Terrible dilemme gouvernemental : n’avoir à proposer, à une large frange de la population, que la perspective d’une mort probable. Les compromis boiteux ne doivent pas faire illusion. Privilégier l’emploi et le maintien de l’activité ne résout pas la totalité du problème.
Ne pas confiner le pays face à la 3ème vague de la pandémie, autrement plus meurtrière que les précédentes, agite le spectre de la mort. Mettre le pays sous cloche pendant 3 ou 4 semaines asphyxie l’économie et tue l’activité, avec son cortège de drames humains.
Nous payons aujourd’hui le prix fort d’un relâchement, d’une insouciance et d’un laisser-faire, laisser-aller. Nous avons, dans l’indifférence générale, déserté le champ de bataille, avant de gagner définitivement la guerre décrétée de sitôt contre la pandémie. Ni les dirigeants, ni les individus n’avaient suffisamment prêté attention aux quelques voix qui nous mettaient en garde contre l’imminence du danger.
« Ne pas confiner le pays face à la 3ème vague de la pandémie, autrement plus meurtrière que les précédentes, agite le spectre de la mort »
L’Etat, pourtant comptable de la santé des Tunisiens, tiraillé qu’il est au sommet, avait d’autres soucis et préoccupations, à mille lieux de la nécessité de faire barrage au virus. Son autorité était piétinée dans la rue, devenue le théâtre d’imposantes manifestations politiques, sociales et sociétales.
Des dizaines de milliers de personnes défilaient – et continuent à le faire – en battant le pavé, sans aucun égard ni respect des mesures barrières. Dire qu’il y a un comité scientifique, qui s’indigne de tout, mais qui ne décide de rien ! Ses membres multiplient les mises en garde, les cris de cœur et les appels à la raison. En vain. Car ils restent sans voix, quand il s’agit de décider des mesures à prendre pour endiguer la pandémie et sécuriser le pays.
Que faire au plus fort de cette 3ème vague, qui menace d’effondrement notre infrastructure hospitalière, frappée de tous les maux ? Décréter un confinement généralisé pour inverser la courbe macabre qui s’emballe, ou signer la mort de ce qui reste de notre tissu de PME/PMI qui fait pâle figure, ébranlé qu’il est par la crise sanitaire et ses répercussions commerciales et économiques mondiales ?
Le chef du Gouvernement a tranché : pas de confinement général, mais un couvre feu problématique, d’efficacité douteuse. A charge pour nos concitoyens de se conformer aux règles sanitaires, pour se garder un tant soit peu du danger.
« Nous payons aujourd’hui le prix fort d’un relâchement, d’une insouciance et d’un laisser-faire, laisser-aller »
Issue biaisée pour éviter une hécatombe annoncée, qui achèverait de pulvériser, – à défaut d’aides et d’indemnisations – des entreprises, des petits métiers et des emplois frappés de précarité qui sont légion.
Cette décision en trompe-l’oeil révèle, à elle seule, l’étendue de l’impuissance gouvernementale. L’Etat n’est plus en capacité d’indemniser les entreprises et salariés en cas de confinement généralisé, c’est-à-dire d’arrêt de production qu’il aura lui-même décrété.
Comment assurer la pérennité de l’emploi et la survie d’entreprises dont le pronostic vital est déjà engagé, s’il faut de nouveau les condamner à l’arrêt ? Le chef du Gouvernement est contraint de choisir entre deux maux, sans qu’il y ait un moindre mal. Le comité scientifique y consent, même si la plupart de ses membres ne font pas mystère de leur désaccord.
Choix cornélien du gouvernement, décision difficile s’il en est, dont il aurait pu se dispenser, s’il avait engagé bien plus tôt, comme il aurait dû le faire, la campagne de vaccination, qui peine à se mettre en marche. Qu’elle ait démarré tardivement contre toute évidence n’aura servi à rien. L’impréparation et l’improvisation dominent dans un pays qui a une longue tradition en matière de politique vaccinale.
Quand sonnera l’heure des bilans, les officiels en charge de la Santé auront à répondre des pertes en trop de vies humaines et des dégâts économiques, sociaux et financiers qui plomberont toute perspective de relance. Il était pourtant clair, dès le départ, que dans la course à la reprise et à la croissance économique, les nations, des plus industrialisées aux moins développées, misaient essentiellement sur leur capacité de vaccination.
Nous avons, pour notre part, manqué le rendez-vous – phénomène récurrent – d’investir dans le vaccin, le meilleur investissement qui soit au plan humain et en termes d’image, d’attractivité et de relance de l’activité.
« L’Etat n’est plus en capacité d’indemniser les entreprises et salariés en cas de confinement généralisé… »
L’absence d’une véritable politique vaccinale nous coûtera plus de 2 points de croissance et quatre à cinq fois plus que ce qu’aurait coûté l’acquisition de vaccin anti-Covid. Sans compter les pertes en vies humaines, qu’il faut bien mettre au débit de l’inconsistance des autorités sanitaires.
Un immense traumatisme humanitaire et un vaste désastre économique et financier dont porteront longtemps les stigmates les activités touristiques, la restauration, le transport aérien. Toutes celles qui n’auraient pas été englouties par ce naufrage. On tremble à l’idée de voir grossir l’armée des chômeurs, des nouveaux pauvres et des laissés-pour-compte.
On ne s’explique pas le peu d’empressement des autorités sanitaires : moins de 150 000 personnes vaccinées en un mois. A ce rythme, il faudrait plus de 5 ans pour immuniser la moitié d’une population qui n’excède pas 11 millions d’habitants. Que dire d’un tel échec ? Sinon que cette
Tunisie, habituée à se battre et à gagner, fait aujourd’hui de la peine. Ailleurs, on en est à passer des commandes de vaccin pour l’année prochaine, par mesure de précaution, n’étant pas assuré de sa durée d’immunité. Ces pays se préparent à vivre avec le virus. Cela vaut mieux pour la sécurité, le moral des individus, l’essor économique et la paix sociale, que de vivre avec la peur du virus, faute d’une véritable politique vaccinale.
Dans l’attente, que faire, sinon se protéger comme on peut : les gestes barrières, le port du masque, la distanciation sociale… Oui et mille fois oui, faute… de vaccin.
Si tant est qu’on ait la volonté et les moyens pour s’y conformer. Mais comment inciter et autoriser les gens à aller travailler dans les conditions qui sont les nôtres ?
« L’absence d’une véritable politique vaccinale nous coûtera plus de 2 points de croissance et quatre à cinq fois plus que ce qu’aurait coûté l’acquisition de vaccin anti-Covid »
Le transport public d’un autre âge est devenu à lui tout seul le principal vecteur de transmission du virus. On ne peut de surcroît nous contraindre à de strictes règles sanitaires, quand des formations politiques, et non des moindres, font de manière ostentatoire la démonstration de leur force. En s’accaparant l’espace public, au mépris de la loi, des règles de droit les plus élémentaires et de l’état d’urgence.
Le temps de l’injonction est révolu. Rien ne se fera désormais sans la force de l’exemple, le devoir d’exemplarité et la cohérence des politiques publiques, quand elles existent. Qu’en ces temps critiques, le vaccin nous fait cruellement défaut, d’aucuns diront que c’est une faute.
Sur le champ de bataille contre le virus, celle-ci se paie déjà avec le sang. Qu’on soit devenu en matière de vaccination, dix ans après la révolution de la dignité, le plus mauvais élève de la classe mondiale, nous fait craindre aujourd’hui le pire. Et nous interroger sur l’état de délabrement de la classe politique.