Lors de son discours dans la capitale des Aghlabides, le président de la République a ironiquement qualifié la manifestation organisée en grande pompe par Ennahdha de « gaspillage d’argent. Alors qu’on nous dit que le pays est au bord de la faillite ». Une ouverture frontale des hostilités. Et cette fois-ci, à visage découvert.
Fini le duel élégant à fleurets mouchetés entre « gentlemen ». Place désormais à une guerre ouverte entre les deux hommes. Une confrontation brutale, sans concession où tous les coups sont permis; y compris les plus tordus. Ainsi, au moment même où Ennahdha bombait le torse, samedi dernier, dans une manifestation de démonstration de force au centre de la capitale, le chef de l’Etat Kaïs Saïed était en visite à Kairouan.
Attaques frontales
De la capitale des Aghlabides, il a envoyé ses célèbres « missiles » au chef du gouvernement et à son nouveau mentor politique Rached Ghannouchi pour leur rappeler que « leurs plans ne passeront pas ».
Mais cette fois-ci, tranchant avec le ton prudent qu’il utilisait dans ses discours antérieurs, le Président ne se contentait pas d’allusions à « certaines parties ». C’est un terme vague qu’il emploie généralement pour évoquer ses adversaires politiques. Pourtant, il a désigné clairement et sans ambiguïté aucune une cible: le mouvement Ennahdha de Rached Ghannouchi.
Car, prenant les Tunisiens à témoin, le président de la République a fait observer « comment l’argent est gaspillé à Tunis; alors qu’on nous dit que le pays est au bord de la faillite ».
Et de fustiger « ceux qui dilapident l’argent », aux troupes qui auraient été monnayées par Ennahdha pour se rendre à la capitale. Ainsi qu’aux moyens logistiques et humains énormes mobilisés pour cette marche. « Nous continuerons sur la même voie et avec la même volonté. Nous ne rendrons des comptes qu’à Dieu et au peuple ».
« Leurs calculs ne nous concernent pas. Ils vont échouer et l’histoire témoignera de leurs mensonges. Ils ne méritent même pas qu’on leur prête attention », concluait le président avec dédain.
Le mouvement Ennahdha, rappelons-le, avait organisé en grande pompe une manifestation « pour défendre la démocratie, la Constitution et les acquis de la révolution ». Beau programme.
Le ridicule ne tue pas
Cette manifestation « a connu une participation qui dépasse cinq fois le nombre de participants à la manifestation du 14 janvier 2011 sur l’Avenue Habib Bourguiba le jour de la destitution de Zine El Abidine Ben Ali ». C’est ce qu’estimait Abdelkarim Harouni, le président du conseil de la Choura du mouvement Ennahdha qui haranguait la foule.
Un chiffre erroné et extravagant. Car difficile à vérifier. Mais, très loin des estimations du correspondant de France 24 qui chiffrait le nombre de participants à six ou sept mille au maximum. Et à des années-lumière des affabulations d’un certain Radhouane Masmoudi, l’inquiétant président du Centre d’Etudes sur l’Islam et la Démocratie, connu pour sa proximité avec le mouvement Ennahdha. Lequel avançait pompeusement le chiffre de 150 mille participants à ladite marche. Heureusement que le ridicule ne tue pas.
Agression des journalistes
A noter que lors de cette foule humaine en marche, où aucune consigne de sécurité n’a été respectée, comme si la pandémie Covid-19 était derrière nous, et où on suivait avec consternation l’image dégradante des partisans du cheikh lui embrasser religieusement la main ; plusieurs journalistes ont été agressés et interdits de faire leur travail.
De plus, plusieurs femmes journalistes ont affirmé avoir subi des cas de harcèlement sexuel, lors de la dite manifestation. Des faits confirmés par le syndicat national des journalistes qui a dénoncé « les agressions physiques et verbales systématiques commises par les partisans du mouvement Ennahdha contre des journalistes, lors de la manifestation qui a eu lieu samedi à Tunis ». C’est ce qu’on peut lirei dans un communiqué émanant du SNJT.
Conscient de l’image désastreuse causée par de tels agissements, le mouvement Ennahdha s’est empressé de présenter ses excuses dimanche 28 février. Et ce, « pour l’ensemble des dépassements commis contre des journalistes ». Assurant à l’occasion que « ces dépassements ne représentent en aucun cas la position du mouvement Ennahdha ».
Bref, si on prêtait l’oreille aux allégations selon lesquelles les manifestants, drainés des quatre coins de la Tunisie, auraient reçu de gros billets de banque et des bons d’achat d’une chaîne de magasins, l’on est en droit de penser qu’il s’agit d’un théâtre d’ombres où les manifestants ne sont que de simples comparses…