Il n’est donc plus nécessaire de prêter serment avant de faire partie du Gouvernement.
Depuis le temps qu’on avait compris que prêter serment ne préjugeait nullement des vertus républicaines, la cérémonie tenait plus du gala de charité que de la prise de fonction solennelle.
Au plus près, on a même eu droit à un chef de Gouvernement fraîchement adoubé, Fakhfakh, rapidement voué aux gémonies pour cause de conflit d’intérêts. La République est ainsi faite de multiples « stop and go », qui animent les discussions de café et le petit four des salons.
Tout le monde se prévaut, bien entendu, d’une application scrupuleuse de la Constitution, quand tout un chacun s’applique à détricoter l’édifice juridique né, avec fracas, de l’épisode révolutionnaire.
Du coup, quand le Président élu en vertu de cette Constitution rappelle que ne prêteront serment que ceux qui ne font l’objet d’aucune suspicion de corruption, l’ARP a effectué vite fait la manoeuvre de contournement qui redonne de la virginité au gouvernement Mechichi deux.
« La République est ainsi faite de multiples « stop and go », qui animent les discussions de café et le petit four des salons »
Le premier, pourtant tout aussi bien adoubé par la même ARP, avait sombré plus rapidement que le temps de faire sécher l’encre des signatures. Pour le reste, le même Mechichi affirme que la manœuvre en question vise à assurer la stabilité gouvernementale.
Les mots n’ont évidemment pas le sens que tout le monde connait. Dans le cas d’espèce, la stabilité tient de l’équilibrisme sans filet. Sans chemise, sans pantalon, disait la chanson. Et K. Saïed n’en rate pas une pour tirer à boulets rouges, cette fois en prenant à témoin le Conseil de sécurité. Il continue ainsi à saper les fondements d’un système qu’il s’affaire, justement, à détricoter.
Dans cette affaire, il vient de démontrer que le système en question se délite par ses contradictions propres. Monsieur Propre lave plus blanc, surtout quand les tâches sur le tricot sont résistantes. Il le fait manifestement avec autant de délectation que les tenants du système qui s’accrochent aux rideaux pour sauver leur peau, et les prébendes de la République qui vont avec.
Cela n’a pas empêché ces derniers de remettre par écrit leur décision de passer outre la cérémonie du serment, cérémonie qu’ils jugent finalement comme le serment d’hypocrite.
Ainsi, le Président élu au suffrage universel est appelé à avaler la couleuvre, sans dire cependant s’il s’agit de couleuvre ou de vipère. On n’en est même plus là dans l’échange des civilités, puisque chacun des protagonistes tente de tirer le vis-à-vis par la barbichette. Les plus diserts parmi les juristes devenus exégètes de la chose publique disent que la pratique n’enfreint aucune clause de la Constitution.
« Le Président élu au suffrage universel est appelé à avaler la couleuvre, sans dire cependant s’il s’agit de couleuvre ou de vipère »
Et c’est peut-être à ce niveau que le bât blesse. Les tenants du juridisme de circonstance n’ont, en fait, rien à faire de la clause principale de n’importe quelle Constitution : la confiance. Dans le cas d’espèce et s’agissant de la cérémonie de serment, le locataire marque un véritable pénalty, comme on dit dans le monde de référence, le football. Il dit au commun des Tunisiens que le Gouvernement adoubé par l’ARP ressemblerait quelque part à un panier de crabes.
Ce jugement est probablement excessif, il n’en reste pas moins que c’est ce qui sera retenu de cet épisode. La confiance n’est déjà pas très forte entre les différents protagonistes politiques, elle ne pourra que s’effriter encore plus, si cela pouvait être encore possible.
La conjoncture nationale, à tous points de vue, et les aléas internationaux nécessitent, comme dit Mechichi, la plus grande stabilité. Mais il n’est pas nécessaire d’être grand clerc pour savoir que la stabilité est la fille ainée de la confiance.
Les élections successives ont, certes, permis de remplir les cases des charges politiques, il n’en reste pas moins que les élites partent à l’étranger et que les entrepreneurs n’entreprennent plus vraiment.
Pour une raison principale : le délitement de la confiance. Les diatribes « héroïques » au Parlement et ailleurs détricotent avec constance les habits de la révolution, advenue pour le mieux-être. En fuyant, les mailles mettent à nu les incompétences des uns et les égoïsmes des autres.
Par temps de pandémie, les masques ne suffisent pas à guérir le corps politique, surtout quand l’air est vicié.