L’année 2020 a livré ses chiffres : une décroissance de 8,8% en glissement annuel et un chômage de 17,4%. Des données attendues, qui s’ajoutent à celles que nous connaissons déjà, comme le déficit de la balance commerciale. Elles mettent tous les acteurs de la scène politique devant leur responsabilité.
C’est donc un quatrième trimestre de suite avec une croissance assortie d’un signe négatif, du jamais vu en Tunisie. Tous les secteurs ont laissé des plumes, à l’exception de l’agriculture et pêche qui ont montré une résilience unique à cette décroissance.
Le Budget est déjà hors-jeu
Mais au-delà des performances sectorielles, il y a des points essentiels qui découlent de cette situation de décroissance et qui vont marquer 2021.
Le premier concerne le Budget de l’Etat. Qui va croire aux chiffres de la Loi de Finances 2021? La principale hypothèse est une croissance du PIB de 4%. Dans la Loi de Finances complémentaire 2020, le taux de récession était supposé de l’ordre de 7,3%. Tout calcul fait, le pays doit maintenant réaliser une croissance de 5,7% en 2021. Et ce, pour être en ligne avec ses estimations, une mission quasi-impossible.
Ces difficultés mettraient de la pression sur certains postes de recettes, essentiellement l’impôt sur les sociétés. Les bénéfices des entreprises en 2020 seraient en chute libre. Et après avoir payé des acomptes prévisionnels sur la base des résultats de 2019, il ne reste pas grande chose à rembourser dans la déclaration annuelle.
La mobilisation des ressources dépendra donc de la capacité de l’administration fiscale à récupérer ses dettes antérieures. Concrètement, cela mettra encore en difficulté les sociétés tunisiennes dans leurs tentatives de sauver l’exercice 2021 avec le peu de trésorerie qui leur reste.
A cela, s’ajoute les mesures que l’Etat avait pris dans le cadre de sa Loi de Finances 2021. Comme la révision à la baisse des taux de la retenue à la source et le report de paiement des impôts pour certaines sociétés. C’est un point positif dans l’approche du Gouvernement pour lutter contre les effets de la crise. Mais cela causera une hémorragie additionnelle côté recettes fiscales.
La mauvaise surprise du Brent
Toujours dans le cadre du Budget, la hausse du prix du baril, estimé à 45 dollars mais actuellement à plus de 63 dollars, ne fait pas l’affaire de la Tunisie. C’est vrai que le prix supposé est une moyenne sur l’ensemble de l’année 2021 et pourrait donc se rapprocher de la réalité d’ici décembre. Mais les conséquences sont lourdes surtout si les protestations continuent dans les sites de production.
Pour rappel, un dollar supplémentaire dans le prix du baril coûtera 129 MTND en termes de subventions. Cela sans compter les possibles fluctuations du dinar (chaque dépréciation de 10 millimes coûte 25 MTND de plus en subventions). Avec un prix moyen de 60 dollars, la facture additionnelle de 2 000 MTND sera payée par le pays.
L’une des solutions serait la révision à la hausse des prix à la pompe. Et ce qui s’est déjà passé récemment, avec les conséquences inflationnistes.
Pressions sociales
Maintenant, avec un secteur privé qui agonise, l’Etat sera sollicité pour assurer de l’emploi. L’économie a détruit 133 000 postes de travail en 2020 et il faut s’attendre à une montée des pressions dans les régions. C’est une catastrophe sociale qui aura lieu si des mécanismes d’appui ne sont pas déployés rapidement.
Conjuguée aux difficultés des entreprises, ces pertes ne pourront aboutir qu’à l’accroissement du travail précaire. Les sociétés ont besoin de main-d’œuvre mais ne peuvent pas supporter les charges sociales. Et les employés accepteront tout emploi pour survivre. Si c’est le calme qui règne actuellement dans la majorité des cas, grâce à une conscience globale que c’est une pandémie mondiale, cette patience risque de ne pas durer encore pour longtemps et l’explosion viendra tôt ou tard.
Dos au mur
Tous ces facteurs font que la marge de manœuvre du Gouvernement est plus que jamais réduite. Avec ses augmentations salariales répétitives en dépit de la rareté des recettes, il est dans l’incapacité d’allouer plus de ressources à l’investissement public et doper la croissance. Les pressions politiques vont encore étouffer toute chance pour voir le Partenariat Public-Privé lancé. Toute ouverture de l’économie, même si elle est dans le bon sens, sera interprétée de mauvaise façon. Et une percée à ce niveau nécessite une équipe solide à la Kasbah, pas sous le feu des critiques comme c’est le cas aujourd’hui.
Cette situation interne aura des conséquences. Les agences de notation qui livreront prochainement leur rapport seraient très dures vis-à-vis de la situation politique et économique du pays. L’absence d’un consensus national ne permettra pas d’accrocher un accord avec le FMI et rendra la sortie sur les marchés coûteuse.
Alors, une prise de conscience de l’ensemble des intervenants politiques, traduite par des faits et non des déclarations, est aujourd’hui une nécessité. Sinon, tout le monde payera le prix de cette décroissance, même ceux qui ont les meilleures intentions du monde.