Du bout des lèvres, le président de la République Kaïs Saïed se dit prêt à parrainer le Dialogue national. Une initiative lancée il a quelques mois par la centrale syndicale et qu’on croyait mort-née. Mais, il a assorti son accord de principe à de telles conditions que l’on se pose des questions sur sa volonté d’aller de l’avant.
Les voies du Seigneur sont impénétrables. Sinon, y-a-t-il une explication rationnelle à la volte-face brusque et inattendue du président de la République, Kaïs Saïed, vis-à-vis du Dialogue national? On croyait cette initiative de l’UGTT définitivement enterrée par manque d’intérêt présidentiel. En effet, le locataire du palais de Carthage ne semblait pas profondément convaincu que cette initiative ait la moindre chance d’aboutir.
La démission de Mechichi au préalable
D’ailleurs, Noureddine Tabboubi, le SG de l’UGTT, déclarait il y a quelques jours au quotidien arabophone Assabah que « selon les informations dont il dispose, le président de la République Kaïs Saïed exige la démission du chef du gouvernement Hichem Mechichi; avant le démarrage officiel du dialogue national ».
Cependant, ajoutait Tabboubi « la centrale syndicale ne peut en aucun cas réclamer la démission du chef du gouvernement. Le chef de l’Etat doit nommer les ministres faisant l’objet de soupçons de corruption et convier les autres ministres à prêter serment au Palais de Carthage ».
Pourtant, nonobstant la pertinence de cette analyse, cette déclaration nous laisse perplexes. Car le syndicaliste ne rapporte pas textuellement les propositions du Président « avant le démarrage officiel du dialogue national »; mais « selon les informations dont il dispose ». Nuance.
Kaïs Saïed n’aime pas la ligne droite
Cela veut dire que Noureddine Tabboubi interprète la pensée présidentielle, laquelle « exige » la démission du chef du gouvernement Hichem Mechichi en préalable au démarrage du Dialogue.
Encore une fois, fidèle à sa politique habituelle de laisser ses phrases en suspens, le Président livre rarement le fond de sa pensée. Il n’aime pas la ligne droite, mais opte souvent pour l’arabesque. A l’image de la calligraphie Kouffi qui orne ses correspondances. Avec plume à l’ancienne, encrier et pourquoi pas du papyrus?
Sinon pourquoi n’a-t-il pas exigé clairement le départ du chef du gouvernement, l’homme qu’il a choisi lui-même? Et pourquoi opposer son véto aux nouveaux ministres sur lesquels planeraient des soupçons de corruption? Sans jamais les nommer expressément.
Confusion
Or, ce scénario semble se répéter. Ainsi, lors d’une réunion tenue récemment à Carthage, avec Ghazi Chaouachi et Zouhaïr Maghzaoui, respectivement SG du mouvement démocrate et SG du mouvement Echaâb, le chef de l’Etat Saïed s’est dit « prêt à accueillir tout dialogue. A condition qu’il ne soit pas similaire aux dialogues précédents ».
Mais qui sera autour de la table présidentielle? « Seules les parties qui croient vraiment aux revendications économiques et sociales du peuple tunisien, ainsi qu’à ses revendications politiques, participeraient à ce dialogue », note un communiqué de la présidence.
« Pour le chef de l’Etat, les jeunes doivent assurer un rôle important et prendre part à ce dialogue. Il a dans ce sens souligné la nécessité de créer de nouvelles formules permettant aux jeunes de toutes les régions de la Tunisie de participer à ce dialogue; afin qu’ils y soient un élément actif et une force de proposition ». C’est ce que souligne la même source.
Profitant de l’occasion pour réitérer son obsession d’un Etat fort et central, le Président n’a pas manqué de rappeler que « l’Etat tunisien n’est pas une marionnette, ce n’est pas une proie non plus. L’Etat est au-dessus de toute considération. L’Etat tunisien est une institution qui devra être pérennisée. Car les personnes passent, mais l’Etat reste ».
Et de marteler: « La souveraineté nationale n’est pas une marchandise exposée à la vente, quel qu’en soit le prix. »
Alors, à qui s’adresse le président de la République au juste? Aux « parties » qui prennent en otage la souveraineté nationale en faisant allégeance à l’étranger? Une allusion à peine voilée en direction de Montplaisir? Allez savoir.
Moralité de l’histoire: nous voila revenus à la case départ. Oui au dialogue national sous l’égide du résident de Carthage; mais à des conditions? Evidemment, « les parties qui croient vraiment aux revendications économiques et sociales du peuple tunisien ».
Le hic c’est que tout le monde se réclame ardent défenseur de ces « revendications » populaires. Alors quelle « partie » écarter de la table du dialogue?
Mystère et boule de gomme.