de la littérature moderne pourraient dire que l’arabe du XIIème n’a pas sa place dans le roman arabe moderne. Mais voici que Hédi Timoumi, par le truchement de son verbe, balaie d’un revers de la main ce raisonnement. Ainsi à chaque époque historique dans le roman son registre de langue. Cela permet de remplir deux fonctions essentielles. La première est celle de la vivacité des personnages et leur adéquation avec l’époque dans laquelle ils vivent. Le tout contribue à la création d’un effet de réel chez le lecteur. La deuxième fonction consiste à faciliter les nombreux allers-retours entre les cadres spatio-temporels.
Un roman inclassable
Un roman inclassable? Oui, il l’est bel. Disons que ce roman ne se prête pas facilement aux règles rigoureuses des sous-genres littéraires. La multiplication des péripéties violentes nous oriente vers le roman d’aventures. Mais, les énigmes qui se succèdent auxquelles le personnage principal fait face, nous offrent une autre piste de lecture, à savoir le roman policier.
Alors que les références historiques et les différents espaces et les allers-retours entre les époques historiques orientent le lecteur vers la possibilité du roman historique. Libre aux lecteurs/critiques de classer le roman à leur guise. Mais une chose est sûre: ce roman sera l’un des incontournables de la littérature tunisienne arabophone de l’après 14 janvier 2011.