Le feuilleton de la crise « constitutionnelle » continue à nous surprendre. Alors que les deux têtes de l’exécutif persistent dans leur entêtement, l’élite tunisienne essaie de débloquer la situation.
En effet, le chef du gouvernement, Hichem Mechichi, en plus d’avoir consulté le Tribunal administratif, s’est réuni avec certains professeurs de droit.
Certains analystes pensent que cette entrevue vise à apporter une solution juridique. Or, à mon humble avis, il s’agit d’une simple manœuvre politique.
A travers cette approche, Hichem Mechichi pourrait lui aussi s’appuyer sur une analyse juridique. Ainsi, l’interprétation du Président de la République et professeur de droit constitutionnel, Kais Saied, se heurtera à celle de ses confrères.
Le marché parallèle du droit
Alors que nous nous attendions à une confrontation entre les interprétations, notre fameuse crise constitutionnelle et politique accouche d’une chimère : « Un tribunal arbitral constitutionnel ». Il s’agit de l’élément qui a été le plus retenu par les Tunisiens.
En effet, le professeur et expert en droit international public, Slim Laghmani, avait publié, sur son profil Facebook, son intervention lors de la réunion avec le Chef du Gouvernement.
Il avait proposé la création d’un Tribunal arbitral par le chef du gouvernement et le Président de la République. L’ancien bâtonnier de l’Ordre national des avocats de Tunisie et Prix Nobel, Fadhel Mahfoudh, a aussi présenté une proposition similaire.
La solution serait donc la mise en place d’une instance qui se prononcerait sur la constitutionnalité de l’article 144 du règlement interne de l’ARP. Cette instance devrait statuer également sur les prérogatives du Président de la République quant au refus ou à l’acceptation de la tenue de la cérémonie de prestation de serment.
Alors que le Tribunal administratif vient de se déclarer incompétent en guise de réponse à la consultation demandée par Hichem Mechichi, il a expliqué que le litige relève de la compétence exclusive de la Cour constitutionnelle.
Ne tournons donc pas autour du pot : il s’agit d’une « cour constitutionnelle parallèle » !
Une chimère !
Avant d’en venir à l’essentiel, rappelons que même les partisans de cette approche la justifient par un contre-argument. « La cour constitutionnelle est la seule instance apte à statuer sur la question de la constitutionnalité ». Cette phrase à elle seule devrait clore le débat… Or, ce que nous propose cette initiative, c’est la mise en place d’une institution qui va s’approprier cette prérogative.
Par ailleurs, n’oublions pas que la Tunisie s’est déjà dotée de la loi organique n° 2015-50 du 3 décembre 2015 relative à la Cour constitutionnelle. Ce texte pose les normes relatives au fonctionnement de la cour (composition, compétences, organisation administrative et autres…). Mais à ce qu’il paraît, ce n’est pas suffisant.
Fidèles à la bureaucratie, créons une commission, un tribunal, une instance : notre « Frankenstein constitutionnel » !
Une devinette ?
Sans trop entrer dans les détails, posons-nous certaines questions : comment décider de la composition de ce tribunal arbitral ? Quels sont les critères de sélection de ses membres ? Quelle est la partie qui les fixera ?
Quel sera exactement son rôle ? Se prononcer sur le remaniement ? Décider de la constitutionnalité du refus du président de la prestation de serment de certains ministres ? Si elle se range de l’avis du président, ceci n’implique-t-il pas indirectement qu’elle confère au président une prérogative inexistante dans les textes de la Constitution ?
Le président serait-il alors libre d’interpréter la Constitution ? Devrions-nous nous munir d’un texte juridique qui réglemente cette instance ou opter pour un engagement moral/politique ?
Si nous choisissons de nous munir d’un texte, quelle est la partie qui se chargera de son élaboration ? L’ARP aura-t-elle voix au chapitre en adoptant ce texte ou en le rejetant ? Et dans ce cas, cela n’autoriserait-il pas l’ARP à avoir un droit de regard sur tout le processus ?
Pourquoi exclure les députés des débats relatifs à la création du tribunal arbitral et à la sélection de ses membres ? Et au cas où le jugement rendu par ledit tribunal arbitral ne satisferait pas toutes les parties, quelle valeur juridique aurait la sentence arbitrale qui est supposée être contraignante ?
Et puisque nous allons procéder à l’attribution de prérogatives, pourquoi ne pas recourir à l’Instance provisoire chargée du contrôle de la constitutionnalité des projets de loi (IPCCPL) ?
Et pourquoi pas un duel d’épées.
Mystère, mystère, mystère !
Finalement, remercions nos chers députés qui ont montré leur aptitude à voter des crédits, des hausses d’impôts, des avantages fiscaux et des remaniements ministériels mais toujours pas de cour constitutionnelle !