L’industrie de la finance subit depuis quelques années l’accélération du rythme des innovations technologiques.
Dans un horizon temporel de cinq à dix ans, le paysage des produits et services financiers devrait changer profondément notamment sous l’effet de nouvelles tendances comme la blockchain et les crypto monnaies. La transformation technologique ne touche pas uniquement les services et les produits financiers, mais bouleverse les chaînes de valeur et les business modèles des différents opérateurs.
La course à la digitalisation dans le secteur financier
Selon le Hype Cycle for Digital Banking Transformation, 2019 (figure 1), de nombreuses technologies utilisées dans le secteur bancaire se trouvent dans la phase de la désillusion notamment la blockchain dans les services bancaires et d’investissement, le Public Cloud ou les modèles de plateforme bancaire collaboratrice. Seules les technologies d’authentification biométrique semblent proches de la phase de production en masse.
Le Hype Cycle a pour objectifs de recenser les nouvelles technologies qui auraient un impact significatif sur l’industrie bancaire à court et à moyen terme ;
et d’établir la phase dans laquelle se trouve chaque technologie en fonction de son degré de maturité.
Le Hype Cycle est une courbe en cinq phases par lesquelles devrait passer une technologie émergente avant d’atteindre l’étape de production sur grande échelle. Les cinq phases du Hype Cycle sont :
- L’enthousiasme des débuts (Innovation trigger) : Il s’agit de la phase de lancement d’une nouvelle technologie ou d’un prototype ;
- Les pics des attentes démesurées (Peack of Inflated Expectations) : au cours de cette deuxième phase caractérisée par un emballement médiatique pour la nouvelle technologie, les attentes des utilisateurs sont disproportionnées et peu réalistes. La nouvelle technologie est exploitée et diffusée plutôt par des startups ;
- Le gouffre de la désillusion (Through of Disillusionment) : les produits développés au cours de cette phase sont en dessous des attentes. Ce qui se traduit par une déception médiatique autour de la nouvelle technologie ;
- Le retour en grâce (Slope of Enlightenment) : au cours de cette phase, des produits et des services de deuxième génération sont développés par les entreprises les plus persévérantes. La nouvelle technologie commence à trouver le chemin de la concrétisation de ces promesses ;
- Le succès ou la phase de production en masse (Plateau of Productivity) : durant cette dernière phase, la technologie est assez mature pour permettre le développement de nouveaux produits et services dits de troisième génération.
« Le Hype Cycle a pour objectifs de recenser les nouvelles technologies qui auraient un impact significatif sur l’industrie bancaire à court et à moyen terme »
Parallèlement au Hype Cycle, le rapport Gartner, 2019 établit une matrice de priorités qui permet une segmentation des technologies en fonction de deux critères, à savoir leur impact de transformation attendu et leur degré de maturité.
En effet, la matrice de priorité classe les nouvelles technologies dans le secteur bancaire en fonction de trois niveaux de transformation attendue : faible, modéré et élevé et selon trois horizons temporels différents : court, moyen et long terme.
Ainsi, selon la Priority Matrix for Digital Banking Transformation, 2019 (figure 2), la blockchain devrait avoir un impact de transformation élevé mais un horizon temporel de cinq à dix ans. Les modèles d’authentification biométrique sont considérés comme ayant un impact de transformation faible mais sur un horizon plus court entre 2 et 5 ans.
En 2020, l’institut Gartner a mis l’accent sur l’impact de la pandémie du Covid-19 sur l’évolution des technologies émergents. L’impératif de distanciation physique a stimulé la création de nouvelles solutions technologiques comme les applications de traçage.
L’industrie financière, vers de nouvelles chaînes de valeur
La transformation technologique et digitale vécue par le secteur financier au cours des dernières années devraient se traduire à moyen et à long terme par des gains d’efficience pour l’économie mondiale et par une plus grande inclusion financière.
Selon la base de données Global Findex, entre 2014 et 2017, plus de 500 millions d’adultes dans le monde ont ouvert un compte auprès d’une institution financière ou via un prestataire de services bancaires par téléphonie mobile.
En 2017, le taux moyen de bancarisation dans le monde est estimé à 69 %, contre 62 % en 2014 et 51 % en 2011 (Carte 1). Néanmoins, des écarts notables entre les pays développés et en développement persistent. Dans les économies à revenu élevé, 94 % des adultes détiennent un compte, contre 63 % dans les économies en développement (World Bank Group, 2018).
En réduisant les coûts de transaction sur les marchés financiers et en rapprochant l’offre à la demande de biens et de services financiers, la transformation technologique devrait baisser les coûts de production dans l’industrie financière et in fine les prix.
A travers l’accès à une offre de variété de services financiers sur mesure, la transformation digitale devrait également accroître la satisfaction et le bien-être des consommateurs.
Néanmoins, sur le court terme, cette transformation engendrerait des coûts de restructuration côté offre et nécessiterait un effort d’adaptation de la part des consommateurs.
« En 2017, le taux moyen de bancarisation dans le monde est estimé à 69 %, contre 62 % en 2014 et 51 % en 2011 »
La chaîne de valeur de l’industrie financière a été complètement déstructurée sous l’effet de la transformation digitale pour être restructurée différemment. Certains auteurs estiment qu’il s’agit d’une vague de destruction créatrice schumpétérienne d’une ampleur et d’une vitesse inédite (Della Chiesa et al. 2019, p.32).
La chaîne de valeur des acteurs traditionnels de la finance a jusqu’à présent conduit à l’externalisation des activités secondaires et de support. La logique d’externalisation est désormais imposée par des contraintes technologiques à travers le recours aux grands acteurs technologiques (Bigtechs).
