Les manifestations auxquelles nous avons assisté ces derniers jours ont montré un fossé qui se creuse entre les jeunes et moins jeunes. Que faut-il comprendre? Kerim, Bouzouita anthropologue, dresse un état des lieux dans une déclaration à leconomistemaghrebin.com
Kerim Bouzouita souligne: « Les manifestations auxquelles nous assistons surgissent dans un contexte de ras-le-bol mondial comme une réaction à la crise que vit la civilisation humaine dans son expression la plus limpide : une pandémie causée par le capitalisme suicidaire. Les jeunes sont au premier rang de la contestation parce qu’ils sont les grands perdants de ce modèle. C’est eux qui subissent toute la violence de l’inversion des courbes de croissance, de l’emploi et du pouvoir d’achat. Les Etats ont tout simplement laissé tomber les jeunes, et c’est encore plus saillant en Tunisie où une proportion très importante de jeunes ne bénéficient pas de couverture sociale. »
Selon lui, cela se traduit également au niveau politique. Car les partis ont échoué à attirer les jeunes qui les désertent (moins de 8% affirment avoir assisté à une réunion d’un parti politique). Mais il serait réducteur de réduire ce ras-le-bol à des causes matérielles uniquement.
« L’Etat a pour seule réponse la violence en uniforme »
Avant d’ajouter: « C’est tout l’archaïsme de l’Etat, sa relation verticale avec les citoyens et la tentation sécuritaire dont il a fait preuve durant les dernières semaines qui expliquent également la généralisation de l’insoumission des jeunes. Quand l’Etat a pour seule réponse la violence en uniforme, ce n’est pas une démonstration de force mais de faiblesse qu’il fait. Cette absence de conscience d’établir un dialogue, cette absence de volonté et d’action d’intégrer les jeunes dans le jeu démocratique ne peut qu’alimenter la colère de la plus grande partie de la population tunisienne (60% des Tunisiens ont moins de 35 ans). »
Kerim Bouzouita ajoute: « Les archaïsmes de la gérontocratie sont doublés par l’égocratie des décideurs et des représentants de l’autorité publique à tous les niveaux de l’Etat. L’arrogance du “je sais mieux que toi ce qui est bon pour toi” ne fait plus illusion pas plus que le discours des partis politiques qui ont occupé l’espace public depuis 2011. Au final, la gérontocratie de la transition démocratique semble refaire les mêmes erreurs que la kleptocratie du régime novembriste : discours creux, absence d’action, accointances avec les princes de l’économie de rente et les barons de l’économie informelle, intérêts corporatistes. »
« Ces vagues contestataires vont s’amplifier »
En somme, d’après Kerim Bouzouita: « Ces vagues contestataires vont s’amplifier. C’est une fatalité sociologique. Einstein disait que “c’est de la folie, c’est de faire toujours la même chose et de s’attendre à un résultat différent”. Devrons-Nous pour autant nous inquiéter pour la démocratie tunisienne ? Bien au contraire. La contestation des jeunes est l’expressions de leur appétit de peser dans la politique. Ils le font parfois avec créativité comme la brigade des clowns activistes qui s’inspirent de concepts philosophiques profonds (Rhizomes de Gilles Deleuze). Ils le font aussi dans la provocation dans une recherche de l’esthétique de l’image contestataire qui sera massivement diffusée à travers le web social. »
Et de conclure: « Nous sommes entre deux moments politiques : l’ancien monde politique hérité de la dictature. Celui-ci est en train de sombrer inévitablement et définitivement et de l’autoritarisme dont il fait preuve est la marque de son chapitre final. Et en face, un nouveau monde politique émerge de la marge et il va s’organiser dans les prochaines années pour prendre les rênes du destin politique de la Nation. », conclut-il.