Quels sont les scénarios possibles quant au renvoi pour une deuxième lecture de l’amendement du projet de loi relatif à la Cour constitutionnelle? Jinan Limam, enseignante universitaire à la Faculté des Sciences juridiques, politiques et sociales de Tunis, apporte son éclairage dans une déclaration à leconomistemaghrebin.com.
Jinan Limam souligne comme suit: « En application de l’article 81 de la Constitution, le Président de la République a renvoyé à l’ARP pour une seconde lecture le projet de loi organique portant révision de la loi n°50-2015 relative à la Cour constitutionnelle. Ce renvoi est un moyen de pression juridique du Président sur le Parlement dans le processus législatif. Mais il est important de rappeler qu’il s’inscrit dans le contexte du bras de fer entre le président de la République et la majorité parlementaire qui appuie le gouvernement. »
Reste alors à savoir quels sont les scénarios possibles? A cette interrogation, Jinan Limam indique: « Même si plusieurs scénarios sont envisageables quant à l’aboutissement de ce renvoi. Mais nous n’assisterons probablement pas à un dénouement heureux à l’histoire rocambolesque de la Cour constitutionnelle; du moins jusqu’à la fin de 2024. »
Le premier scénario envisagé par Jinan Limam
Et de poursuivre: « Dans un premier scénario, le veto présidentiel est surmonté avec l’adoption du projet de loi à la majorité des trois cinquième des membres de l’ARP, soit 131 membres. Bien que cette majorité soit renforcée, elle ne représente pas pour autant un obstacle infranchissable. Il est possible de l’atteindre, compte tenu des enjeux politiques qui entourent la mise en place de la Cour constitutionnelle pour la majorité parlementaire; et afin de contrecarrer le Président de la République. D’ailleurs, la force de mobilisation de cette majorité s’est manifestée dans un contexte similaire de confrontation avec le Président. Et ce, lors du vote de confiance des nouveaux membres du gouvernement proposés par Hichem Mechichi en janvier 2021. »
Avant d’ajouter: « Une fois adopté, le projet de loi doit être promulgué par le Président de la République. Puis publié au Journal officiel, qui est une formalité essentielle pour son entrée en vigueur. Néanmoins, le Président peut refuser la promulgation pour affirmer son refus de valider ce texte controversé. Aucune procédure constitutionnelle n’est prévue pour surmonter ce blocage. D’ailleurs, cette situation est survenue en 2019. Et ce, lorsque le Président Béji Caïd Essebsi avait refusé la promulgation du projet de loi portant amendement de la loi électorale. »
Le second scénario
A cet égard, Jinan Limam poursuit ses explications. « Dans un deuxième scénario où la majorité requise n’est pas atteinte, le projet de loi sera enterré; et la loi n°50-2015 reste en vigueur. Dans ce cas, même si l’ARP parvient à élire les trois autres membres de la Cour constitutionnelle présentés par les blocs parlementaires, la capacité de blocage du président de la République reste intacte. Puisqu’il reviendra au président de la République et au Conseil supérieur de la Magistrature de désigner chacun quatre membres. Le président utilisera sans doute cette arme pour mettre fin au processus de mise en place de la Cour; et ce, en boycottant la désignation de ses quatre membres. »
Avant d’ajouter: « Dans cette interminable guerre d’usure, la Cour constitutionnelle ne verra pas probablement le jour d’ici la fin des mandats de l’ARP et du Président de la République en 2024. Ce destin tragique de notre éphémère Cour constitutionnelle est sans doute l’effet boomerang de tant de convoitise, d’instrumentalisation politique et de manigance politicienne. Ils ont accompagné le projet de création de la Cour Constitutionnelle depuis l’élaboration de la constitution de 2014. »
Et de conclure: « Dans un contexte de crise, le recours des uns et des autres à des prérogatives de blocage ou de fuite en avant va accentuer le conflit ouvert entre la majorité parlementaire et le chef du gouvernement d’un côté et le Président de la République de l’autre. Cette stratégie de l’affrontement permet aux adversaires à court terme de marquer des points sur l’échiquier politique. Mais elle aura des retombées tragiques pour le pays sur tous les plans. »