Les jeux sont faits. L’effondrement n’est plus une éventualité; mais une réalité dont la concrétisation est une question de temps. On ne parle pas ici de l’effondrement de l’économie qui est déjà une réalité vécue chaque jour plus durement par tous les secteurs économiques et toutes les couches sociales. On parle ici du danger d’effondrement de la démocratie qui guette le pays et du risque d’anarchie généralisée qui nous menace.
Le régime politique qui a remplacé « la dictature » a vidé le pays de son énergie, de sa substance et de ses atouts. Il a transformé un pays qui était un exemple en Afrique pour la bonne gestion de ses finances, de ses ressources, pour son taux de croissance et sa démocratie en un exemple d’autodestruction à ne pas suivre. A éviter à tout prix.
Sans doute, sous les régimes de Bourguiba et de Ben Ali, la Tunisie est passée par des crises aigues. Mais jamais le pays n’a été au bord de l’effondrement. Jamais l’Etat n’a été au bord de la banqueroute. Jamais les fonctionnaires, les employés et les retraités ne s’étaient inquiétés pour le versement de leurs revenus mensuels.
Aujourd’hui, la question n’est pas si mais quand l’Etat se déclarera incapable d’honorer ses engagements financiers vis-à-vis des centaines de milliers de fonctionnaires et des employés des administrations et des entreprises publiques. Sans parler du secteur privé qui continue de voir ses fleurons économiques mettre la clef sous la porte les uns après les autres. Sans parler des armées de chômeurs dont la priorité n’est plus comment construire un avenir, mais comment remplir un ventre vide.
La pire crise et les pires gouvernants
Le grand malheur de ce pays est que, jamais dans son histoire moderne, il n’a été aussi affecté à la fois par la pire crise multiforme et les pires gouvernants qu’il ne l’est aujourd’hui. La crise économique et sociale a atteint une ampleur telle que même les plus grandes compétences seraient dans l’incapacité de lui trouver des solutions. Que dire des gouvernants aujourd’hui qui, consciemment ou inconsciemment, œuvrent plus à l’approfondissement de la crise qu’à sa résolution? A la destruction de l’Etat plutôt qu’à sa saine gestion?
On ne peut pas sauver un pays avec un président de la République sorti tout droit des contes des mille et une nuits. Un président sans le moindre passé de militant ni d’opposant; mais qui se découvre des convictions révolutionnaires dont l’intransigeance ferait pâlir Lénine lui-même. Un président fermement convaincu qu’il est infaillible, n’oubliant jamais d’associer Dieu et le peuple-qui-veut dans ses discours. Un président qui tient à se faire filmer donnant ses instructions à l’un de ses collaborateurs sur la manière de livrer sa missive au chef du gouvernement et sur la nécessité de revenir au palais avec la preuve que la lettre a bien été livrée à son destinataire! Une lettre datée, soit dit en passant, non pas en référence au mois de février, mais au mois de « Rejeb al Asamm » (Rejeb le sourd)…
Par ailleurs, on ne peut pas sauver un pays avec un président du gouvernement qui, au lieu d’assumer ses responsabilités vis-à-vis des défis qui assaillent le pays, se livre à un interminable bras de fer avec l’homme qui l’a sorti de l’anonymat. Il nomme et remercie des ministres non pas en fonction de leurs compétences ou de leur rendement, mais selon qu’ils sont ou non proches du président de la République. Non pas en fonction de ce que lui pense devoir faire, mais en cédant aux pressions d’Ennahdha et de Qalb Tounes. Nul besoin de préciser ici que ces deux partis ont réussi à détourner les énergies gouvernementales au service de leur priorité à eux: le règlement de comptes avec le président de la République.
On ne peut pas enfin sauver le pays avec l’homme qui, depuis cinquante ans œuvre à miner les fondements sociaux, économiques, culturels et éducatifs du pays. A la faveur d’une révolution détournée de ses objectifs et dont il était ni l’instigateur ni l’acteur, il a réussi à concrétiser son rêve de détruire tous les acquis laborieusement accumulés pendant six décennies sous la supervision de l’Etat bourguibien.
Une réputation sulfureuse, une popularité aux abois
A un âge si avancé, avec un bilan aussi désastreux, une réputation aussi sulfureuse et une popularité aux abois, n’est-ce pas déconcertant de voir Rached Ghannouchi s’accrocher encore de toutes ses forces au pouvoir? N’est-ce pas irresponsable de le laisser diriger à sa guise la principale institution du pays, l’empêchant de jouer son rôle par sa gestion chaotique des travaux de l’Assemblée?
Mais si les politiciens qui se sont succédé sur la scène depuis 2011 assument la responsabilité première dans les malheurs du pays, le peuple, (pas celui qui veut mais celui qui vote), n’est pas entièrement innocent. Durant toute une décennie et à chaque scrutin décisif, la moitié du corps électoral reste chez elle par indifférence ou démission. Tandis que l’autre moitié, par calcul, ignorance ou niaiserie, dote le pays à chaque échéance d’une mosaïque parlementaire ingérable, engendrant forcément une équipe gouvernementale pieds et poings liés.
En dix ans de comportements autodestructifs aussi bien de la part du peuple que de son élite gouvernante, la Tunisie s’est affichée sur la scène internationale comme l’exemple à ne pas suivre. Elle a aussi fourni largement la preuve que, pour réussir, la démocratie nécessite la présence de deux éléments fondamentaux. D’abord, une base économique et industrielle solide; et ensuite un peuple suffisamment éduqué, cultivé et conscient de ses droits et surtout de ses devoirs. Sans cela, la démocratie aura le même sort que l’arbre fruitier planté dans une terre stérile sous un climat désertique.