Au cours de la même journée du mercredi 10 février en cours, Kaïs Saïed réunissait autour de la même table une douzaine de députés sinon acquis à sa cause de moins compréhensible pour certains d’entre-eux. De son côté, le chef du gouvernement Hichem Mechichi s’entourait d’un panel de juristes pour avis. Alors qu’il aurait suffit que les deux têtes de l’Exécutif se parlent directement, les yeux dans les yeux. Mais c’est trop demander: égo surdimensionné exige!
En géométrie euclidienne, deux droites parallèles se coupent à l’infini. Ce théorème de l’Antiquité résume parfaitement le destin de deux hommes de pouvoir dont le chemin ne mène nulle part. Sauf à l’affrontement stérile entre deux présidences et au bras de fer duquel personne ne sortira indemne.
Ainsi, enveloppées dans leurs bulles respectives, coupées du monde, s’excluant mutuellement, cherchant chacun à délimiter son territoire, quitte à piétiner celui de l’autre, les deux têtes de l’Exécutif se sont mesurées hier mercredi à distance.
En effet, le président de la République, Kaïs Saïed, réunissait une douzaine de députés qui lui sont acquis au Palais de Carthage. Pour sa part, et en parallèle, le Chef du gouvernement, Hichem Mechichi, s’entourait d’un panel de juristes et de professeurs de droit constitutionnel. Et ce, à la recherche d’une issue à une crise dont l’essence est d’ordre politique entre les deux présidences.
Les ennemis de mes ennemis sont mes amis
Mais d’abord, faisons un détour par le palais de Carthage pour signaler que Kaïs Saïed avait réuni autour de la table une douzaine d’élus de la Nation, soigneusement choisis. Et dont le dénominateur commun est d’abord qu’ils partagent sa façon de gérer le conflit qui l’oppose au locataire de la Kasbah. Ensuite, qu’ils sont des farouches détracteurs du très contesté président de l’ARP, Rached Ghannouchi.
Car autour de la table présidentielle siégeaient entre autres, tenez-vous bien: Zouhaïer Meghzaoui et Haykel Mekki du Mouvement Echâab; Samia Abou, Hichem Ajbouni et Nabil Hajji du Courant Démocratique; Mustapha Ben Ahmed, le vieux routier de Tahya Tounes; ainsi que les indépendants Hatem Mliki et Khaled Gassouma. De même que Naoufel Jemli et Samir Dilou du mouvement Ennahdha. Sachant que ce dernier est l’un des dirigeants de premier plan du Groupe des 100.
Politique d’exclusion
Pourtant, le chef de l’Etat a omis sciemment d’inviter Qalb Tounes, le deuxième bloc parlementaire à l’hémicycle. Et encore moins le Parti Destourien Libre (PDL) d’Abir Moussi, ni la coalition d’Al Karama de l’infréquentable Saiefeddine Makhlouf.
S’agit-il d’une erreur politique? Certainement. Car Kaïs Saïed aurait dû, au moins pour la forme, envoyer une invitation à ces formations politiques que tout le sépare. Et ce, afin de démontrer sa bonne volonté en tant que président rassembleur. En cas de désistement, ces formations auraient assumé leur responsabilité. Une habile carte politique que le Président n’a pas su exploiter.
D’ailleurs, cette politique d’exclusion incitait Abir Moussi à crier haut et fort ne pas être surprise d’être écartée de la dite réunion. « Nous ne nous attendions pas à ce qu’il nous invite. Il a prouvé une fois de plus qu’il ne pas joue pas son rôle fédérateur ». Ainsi, s’exprimait-elle hier, sur les ondes de Mosaïque fm, en utilisant la troisième personne pour parler du Président.
Les exigences du Président
Que ressort-il de cette réunion? D’après le communiqué publié par la présidence de la République, Kaïs Saïed a souligné que « de multiples dépassements entachent le remaniement ministériel ». Ajoutant que « nous sommes dans un pays libre et la résolution de la crise ne peut se faire que par le respect de la Constitution. Et non en s’appuyant sur des suppositions et des fatwas qui peuvent sembler justes, mais qui, au fond, violent la constitution ».
En bref, et pour décoder ce message, le Président est d’avis que le gouvernement dans sa totalité devrait être démis. Y compris Hichem Mechichi, si ce dernier refusait de démettre les quatre ministres autour desquels planent des soupçons de corruption et de conflit d’intérêts.
Une crise « fondamentalement » politique
Parallèlement et au même moment, le Chef du gouvernement Hichem Mechichi- qui avait adressé une requête au Tribunal administratif- tenait, au palais du gouvernement à la Kasbah, une réunion avec des juristes et des constitutionnalistes. Et ce, afin de les consulter sur la crise du dernier remaniement. Ainsi que sur la situation du blocage entourant la question de prestation de serment des nouveaux ministres.
A l’issue de cette rencontre, Haykel Ben Mahfoudh, professeur de droit public à la faculté des Sciences juridiques, politiques et sociales de Tunis, faisait une déclaration. Il affirme que « la crise est fondamentalement politique et qu’elle nécessite des solutions politiques, en plus des solutions juridiques, dans le cadre de la Constitution ».
Vers un comité de sages ?
Pour sa part, Fadhel Mahfoudh, ancien bâtonnier de l’Ordre des avocats tunisiens annonçait qu’en absence de Cour constitutionnelle, il serait judicieux de créer « un comité d’arbitrage ».
En cas d’acceptation des deux présidences de recourir au comité d’arbitrage, la présidence du Gouvernement et la présidence de la République nommeront quatre experts, deux de chaque partie, connus pour leur compétence et indépendance.
« Ce comité se chargera de répondre aux questions soulevées. Puis il rendra une décision arbitrale à laquelle les deux parties se conformeront », concluait le prix Nobel de la Paix.