Les acteurs traditionnels de la finance se trouvent de facto en situation de dépendance vis-à-vis d’un nombre réduit de Bigtechs. Au risque de dépendance auquel se trouvent exposés les acteurs traditionnels individuellement, s’ajoute un risque systémique : le nombre réduit des Bigtechs et ainsi que leur taille sont des facteurs caractéristiques d’un risque potentiellement systémique.
La fonction d’intermédiation financière, assurée traditionnellement par les banques n’est plus la première de source de valeur pour les banques. De nombreux acteurs sur les marchés financiers qui jusqu’à récemment fonctionnaient sous l’hypothèse de l’efficience informationnelle réduite, peinent à trouver de nouvelles sources de profit face à l’avènement de la data.
La transformation technologique a fait émerger de nouveaux acteurs, dits de pures players dont le modèle économique repose sur l’utilisation de la technologie en tant qu’activité principale génératrice de valeur. Les acteurs traditionnels ont investi plutôt dans la restructuration de la chaîne de valeur existante en développant l’usage des nouvelles technologies. Cette restructuration a pour objectif de réaliser des économies de coûts en internalisant uniquement les activement encore rentables.
« La fonction d’intermédiation financière, assurée traditionnellement par les banques n’est plus la première de source de valeur pour les banques »
A titre d’exemple, la vague d’innovation des fintechs avait pour cible la banque de détail. A travers une transformation en aval de la chaîne de valeur des banques notamment l’expérience client, cette première vague n’a pas atteint les banques de financement et d’investissement (BFI).
En revanche, la seconde vague pilotée par la technologie de blockchain semble atténuer les barrières à l’entrée ayant jusqu’à présent épargner les BFI de la concurrence des nouveaux entrants.
En effet, la blockchain permet à travers notamment les consortiums de créer des formes de coopération entre banques (applications communes comme R3 et Digital Asset Holdings).
La blockchain est une technologie de rupture fondamentale pour l’ensemble de système financier. Elle se traduirait dans le moyen et le long terme par une refonte totale de l’infrastructure existante. Néanmoins, à l’heure actuelle, les différentes utilisations de la blockchain demeurent dans la phase de lancement.
Vers de nouvelles règles sur les marchés financiers
La transformation digitale a renforcé l’hypothèse de transparence des marchés en réduisant considérablement le coût d’accès à l’information. En augmentant le volume de l’information disponible et en facilitant le traitement et l’analyse de cette information, la digitalisation a également modifié les processus de décision classiques aussi bien au niveau opérationnel que stratégique.
Néanmoins, selon une enquête menée en 2014 par Capgemini Consulting auprès de plus de 100 de responsables financiers (CFOs), la transformation technologique est perçue comme un facteur de performance déterminant dans les entreprises françaises et européennes.
La transformation digitale modifie les règles de jeu au niveau des marchés financiers pas uniquement en renforçant la transparence mais également en diminuant les barrières à l’entrée. Elle refaçonne également les comportements individuels aussi bien des producteurs de services financiers (banques, compagnies d’assurance fonds d’investissement, fonds de pension etc.) que des consommateurs (entreprises, épargnants, individus).
L’offre non seulement se diversifie, mais elle évolue constamment. Certains produits disparaissent, d’autres apparaissent. La dynamique de cycle de vie des produits et services financiers évoluent rapidement. Le nombre de produits financiers ayant atteint la phase de maturité voir de déclin ne cesse d’augmenter. Les produits de substitution peinent à quitter la phase de lancement puisque certaines technologies associées à ces produits sont encore en phase d’expérimentation.
La digitalisation a également modifié les processus de décision classiques aussi bien au niveau opérationnel que stratégique
Les entreprises du secteur financier investissent dans la transformation digitale pour s’adapter à une demande en constante évolution. La concurrence devenue de plus en plus rude, notamment avec l’entrée de nouveaux acteurs, impose aux opérateurs classiques d’importantes économies de coûts.
La concurrence parfois déloyale entre les opérateurs classiques et les nouveaux entrants au secteur financier modifie les règles de jeu sur le marché. Tandis que les opérateurs classiques principalement les banques, sont soumis à une réglementation prudentielle de plus en plus strict, les nouveaux entrants s’implantent sur des segments du marché souvent caractérisés par un cadre juridique en cours de construction avec des règles assouplies.
Soumis à la double contrainte d’une réglementation prudentielle et de surveillance en constante augmentation et des investissements dans la transformation technologique relativement lourds, les acteurs financiers classiques peinent à trouver un nouvel équilibre sur le marché.
En revanche, les nouveaux acteurs dont les fintechs bénéficiant d’un avantage comparatif certain au niveau technologique, et échappant aux barrières à l’entrée des acteurs classiques, se placent en leaders sur le nouveau marché financier.
Les acteurs classiques conscients de leur désavantage concurrentiel, préfèrent dans certains cas investir dans des stratégies d’imitation des nouveaux entrants en créant de nouvelles entités autonomes opérant sur les nouveaux segments.
Références
Gartner (2019) Hype Cycle for digital banking transformation, 2019
Della Chiesa, M., Hiault, F., & Téqui C., Blockchain : Vers de nouvelles chaînes de valeur, Editions Eyrolles, Paris, 2019.
World Bank Group (2018) “The Global Findex Database 2017: Measuring Financial Inclusion and the Fintech Revolution”, Washington, D.C., DOI: 10.1596/978-1-4648-1259-0.
Capgemini Consulting (2015) “Digital transformation to empower CFOs” retrieved from https://www.capgemini.com/consulting-fr/wp-content/uploads/sites/31/2017/08/digital_transformation_to_empower_cfos.pdf