L’Association professionnelle tunisienne des banques et des établissements financiers (APTBEF) a organisé aujourd’hui un webinaire sur le thème de la bi-bancarisation. Ont participé à cette rencontre virtuelle: Marouane El Abassi, Gouverneur de la BCT; Mohamed Agrebi, président de l’APTBEF; Alain Gauvin, avocat au Bureau de Paris et associé au Cabinet Asafo & Co; Malek Landolsi, directrice du marché TRE à la BIAT; Achraf Ayadi, administrateur indépendant chez une banque en Tunisie; et Dominique Strauss-Khan, ancien Directeur général du FMI.
Les participants à ce webinaire ont évoqué les opportunités d’implantation des banques tunisiennes en France, le cadre réglementaire pour développer la bi-bancarisation et les enjeux de la digitalisation des services bancaires et financiers pour les TRE.
Pour rappel, 1,5 million de Tunisiens sont installés à l’étranger. Soit environ 13% de la population tunisienne. En 2020, le transfert de la diaspora tunisienne représente environ 5% du PIB de la Tunisie avec une hausse importante d’environ 11% par rapport à 2019.
Réglementation contraignante
Marouane El Abassi a, à l’ouverture, de ce débat, souligné que la bi-bancarisation est très importante. Et d’ajouter: pour faire face à l’informel financier, on doit assouplir et fluidifier notre réglementation de change. Celle-ci est relativement contraignante, notamment au niveau de l’ouverture des comptes pour les deux premières années d’immigration. Le gouverneur de la BCT a, en outre, souligné qu’on peut aussi, grâce à la bi-bancarisation, passer à une meilleure accessibilité aux services financiers, notamment en termes de coût et diversifier l’épargne.
« On a environ 80 fintech en développement technologique et financier continu. Ils pourraient beaucoup aider à développer la bi-bancarisation de manière gagnant-gagnant », déclare Marouane El Abassi.
Il a aussi rappelé qu’il y a eu des discussions entre les gouverneurs la BCT et la Banque de France sur la mise en place d’une plateforme de paiement. L’opportunité de l’ouverture de compte en France qui se fasse en Euro était aussi parmi les points évoqués.
Pour conclure son intervention, le gouverneur de la BCT a souligné qu’il y a beaucoup d’informel qui pèse. « La bi-bancarisation va permettre d’être plus transparent. Le coût de la non-transparence est très élevé. Il faudrait changer la loi. Les relations avec la Banque de France sont excellentes, notamment au niveau de l’assistance technique. Une fintech franco-tunisienne travaille actuellement avec la Banque de France ».
Freins liés au coût
Mohamed Agrebi, président de l’APTBEF a tenu à souligner que les banques tunisiennes ont toujours l’ambition de développer les opportunités des affaires. Toutefois, ajoute le président de l’APTBEF, peu de banques tunisiennes se sont aventurées à l’international pour se rapprocher de TRE. A cause notamment des freins liés au coût et aux aspects réglementaires dans les pays d’arrivée.
Evoquant le cas de la BIAT, Mohamed Agrebi a rappelé que certaines banques ont mis en place des modes d’internationalisation et elles ont conclu des partenariats avec des banques françaises pour la bancarisation des Tunisiens en France.
Le cas de la BIAT
Malek Landolsi a, pour sa part, déclaré que la BIAT considère ce marché comme stratégique. La banque a déployé, depuis 2008, plusieurs actions, à travers notamment le lancement d’une campagne digitale et la mise en place d’une équipe appuyée par des experts en la matière pour répondre aux clients. En 2015, la BIAT a aussi lancé sa première filiale à Paris. Et ce, conformément à la loi française et européenne en vigueur. L’objectif était de se rapprocher physiquement et contacter ce segment de clientèle à l’étranger.
Malek Landolsi a souligné que l’agent de paiement était pour la banque le mode le plus facile pour s’implanter rapidement et efficacement. La banque a privilégié une forme de présence et de franchise en offrant une activité de transfert d’argent à bas coût et des solutions variées. Tout en tenant compte de l’aspect sécuritaire et de transparence.
« BIAT France a réussi ses objectifs en nombre et en volume. Elle a réussi à consolider une bonne notoriété. Le mot d’ordre était digital. On a des chiffres positifs. La banque est en pleine transformation digitale », se félicite Malek Landolsi. Elle a ajouté que la diaspora a changé. Le premier produit d’appel est le transfert d’argent, le coût est très important et la question de change fait la différence avec d’autres acteurs.
