Le théâtre des nations propose actuellement le spectacle de la pandémie qui met à nu les ressorts de ce qu’il est convenu d’appeler le sort commun de l’humanité et la solidarité qui alimente les discours de circonstance.
On nous explique même que l’humanité désargentée devra recevoir des miettes de vaccins en circulation, dans l’exacte mesure où les déshérités risquent de contaminer les « généreux donateurs », bien obligés de rester au contact pour les besoins de leurs calculs économiques. Dans l’intervalle, le théâtre de la nation tunisienne ajoute aux aléas de la conscience universelle les encours des épidémies locales, nées et élevées chez nous : l’insignifiance de notre classe politique, toutes tendances confondues.
Les acteurs, en particulier ceux qui jouent du côté du Bardo, n’arrivent pas à se résoudre à l’idée qu’ils jouent un vaudeville de très mauvais goût. A leur décharge, ils redoublent de férocité, probablement parce qu’ils n’ont rien à dire sur l’essentiel. Les marmites sonnent creux quand elles sont vides.
Les mises en scène les plus ubuesques se tiennent le plus souvent à l’ARP, là où l’élite de la classe politique est supposée veiller à la réussite des affaires nationales. Le Parlement assure en effet le plus souvent le bon fonctionnement de la règle qui régit le théâtre classique : l’unité de lieu.
« Les acteurs, en particulier ceux qui jouent du côté du Bardo, n’arrivent pas à se résoudre à l’idée qu’ils jouent un vaudeville de très mauvais goût »
La tragédie nationale commence là, et doit bien avoir un dénouement au même endroit. Personne ne sait vraiment quand aura lieu le dénouement en question, pour la simple raison que les intrigues s’enchevêtrent et que les intrigants sont nombreux. Il y a les accusations d’adultère, les procès pour corruption, les admonestations pour trahisons diverses, et quelques autres embrouilles.
Et pour assurer le spectacle, il y a la statue du Commandeur perché sur la colline de Carthage et constamment sur la brèche pour sermonner les comploteurs de toutes sortes, ceux-là mêmes qui sont accusés de ne rien entendre à ce que « le peuple veut ». Cette antienne est l’une des versions en vogue pour les monologues qui tiennent lieu de projections oiseuses vers l’avenir, réputé indûment meilleur.
Le théâtre national lève frénétiquement le rideau sur des acteurs tenant des rôles de composition, dont le seul fil directeur est la juxtaposition de soliloques tenant de l’absurde.
Il était pourtant prévu que la « révolution » avait pour objectif d’écrire un récit national porté par le rejet de l’inanité de la dictature avec laquelle on avait coupé. Les politiques nouveaux sont arrivés pour chanter presque tous les bienfaits de cette rupture, rupture finalement transformée en cassure avec la raison et le bon sens les plus élémentaires.
« La tragédie nationale commence là, et doit bien avoir un dénouement au même endroit. Personne ne sait vraiment quand aura lieu le dénouement en question… »
C’est ainsi que les mots du récit ont perdu tout leur sens. Ainsi, par exemple, le mot dialogue, composante et fil directeur de tout récit bâti sur le défi démocratique. On avait noté que le lieu légal de ce dialogue, le Parlement comme son nom l’indique, a décliné ce concept en querelles de « joueurs de tambour », comme on dit chez nous. Pour ne pas se sentir en reste, l’UGTT a repris le mot, d’autant plus que la perspective lui avait déjà réussi une fois, prix Nobel à la clé.
Seulement, les politiques de l’autre scène ont probablement pensé qu’ils ne se feraient pas avoir deux fois et ont fait la sourde oreille. Le dialogue s’est donc pratiquement transformé en monologue, même quand la syndicale a amélioré sa copie en annonçant un projet de sauvetage de la Nation en prime.
Et c’est là que réapparait la statue du Commandeur de Carthage dans le rôle et la posture de Lucky Luke, celui qu tire plus rapidement que son ombre. Lui aussi propose « son » dialogue », avec les jeunes précise-t-il, et à travers le parlement des réseaux sociaux.
Ainsi, l’encombrement de la scène du théâtre national tient plus du carnaval grotesque, surtout quand chacun des acteurs soutient mordicus qu’il tient le bon bout du récit à écrire, « la succes story » qui doit, nécessairement, faire un tabac, bien entendu avant de finir en fumée. Et on va encore dire que le théâtre, ce n’est pas du cinéma !