Veillées d’armes, mouvements de troupe en tout genre, guerre de mots, prélude d’une guerre totale entre les principaux protagonistes au sommet de l’État. Passé le temps du soupçon, de l’invective, de l’outrage, des menaces sans lendemains et des propos incendiaires, voici venu celui des franches hostilités et des déclarations de guerre. Cet acharnement suicidaire fait déjà vaciller les fondements de l’État ou ce qu’il en reste. Ultime danger, il fera voler en éclat l’unité du pays.
Le président de la République n’en démord pas. Il fait feu de tout bois. Il prend pour cible le chef du gouvernement qu’il a lui-même désigné et le président de l’ARP et chef d’Ennahdha qui l’a fait élire et porter à la tête de l’État. Il n’arrête pas de pilonner ses deux adversaires qui font désormais cause commune. Hichem Mechichi et Rached Ghannouchi pour leur part ne se font pas prier pour riposter en s’autorisant répliques sanglantes, écarts sémantiques, provocations voire menaces de destitution. Il est de ces retournements de situation dont seule l’histoire a le secret. Inutile de refaire le match mais la fin de la partie est terrifiante par l’enchainement d’escalade et de surenchère dont on ne voit pas l’issue.
Dans cette drôle de guerre, tous les coups sont permis. Pas de blessés, pas de rescapés. Le président de la République ne se laisse pas intimider par le tir groupé de ses adversaires passés maîtres dans l’art de la guérilla, du harcèlement et de la déstabilisation. Il est à la manœuvre, crie au complot. Et puise dans l’arsenal juridico-politique ses armes de dissuasion voire de destruction massive. Il prend même soin d’élargir le périmètre de la zone de combat en incluant dans ses prérogatives celles qui sont dévolues au Chef du gouvernement. Chef des armées, il entend élargir son domaine réservé aux forces de sécurité intérieure et de la douane en s’appuyant sur les failles de la Constitution – la
meilleure au monde- ? Qui dit tout et son contraire.
Le pays se divise et se fracture
Il n’en faut pas plus pour réveiller nos vieux démons et de sinistres souvenirs de triste mémoire. Guerre de tranchées et de mouvements pour déloger ses adversaires qui entonnent à leur tour le chant de la légalité constitutionnelle. Et jettent dans la bataille les premiers de cordées et les seconds couteaux, les auxiliaires de services, les mercenaires et jusqu’aux repentis de la 25ème heure. Un lynchage médiatique en règle. C’est le degré zéro de la morale et de la politique aux relents nauséabonds. Jusqu’ à crever le mieux de l’indécence, de l’honneur et de l’incivisme. La suite n’est pas difficile à imaginer : paix impossible et guerre plus que probable dont on mesure les premiers effets au travers de ses dommages collatéraux.
Le pays se divise et se fracture sous le choc des deux têtes de l’exécutif. Comme s’ils voulaient incarner chacun à sa manière deux pouvoirs parallèles. Qui s’excluent et se rejettent au grand dam de la majorité silencieuse au bord de la crise de nerf, poussée outrageusement à l’écœurement et à la démission. Cette large frange de la population a perdu tout espoir de réconciliation et de sursaut national. La maison Tunisie est ravagée par les flammes et les protagonistes continuent au sommet du pouvoir à jeter de l’huile sur le feu. Sans que les dignitaires politiques ne s’en soucient, ne s’en émeuvent ni qu’ils y prennent garde.
Le pays fonce vers le scénario libanais
Il ne peut y avoir deux centres de décisions, deux visions différentes aux commandes d’un même pays au pouvoir centralisé depuis la nuit des temps. Nous avons dépassé toutes les normes les plus dures de cohabitation politique entre les têtes de l’exécutif pour installer les institutions républicaines dans une sorte de guerre larvée. Où cela peut-il nous conduire si ce n’est vers le désordre, le chaos et l’inconnu ? Jamais le pays n’aura connu pareille situation si grave et dangereuse. Il est menacé d’implosion et c’est peu dire. La peur du lendemain et la peur tout court s’installent et s’incrustent à tous les étages et dans tous les recoins de la société. L’économie n’arrête pas de plonger faute de vision, de projet, de confiance, de leadership et de concorde nationale. On ne voit rien venir qui laisse entrevoir le moindre signal d’éclaircie et de reprise à l’horizon. Les investisseurs sans distinction de nationalité fuient le pays qui se désindustrialise et décroche. Le site Tunisie n’offre plus ou très peu d’opportunités de gain faute de compétitivité. Les scientifiques, les ingénieurs, les médecins et les universitaires jeunes et moins jeunes prennent par milliers le chemin de l’exil pour éviter de sombrer dans un naufrage collectif. Terrible saignée pour le pays décimé de surcroît par la pandémie du Covid19 à force de négligence, d’incompétence, d’amateurisme…Le pays fonce à vive allure vers le scénario libanais. Le choc sera terrible. Qui ose encore parler de relance, de reprise et de croissance saine et durable.