Conditions sine qua non
Installé en France depuis presque 19 ans et ayant un regard double sur la réglementation tunisienne et françaises, Achraf Ayadi a rappelé que la diaspora tunisienne a commencé à changer depuis l’an 2000 avec une nouvelle génération mieux instruite. Le nombre de cadres supérieurs a augmenté. Il y a aujourd’hui de plus en plus d’universitaires, de médecins, ingénieurs installés à l’étranger. Avec des besoins spécifiques, tels que le transfert d’argent, l’immobilier et la tenue de compte en dinar.
Pour Achraf Ayadi, la bi-bancarisation consiste pour les banques tunisiennes de se focaliser sur:
- Une meilleure captation de flux de transfert d’argent: là, il faut une stratégie pour créer un Western Union à la tunisienne et s’appuyer sur les fintech et réfléchir à une application digitale et non pas compte ou carte;
- Des services en ligne standards: il ne suffit pas de se mettre à l’heure du digital.
« Il faut un dispositif innovant pour capter l’épargne en devises, partager la responsabilité et co-construire les opportunités », a-t-il recommandé.
Une loi française imparfaite !
Alain Gauvin a focalisé son intervention sur le volet réglementaire relatif aux conditions nécessaires pour commercialiser des services financiers en France et comment une banque tunisienne pourrait en profiter. Il s’agit notamment de la nécessité de:
- L’obtention d’une autorisation;
- La banque ne doit pas avoir été condamnée dans son pays;
- Elle doit conclure une convention avec une banque ou société de financement en France;
- Les services sont limités aux opérations de banques. Ils doivent être exécutés en Tunisie et ils ne peuvent pas être destinés à des personnes physiques;
- Il faut que les conditions de supervision bancaires soient équivalentes (Tunisie et France).
Alain Gauvin a rappelé que la France a adopté en 2014 une loi qu’il estime imparfaite. L’objectif était de contribuer au financement des pays en développement, encourager l’épargne de la diaspora et développer les produits d’épargne.
En pratique, deux banques seulement ont obtenu l’autorisation contre des centaines de bureaux de représentations présents en France. D’autres banques ont choisi de ne pas s’inscrire dans la logique de la loi de 2014. « La condition de la conclusion d’une convention avec une banque française est presque impraticable. L’entrée des banques islamiques et des fonds d’investissement en France est extrêmement important », a-t-il dit.
En réponse à une question relative à la prise de participation d’une banque française dans le capital d’une banque tunisienne, Alain Gauvin a précisé qu’elle n’est pas suffisante parce qu’une convention est toujours nécessaire.
Un chemin à parcourir
Pour Dominique Strauss-Khan, ce débat sur la bi-bancarisation vient à point nommé, notamment avec la modernisation du transfert d’argent.
« Il y a plusieurs opportunités avec un impact sur l’immigration (amélioration des conditions de vie) car la bi-bancarisation développe les économies locales. Elle permet aussi la traçabilité des fonds et de faire face aux transferts illicites. C’est une opération win-win pour le pays d’origine, le pays d’arrivée et la communauté internationale. Il faut que les gouvernements encouragent cette technique, mais il y a des choses à améliorer. En France, il faut modifier la loi française. Celle-ci est pauvre en matière d’offres) », affirme DSK.
Et d’ajouter: Il y a aussi une direction juridique et politique. Cela doit se passer entre les organismes de régulation au-delà des banques centrales. C’est indispensable! Au niveau politique, il y a des forces réticentes à cause de la concurrence. Le lobbying est important. Il va falloir que la loi française de 2014 soit améliorée pour ouvrir la porte à la bi-bancarisation.
S’agissant de la finance islamique, DSK a assuré qu’elle n’est pas confrontée à un obstacle particulier. Parce que les conditions à remplir sont les mêmes. Pour les fonds d’investissement, la situation est différente de celles des banques.
Pour l’ancien directeur général du FMI, la présence de seulement deux banques africaines en France confirme l’échec de la loi 2014 et les conditions doivent être allégées. Tant que la loi n’a pas évolué, il faut présenter des demandes à l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) pour être parfaitement clean. C’est tout un chemin à parcourir.