La Méditerranée orientale représente une voie d’accès aux principales réserves mondiales d’hydrocarbures dans la région du Moyen-Orient et du Golfe. Une donnée stratégique qui prend un relief nouveau depuis les découvertes de réserves de gaz naturel et de pétrole en Méditerranée orientale (au large des côtes chypriotes, grecques, turques, israéliennes, palestiniennes, libanaises, syriennes).
Le développement d’une nouvelle région d’exploitation offshore d’hydrocarbures est susceptible de modifier la carte énergétique mondiale. Or chaque pays du bassin entretient ainsi, peu ou prou, un différend territorial maritime avec son voisin. L’enjeu de l’exploitation de ces gisements de gaz naturels nourrit un activisme diplomatique, de nouvelles coopérations et des tensions géostratégiques dans la région. La reconfiguration des relations et équilibres entre les acteurs de la Méditerranée orientale montrent un recul des puissances européennes dans la région méditerranéenne.
Un nouveau pôle énergétique
En Méditerranée orientale, des puissances énergétiques régionales émergent. Dans le bassin levantin, la découverte en 2009 et 2010 d’importants gisements offshore (après de vastes opérations de forage menées en eaux profondes au début des années 2000) a fait naître un nouveau pôle énergétique, celui de la Méditerranée orientale. Lequel ne bouleverse pas pour autant la donne énergétique mondiale.
D’une superficie de 83 000 km², le bassin du Levant posséderait des réserves estimées, par l’US Geological Survey, à 1,7 milliard de barils de pétrole, et surtout à 3 452 milliards de mètres cubes (mmc) de gaz naturel. Ces réserves pourraient favoriser, au niveau régional, l’indépendance énergétique de certains pays, et même en faire des exportateurs de gaz. Pour ce qui est du pétrole, les réserves du Levant se situent à un niveau nettement inférieur à celles disponibles en Afrique du Nord, par exemple.
Un activisme diplomatique
Le 11 mars dernier, les ministres de l’énergie de la Grèce, de Chypre, d’Israël, de l’Égypte, de l’Italie, de la Jordanie et de la Palestine se réunissaient au Caire. Et ce, pour une nouvelle réunion ministérielle du Forum du gaz de la Méditerranée orientale (FGME). Pour l’occasion, ils ont invité la France comme nouveau membre du Forum et les États-Unis comme observateur. Sous présidence égyptienne, cette réunion du FEMG a mis en avant la nécessité stratégique d’un dialogue structuré sur la politique du gaz naturel. Les Etats se sont engagés à respecter les droits de leurs ressources naturelles respectifs.
L’agenda diplomatique de la semaine sera marqué dans la région par l’ouverture du second round (62ème session) des pourparlers entre Athènes et Ankara. Pour tenter de régler leur différend au sujet de l’exploration d’hydrocarbures en Méditerranée orientale.
Ainsi, le 25 janvier dernier, une première réunion entre les diplomates grecs et turcs avait eu lieu; après cinq ans d’interruption et plusieurs mois de tensions entre les deux pays voisins. Car, la crise entre Athènes et Ankara s’était intensifiée avec l’envoi en août dernier par la Turquie du navire de recherches sismiques dans des zones disputées. Et notamment près de l’île grecque de Kastellorizo proche du rivage turc.
Malgré les mises en garde de l’Europe, Ankara a en effet organisé ces derniers mois plusieurs missions d’exploration gazière dans des eaux grecques. Provoquant ainsi une crise diplomatique d’une ampleur inédite depuis 1996, année où les deux pays membres de l’Otan frôlaient la guerre.
Dès lors, la méfiance est encore de mise et les négociations risquent d’être encore laborieuses. Y compris en vue de définir des zones exclusives économiques des deux États.
Des sources de tensions géostratégiques
En Méditerranée orientale, une nouvelle géopolitique se dessine. L’internationalisation du conflit libyen est en partie liée à la découverte de gisements gaziers dans cet espace maritime qui attire toutes les convoitises. La Méditerranée orientale et ses découvertes récentes en matière de gisements de gaz constituent l’arrière-scène du conflit libyen. Non que la guerre dans ce pays, lui-même riche en hydrocarbures, dépende de ces enjeux; mais ils existent, au moins en arrière-pensée, dans la logique des acteurs impliqués dans le conflit.
C’est ce prisme qui offre l’une des clefs d’analyse du réinvestissement français dans la région révélé au grand jour lors de la récente confrontation gréco-turque. La France n’accepte pas l’interventionnisme turc dans le conflit libyen. Et elle refuse l’idée de voir ce territoire constitué une forme de base politico-militaire pour le régime d’Erdogan. Officiellement, la France a renforcé sa présence militaire dans la région, afin de faire « respecter le droit international » en Méditerranée et d’assurer un soutien à la Grèce. Des déploiements aériens et des exercices maritimes en soutien aux forces grecques, qui ne sauraient masquer l’absence d’unité européenne, qui fait défaut à la France (et à la Grèce). En effet, les intérêts divergents des acteurs européens rendent toujours aussi utopique une stratégie euro-méditerranéenne commune…