Alors que la Tunisie a lancé sa campagne de vaccination anti-COVID 19 il y a près d’un mois, la pandémie a placé nombre d’Etat face à la question de leur rapport au contrôle du corps humain. Avec en filigrane, l’enjeu de la vaccination obligatoire. Et ce, en plein débat sur les moyens de lutter contre le COVID-19.
Si le corps humain représente un enjeu de pouvoir, il est un objet de « domination » et de régulation pour l’Etat. La notion « biopolitique » érigée par Michel Foucault a pris une dimension aigue avec la crise sanitaire provoquée par la pandémie de la COVID-19. Et notamment avec la mise en place des différents protocoles de vaccination.
Le rapport de l’Etat au corps humain: la question du « biopolitique »
En effet, le « biopolitique » renvoie à l’interventionnisme et au contrôle du pouvoir politique étatique sur le vivant, sur le corps de l’individu. A savoir, notamment, sur son hygiène, sa santé, sa reproduction, sa mortalité, etc. De même que l’application de ses procédures aux populations (et non plus aux individus en tant quel tels).
Historiquement, la « biopolitique » s’inscrit dans une histoire liée à la consolidation de l’État. La fin du XVIIIe siècle marque ainsi le passage d’une « technique disciplinaire » à une technique d’administration étatique visant « l’espèce humaine ». Le maillage politique et administratif du territoire contribue à renforcer la régulation de l’état sanitaire de la population. À la fin du XIXe siècle, avec les effets de la révolution industrielle sur les populations, la fonction régulatoire de l’État en France s’exerce plus largement, à travers notamment la diffusion de la vaccination. Le corps– dans le large éventail allant du droit de vie et de mort sur les personnes aux politiques publiques sur l’hygiène, en passant par la maîtrise-régulation de la reproduction– est l’objet d’une surveillance exercée dans le cadre d’institutions collectives (écoles, prisons, usines, armées).
Aujourd’hui, des puissances économiques privées représentent une source d’emprise sur le corps humain. Transformé en une ressource biomédicale au profit du soin d’autrui (sang, tissus, cellules, etc.) ou de la recherche (sujet d’essai clinique), le corps humain est aujourd’hui soumis aux enjeux de la globalisation du monde scientifique, médical, économique et financier. Si le vivant est devenu un objet d’intérêt des sciences économiques, le développement (du marché) des biotechnologies et de la brevetabilité du vivant engendrent ainsi une « bioéconomie », qui conduit notamment « à une objectivation accrue du corps par la valorisation des données de santé, au risque de sa marchandisation. Ainsi qu’à l’émergence d’une médecine visant à modifier la personne humaine. Or, la compétition économique et scientifique mondiale charrie un risque de glissement du biopouvoir en faveur de multinationales des biotechnologies et de la pharmacie, qui ont intérêt à une vaccination obligatoire…
Peut-on rendre la vaccination obligatoire ?
Toute campagne de vaccination suscite un débat sur l’équilibre entre, d’un côté, les exigences liées à l’urgence sanitaire, à la lutte contre la pandémie et le droit à la santé; et, de l’autre, le respect du consentement libre et éclairé de la personne, ainsi que le respect de l’intégrité physique et de l’autonomie de la personne. En pleine campagne vaccinale contre la Covid-19, ce débat demeure vif en Europe, où la défiance se manifeste encore à l’égard de vaccins élaborés dans l’urgence, en dehors des traditionnels protocoles et procédures.
C’est dans ce contexte que la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) a rendu le 8 avril dernier une décision suivant laquelle, la vaccination obligatoire est « nécessaire dans une société démocratique ». La CEDH considère que l’obligation vaccinale ne représente pas une violation du droit au respect de la vie privée, car « la politique de vaccination poursuit les objectifs légitimes de protection de la santé ainsi que des droits d’autrui, en ce qu’elle protège à la fois ceux qui reçoivent les vaccins en question et ceux qui ne peuvent pas se faire vacciner pour des raisons médicales ». Ces derniers, souligne la cour, sont « tributaires de l’immunité collective pour se protéger contre les maladies graves contagieuses en cause ».
Alors, la problématique du consentement a fait irruption durant la crise sanitaire liée à la pandémie de Covid-19. La lutte contre ce coronavirus a été animée par la problématique de la circulation et du contrôle des corps– à travers notamment le « traçage sanitaire », les campagnes nationales de vaccination et la question de la mise en place d’un certificat « standardisé » de vaccination, voire d’un « passeport vaccinal »– et a ainsi suscité nombre de questions éthiques.
En sus des dispositifs successifs de confinement mis en œuvre, l’exigence de consentement a suscité des débats plus aigus au sujet de la vaccination. Il n’existe pas de consensus entre les règlementations nationales des Etats membres en matière de vaccination obligatoire. En éthique médicale, solliciter le consentement d’une personne, c’est la reconnaître dans son autonomie et ses droits, respecter l’expression de son choix libre et éclairé.
Tandis que l’obligation vaccinale traduit la tension entre la légitimité de l’intervention publique et le respect des libertés et droits fondamentaux. Tels que: le droit à la vie; l’inviolabilité et l’intégrité du corps humain que peut recouvrir le respect à la vie privée; la liberté fondamentale du consentement libre et éclairé du patient.
Notons, enfin, que certaines populations n’ont pas le luxe de pouvoir débattre de liberté de consentir à la vaccination, faute d’accès au vaccin…