Le grand journaliste franco-tunisien Béchir Ben Yahmed tire sa révérence à l’âge de 93 ans. Durant plus d’un demi-siècle à la tête du magazine panafricain « Jeune Afrique », ses éditoriaux et ses prises de position faisaient la pluie et le beau temps dans les chancelleries du continent africain. Retour sur le parcours d’un homme d’exception.
Troublante coïncidence. En dernière révérence à sa passion pour le journalisme, un sacerdoce auquel il fit don de sa personne, Béchir Ben Yahmed, fondateur du magazine panafricain « Jeune Afrique », eut l’élégance de s’éteindre en ce jour de la célébration de la liberté de la presse. Tout un symbole.
Il fut un homme politique influent, journaliste à la plume acérée et patron de presse qui menait ses troupes à l’ancienne. Il s’est éteint hier lundi 3 mai 2021, à l’hôpital parisien Lariboisière, des suites de la Covid-19, à l’âge de 93 ans.
Une seule passion, le journalisme
Très jeune, le natif de Djerba faisait partie, de 1954 à 1956, de la délégation tunisienne négociant l’autonomie interne puis l’indépendance de la Tunisie. A l’aube de l’indépendance, il devient secrétaire d’État à l’Information dans le cabinet du Premier ministre Habib Bourguiba.
D’ailleurs, à 28 ans, le benjamin de l’équipe ministérielle aurait pu embrasser une carrière politique qui s’annonçait prometteuse. Mais, les démons du journalisme le rattrape bien vite.
Ainsi, il fonde l’hebdomadaire L’Action en 1956. Puis, Afrique Action en 1960, qui, un an plus tard, allait devenir Jeune Afrique. Devenant le magazine de référence de l’élite politique, surtout francophone.
Béchir Ben Yahmed avait fréquenté les grands de ce monde
« Témoin privilégié de tous les soubresauts de l’Afrique et du Moyen-Orient, observateur et éditorialiste engagé, Béchir Ben Yahmed a fréquenté tout au long de sa carrière des personnalités déterminantes pour le continent. Du Sénégalais Senghor, de l’Ivoirien Houphouët-Boigny, en passant par le Marocain Hassan II ou encore François Mitterrand.
Dans les années 1960, il avait côtoyé Fidel Castro et Che Guevara à Cuba. Il rencontrait à Hanoï, en pleine guerre du Vietnam, Ho Chi Minh. Il a également bien connu l’Égyptien Nasser, le Ghanéen Nkrumah, le Congolais Lumumba et l’Algérien Ben Bella ». Ainsi, écrivait la direction de Jeune Afrique en hommage à son fondateur.
Découvreur de talents
Sous son regard à la fois sourcilleux mais bienveillant, étant exigeant avec lui-même comme avec ses collaborateurs, cet ami personnel de Pierre Mendes France, était un journaliste à l’intelligence vive, doublé d’un redoutable homme d’affaires. Il sut faire faire émerger, en plus de 60 ans d’existence, des plumes de grande valeur et des journalistes de renom.
Parmi les plus illustres, figurent: le philosophe martiniquais Frantz Fanon; l’écrivain algérien Kateb Yacine; le Libanais Amin Maalouf (Prix Goncourt 1993 pour Le Rocher de Tanios). Et surtout le mythique patron de presse Jean Daniel, fondateur de l’hebdomadaire de gauche Le NouvelObs et grand ami de la Tunisie.
A lui seul, il était une école de journalisme, à l’ancienne. Ces éditoriaux signés « Ce que je crois » nous manqueront.
Paix à son âme.