Ex-président du conseil d’administration de Tunisie Valeurs, ancien ministre du Développement, de l’Investissement et de la Coopération internationale en 2016, également ministre des Finances par intérim en 2017 et actuellement président d’Afek Tounes, Fadhel Abdelkafi, 50 ans, était interviewé le week-end dernier par l’affable mais exigeante journaliste Sameh Mefteh sur la chaine Carthage+. En voici quelques extraits.
M. Abdelkafi, est-il impératif pour un homme politique d’avoir une solide formation économique pour gérer au mieux les affaires de la cité?
Fadhel Abdelkafi: Laissez-moi vous avouer qu’un homme politique qui se respecte doit forcement être conscient de l’impact de l’économie sur la chose politique. En Tunisie, les vrais problèmes sont plutôt d’ordre économique auxquels se greffe la politique.
En vérité, le rôle de l’homme politique consiste tout simplement à améliorer la situation des citoyens.
A titre d’exemple, à un visiteur qui lui conseillait de faire plus de politique, feu Hédi Nouira répliqua: la politique c’est le prix des piments et de la tomate). Il n’est aucun président ou roi qui interpelle quasi quotidiennement ses ministres pour s’enquérir du prix des matières de première nécessité.
Bref, un bon dirigeant peut ne pas comprendre grande chose de l’économie. Mais en revanche, il doit s’entourer de gens compétents en la matière. Le président Mitterrand, un homme de lettres, avait des conseillers économiques de premier ordre.
Que pensez-vous du litige ouvert entre les trois présidences?
L’analyste politique, Zied Krichene, résume la situation en deux mots: l’entêtement politique enfantin sur fond de querelle de vieux !
Sinon comment comprendre que les foules sortent pour manifester en ces temps de Covid. Sachant que nous sommes parmi les six derniers pays au monde à ne pas avoir encore reçu le précieux vaccin?
D’autre part, gare aux problèmes qui risquent de se poser les semaines à venir. Alors qu’on tablait sur 45 dollars pour le baril de pétrole, voila qu’il caracole aujourd’hui à 65 dollars; et ce n’est pas fini. Il est possible que le gouvernement soit dans l’incapacité de payer un chargement de pétrole, de sucre ou de blé. Voici les problèmes réels des Tunisiens.
Et dire qu’entre temps, au nom de la pérennité de l’Etat, l’on procède à l’augmentation des salaires. Sachant que la masse salariale en Tunisie est parmi la plus élevée au monde!
Quant à l’inflation engendrée automatiquement par la hausse inconsidérée des salaires, rappelez-vous qu’au Zimbabwe, l’inflation avait atteint des plafonds astronomiques. Faut-il s’attendre à remplir des sacs de billets de banque pour acheter un kilo de tomate?
M. Abdelkafi, que pensez-vous de la crise actuelle de Tunisair?
Le transporteur national traîne 450 milliards de capital négatif. Comment peut-il être autrement quand on observe que la flotte est composée de 28 avions dont la majorité est clouée au sol. Tandis que le nombre des salariés s’élève à presque 7000. Et que 250 personnes sont mobilisées au service d’un seul avion de Tunisair. Alors que la norme internationale est de 40?
Savez-vous qu’à l’époque, le gouvernement allemand avait volé au secours de la Lufthansa, l’une des plus grandes compagnies aériennes au monde, mais à trois conditions: dégraissage de 40% des salariés; baisse de 30% des salaires; et interdiction de grève durant trois ans.
A votre avis, à qui incombe la responsabilité de la crise actuelle?
A tout le monde, au gouvernement et à toutes les parties prenantes. Quand j’étais ministre, j’avais souvent eu affaire avec les syndicats. On discutait, on se chamaillait souvent. Mais pour le bien de notre pays.
Quand on évoque, à titre d’exemple, les problèmes des grandes entreprises étatiques, on se doit de dire la vérité crue.
A l’époque, quand j’étais aux responsabilités, je disais à Si Noureddine (Tabboubi ndlr): ce n’est pas que je ne veux pas, mais je ne peux pas. Nous sommes vous et moi embarqués sur le même radeau.
Je porte le deuil de mon pays. Ma Tunisie se meurt devant nos yeux quand je constate que notre note souveraine s’est dégradée pour la septième fois en dix ans!
Et que préconisez-vous comme solution?
Je veux finir par une note d’espoir. Optons pour un Etat fort. Libérons les énergies créatives pour faire de la Tunisie un petit dragon en Méditerranée. Simplifions les mesures administratives et luttons énergiquement contre la bureaucratie à caractère ottoman. In fine, la solution à tous nos problèmes consiste à la mise en place d’une économie de partage, solidaire à visage humain.