Réagissant au dernier discours du président de la République au cours duquel il s’est autoproclamé « commandant en chef de toutes les forces armées militaires et civiles », l’icône de la lutte contre l’ancien régime, Ahmed Nejib Chebbi, prévient contre la tentation d’un coup d’Etat constitutionnel « soft ».
Il fonce comme un bulldozer, il bouscule tout sur son passage… Et cela marche. La preuve? En l’absence de la Cour constitutionnelle, le président de la République s’autorisa à interpréter la Constitution à sa manière. Et il osa même s’autoproclamer commandant en chef de toutes les forces armées militaires et civiles. Au grand dam de son ennemi juré, Rached Ghannouchi et de son allié d’occasion le chef du gouvernement Hichem Mechichi. En effet, ils assistaient, médusés, à son fameux discours de dimanche dernier. Et ce, à l’occasion de la commémoration du 65ème anniversaire des forces de l’intérieur. Ce qui fait réagir la classe politique, à commencer par Ahmed Nejib Chebbi.
Un enjeu énorme
Car il faut se rendre compte que dans l’esprit de la Constitution de 2014, la Défense et la politique étrangère font partie du « domaine réservé » du président de la République. Toutefois, l’appareil exécutif est attribué au chef du gouvernement, lequel contrôle de facto le ministère de l’Intérieur. De la sorte, en devenant chef de « toutes les forces armées militaires et civiles », Carthage contrôlera directement ce département stratégique. L’enjeu est énorme! Et les deux têtes de l’Exécutif ont parfaitement compris qu’il s’agit d’un mini-putsch constitutionnel!
Rébellion?
D’ailleurs, un événement d’une extrême importance est passé sous silence. La page officielle des agents de la Direction générale de la sûreté du président de la République et des personnalités officielles, a présenté dimanche 18 avril en cours ses félicitations à tous les cadres et agents des forces de sécurité intérieure FSI. « Avec à leur tête le chef suprême des forces militaires et sécuritaires, son excellence le président de la République ». Cela veut-il dire qu’ils prendront désormais leurs ordres de Carthage?
Et si cette nouvelle allégeance au chef de l’Etat, assimilée à un appel à la rébellion, faisait boule de neige?
Se déclarant choqué par le discours-choc du Président, le porte-parole du Mouvement Ennahdha, Fathi Ayadi, a déclaré que ce discours « empêche le bon fonctionnement des institutions de l’Etat. Il vise à diviser les forces sécuritaires pour mieux les contrôler. Et il menace également la pérennité de l’Etat ».
« Coup d’Etat soft »
C’est de bonne guerre de la part du parti islamiste. Puisqu’il a tout à craindre d’une éventuelle mise sous tutelle par le Président de l’appareil sécuritaire. Mais c’est le président du mouvement démocratique, Ahmed Nejib Chebbi qui s’est montré le plus virulent envers le discours présidentiel. En l’accusant de fomenter un coup d’Etat « soft ».
« Entraver la formation du gouvernement, opposer un véto à la création de la Cour constitutionnelle et annoncer qu’il est le commandant des forces de sécurité intérieure à l’occasion de la commémoration de leur 65ème anniversaire, constituent les prémices d’un coup d’Etat doux ». Ainsi affirme l’avocat et homme politique, dans un post publié sur les réseaux sociaux lundi 19 avril 2021.
Et Ahmed Nejib Chebbi d’expliquer: « Le coup d’Etat n’est pas nécessairement militaire. Mais plutôt une action offensive illégitime visant à s’accaparer les bases du règlement des instances mises en place, leur travail et leurs prérogatives ».
Car aux yeux du militant de gauche et figure de l’opposition au régime de Ben Ali, le président de la République cherche à profiter d’une faille constitutionnelle. Et ce, « pour imposer son hégémonie et rester au pouvoir ».
« Certes, il existe une faille dans la loi de 2015, car elle se limite aux fonctions militaires et diplomatiques du président; sans évoquer les fonctions relatives à la sécurité nationale. Alors que celles-ci ont été attribuées au président de la République par la Constitution.
Cette loi est devenue une loi d’Etat depuis six ans, après son adoption par le Parlement sans aucune objection. Elle ne peut être amendée qu’avec une initiative législative que le président peut soumettre au Parlement.
En revanche, tirer profit des failles existantes dans la Constitution pour imposer son hégémonie et immiscer les institutions de l’Etat dans le conflit politique, est une faute grave dont le président doit rendre compte. Cela peut même conduire à la destitution du président », poursuit-il.
Ahmed Nejib Chebbi appelle au référendum
En conclusion, Ahmed Nejib Chebbi appelle à changer le régime politique. De même qu’à organiser un référendum. Et ce, afin de modifier ce régime « à l’origine du cafouillage au sommet de l’Etat ». Enfin, il propose d’organiser des élections anticipées.
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