A Tripoli et au Caire, le chef de l’Etat, Kaïs Saïed, a su trouver les mots justes pour séduire ses interlocuteurs. Prémices d’une diplomatie qui retrouve enfin ses marques entre les mains d’un maître horloger soucieux de la prééminence présidentielle en matière d’Affaires étrangères?
Par petites touches, Kaïs Saïed est en train de façonner, à sa manière, une frileuse diplomatie tunisienne. Laquelle était longtemps absente de son environnement régional. A cause des tiraillements internes sur ce secteur qui relève du domaine réservé du chef de l’Etat. Et Dieu sait combien elle avait besoin d’un coup de fouet pour retrouver son prestige d’antan. Celui de Mongi Slim et de l’immense Bourguiba.
Visite « historique » de Kaïs Saïed à Tripoli
Déjà à Tripoli, il a eu le mérite d’être le premier chef d’Etat à y faire le déplacement le 17 mars dernier. Et ce, pour féliciter les nouveaux dirigeants fraichement élus. Dans une Libye enfin débarrassée de ses vieux démons et sur la bonne voie de la Conciliation nationale. Une visite qualifiée d’ « historique » par le président du Conseil libyen, Mohamed El-Menfi.
Soutien sans faille aux Pharaons
Au Caire, où il s’est rendu vendredi dernier pour une visite officielle de trois jours, notre Président a su trouver les mots justes. Pour assurer ses hôtes du soutien sans faille de la Tunisie à la position de l’Égypte; dans le différend de plusieurs années qui l’oppose à l’Ethiopie. Et ce, à propos du Grand barrage que ce pays a érigé sur le principal affluent du Nil.
« La Tunisie n’accepte nullement qu’il soit porté atteinte à la sécurité nationale hydraulique de l’Egypte en lien avec la crise du barrage que l’Ethiopie est en train de construire sur le Nil ». Ainsi, affirmait Kaïs Saïed, dans une déclaration de presse commune avec son homologue égyptien Abdelfattah El-Sissi.
Et de proclamer, solennel: « Toute atteinte à la sécurité de l’eau en Égypte est inacceptable. Nous recherchons des solutions justes, mais la sécurité nationale de l’Égypte est la nôtre. Et la position de l’Égypte dans toute enceinte ou instance internationale sera la nôtre. »
Des propos qui ont mis du baume au cœur de nos amis égyptiens. .t une position sans détours, qui explique l’accueil exceptionnel réservé au président tunisien au pays des Pharaons.
Et ce, d’autant plus que la Tunisie- qui avait déjà occupé ce siège à trois reprises en 1959, 1980 et 2000- fait partie, depuis un an et jusqu’au 31 décembre 2022, des dix membres non-permanents de l’ONU. Lesquels s’ajoutent au cinq membres fixes de cette instance (Chine, États-Unis, Russie, France et Royaume-Uni).
Le barrage de la discordance
D’ailleurs, pour comprendre l’enjeu du conflit qui oppose le Caire et Addis-Abeba, il faut se rappeler que géographiquement, le bassin du Nil couvre une superficie d’environ 3,1 millions de km², soit 10% du continent africain. Onze pays se partagent ce bassin: le Burundi, la République démocratique du Congo, l’Egypte, l’Erythrée, l’Ethiopie, le Kenya, le Rwanda, le Soudan, le Soudan du Sud, l’Ouganda et la République-Unie de Tanzanie.
Or, Addis-Abeba qui a édifié le Grand barrage de la Renaissance sur le Nil bleu, envisage de démarrer son remplissage cette année, pendant la saison des pluies. Laquelle coïncide avec le mois de juillet prochain. Et ce, au grand dam du Soudan et de l’Egypte qui refusent évidement cette décision unilatérale.
Pour rappel, ce méga-barrage, d’une contenance totale de 74 milliards de mètres cubes d’eau, est construit dans le nord-ouest de l’Ethiopie. Et ce, près de la frontière avec le Soudan, sur le Nil bleu qui rejoint le Nil blanc à Khartoum pour former le Nil. Avec une capacité annoncée de près de 6 500 mégawatts, il pourrait devenir le plus grand barrage hydroélectrique d’Afrique.
Mais l’Egypte, qui dépend du Nil pour environ 97% de son irrigation et son eau potable, considère le barrage éthiopien comme une menace pour son approvisionnement en eau.
Le Soudan, quant à lui, craint que ses propres barrages ne soient endommagés si l’Ethiopie procède au remplissage complet du barrage avant qu’un accord ne soit conclu.
Pour l’Ethiopie, l’énergie hydroélectrique produite par le barrage est vitale pour répondre aux besoins en énergie de ses 110 millions d’habitants.
Malheureusement, la dernière médiation quadripartite formée par l’Union Africaine, l’Union européenne, les Nations unies et les Etats-Unis s’est achevée mardi dernier par un nouveau constat d’échec.
Bruit de bottes
S’oriente-t-on alors vers une frappe militaire anticipée égypto-soudanaise pour faire face à l’entêtement d’Addis-Abeba à procéder à un second remplissage unilatéral du barrage?
D’évidence, un conflit armé d’envergure opposant deux pays arabes, l’Egypte et le Soudan, à un pays africain, appuyé en sous-main par Israël, ne manquera pas d’avoir des conséquences désastreuses sur toute la région.