Depuis la révolution de 2011, malgré des difficultés intérieures sévères, la Tunisie a renoué avec une capacité à parler au monde. Depuis, la Tunisie vit une accélération soudaine de son histoire, un « réveil », même s’il est ambivalent. Ainsi, en 2015, le prix Nobel de la Paix était remis au Dialogue national tunisien; et ce, pour sa « contribution à la construction d’une démocratie pluraliste ». Enfin, cette année, le cinéma tunisien enregistre deux succès symboliques significatifs. A savoir, la sélection pour l’Oscar du meilleur film étranger de « L’homme qui a vendu sa peau », de la réalisatrice franco-tunisienne Kaouther Ben Hania (c’est une première historique). Quelques jours après que le franco-tunisien Sami Bouajila décrochait le César du meilleur acteur pour sa prestation dans « Un fils », le premier film de Mehdi Barsaoui. Le soft power tunisien est en marche.
Derrière cette double reconnaissance du septième art made in Tunisie, il y a là un enjeu de soft power. Pour un pays dont l’aura internationale a changé de statut depuis la révolution de 2011. Du reste le destin du pays et celui de son cinéma semblent liés.
En effet, le cinéma tunisien était agonisant dans les années 2000. Avant que la révolution n’insuffle une dynamique créative incarnée par une nouvelle génération de cinéastes et producteurs, souvent multiculturels. Ils axent leurs œuvres sur les réalités sociales et sociétales, individuelles et collectives; pour mieux exprimer des vérités universelles.
Soft power et diplomatie d’influence
D’ailleurs, la réalisatrice Kaouther Ben Hania a opportunément appelé les autorités de son pays à accompagner davantage la production cinématographique; une industrie qui repose encore essentiellement sur l’initiative privée.
L’Etat tunisien n’en a pas forcément les moyens. Mais il a tout intérêt à voir se développer cette source de rayonnement international. Pour un pays en quête de levier pour exister et défendre ses intérêts sur une scène mondiale hyper-compétitive. Le cinéma est un vecteur non négligeable pour la montée du soft power et de la « diplomatie d’influence » de la Tunisie.
En effet, depuis la fin de la Guerre froide, la redéfinition de l’ordre international est propice à la redéfinition en profondeur de la puissance elle-même.
Ainsi, le soft power repose sur des ressources plus diffuses comme la culture, les valeurs, l’idéologie, les institutions. Elles conditionnent la capacité à développer une influence sur les autres acteurs afin de les voir prendre des décisions conciliables avec leurs propres intérêts.
Par opposition au hard power, le soft power conçoit la puissance en dehors de tout conflit. Son exercice par un État consiste à influencer des autres acteurs (non-)étatiques. Il s’agit d’une forme de pouvoir dans les relations internationales contemporaines qui ne repose pas sur le mode de la coercition. Mais sur celui de ressources, comme l’attractivité de sa culture et de ses idées, son rayonnement scientifique et technologique.
Instrument de consolidation de la puissance politique
Cet instrument de consolidation de la puissance politique étatique a pour principaux vecteurs des moyens non coercitifs (l’attraction, la séduction, l’influence et la persuasion). Et ses principales ressources sont de nature immatérielle (la culture, les représentations, les valeurs politiques).
Au-delà du modèle que représentent les Etats-Unis en la matière, un pays a bien compris l’outil que pouvait représenter la production et la diffusion internationale des œuvres cinématographiques et autres déclinaisons (comme les séries TV). Il s’agit d’Israël, qui voit à travers ce vecteur un moyen de « redorer son blason international » auprès de l’ « opinion publique mondiale ». Cela est d’autant plus utile que le pays pâtit d’une image largement négative. Les scénaristes de ces séries confèrent donc à Israël une capacité de séduire et de persuader, sans avoir à user de la force ou de la menace. La force des films et séries israéliennes résident précisément à puiser dans tensions et faces sombres de la société (racisme, occupation, poids de la religion et de l’armée, etc.). Et ce, pour tenter de les ériger en « sources de réflexions universelles ».
Vers un nouveau paradigme
Malgré les déceptions depuis 2011, la Tunisie est en phase de mutation. Grâce à une dynamique à la fois interne et transnationale, à l’origine de l’avènement d’un nouveau paradigme. L’onde de choc se poursuit.
Si le « réveil arabe » confirme la complexité et la diversité des clivages territoriaux, sociaux, religieux qui structurent le monde arabe; la signification essentielle de cette séquence historique est de nature immatérielle. Recouvrir la dignité passe par le regard que l’on porte sur soi. Le regard culturaliste et la doctrine du choc des civilisations se trouvent durablement invalidés par l’existence d’Arabes inspirés et mus par des valeurs universelles, telles que la liberté individuelle, la dignité humaine.