Le président de la République se retrouve confronté à un choix cornélien. Soit il abdique en promulguant le projet de loi sur la Cour constitutionnelle; soit il fait de la résistance en violation de la Constitution. En risquant ainsi la destitution pure et simple. Mais il semble avoir plusieurs cordes à son arc.
Poussé dans ses derniers retranchements par ses adversaires au Parlement, Rached Ghannouchi en tête, le président de la République pourra-t-il refuser encore de ratifier la réforme de la loi sur la Cour constitutionnelle? Et d’abord, a-t-il le choix?
Camouflet au Parlement
En effet, mardi 4 mai, dans l’hémicycle, il fallait réunir 131 voix pour faire passer cette fameuse réforme de la loi rejetée par le chef de l’Etat et renvoyée à l’ARP pour une seconde lecture. Les islamistes et leurs sbires ont fini par obtenir 141 voix. Soit dix de plus que nécessaire, sans que l’on ne change un seul article de cette loi. Un triomphe pour le cheikh de Montplaisir et un camouflet pour le locataire du palais de Carthage.
Makhlouf: « Tu vas la ratifier de gré ou de force »
Or, il fallait voir l’attitude scandaleuse des députés d’Al Karama. Lesquels profitaient du débat sur la réforme de la loi liée à la Cour constitutionnelle pour défier ouvertement le Président. Ainsi, l’ »imam » salafiste Mohamed Affes le comparait au défunt Moammar Gueddafi, dont la fin est connue de tous. Alors que le sinistre chef de la coalition, Seïf Eddine Makhlouf, menaçait ouvertement Kaïs Saïed. Et ce, en criant: « Essaie donc de ne pas ratifier la loi et tu vas voir! Essaie donc! Tu vas la ratifier de gré ou de force! »
Des propos vociférés en pleine plénière et en direct à la télévision. No comment!
Choix cornélien pour le président de la République
Alors que faire? Soit le Président brandit l’étendard blanc, accepte le fait accompli, abdique et promulgue la loi. Soit il s’entête dans un refus obstiné, en prenant risque d’être destitué pour transgression caractérisée de la Constitution.
D’évidence, la deuxième solution remplirait d’aise les islamistes d’Ennahdha et leurs comparses, débarrassés enfin de leur encombrant rival politique. Mais au fond, le scénario de la destitution ne servirait-il pas les desseins cachés de Kaïs Saïed? Car, avec son insolente cote de popularité aux sondages, ne risquerait-il pas de remporter haut la main la nouvelle élection présidentielle?
Morale de l’histoire: dans cette partie d’échecs, on a tort de crier précocement victoire. Car l’arroseur risque d’être en premier arrosé.
D’autre part, et selon la logique présidentielle, pourquoi changer d’avis et se soumettre au diktat de ses adversaires en signant cette loi? Puisque les députés n’ont pas changé une virgule entre la première et la seconde lecture; alors que la première version a été jugée inconstitutionnelle.
Impasse
Et c’est de nouveau l’impasse au niveau politique, juridique et constitutionnel qui nous guette. Car, toujours d’après la logique présidentielle, le texte de la Constitution avait prévu la création de la Cour constitutionnelle dans un délai d’un an à partir des élections de 2014. Or, sa mise en place aujourd’hui, avec un retard de six ans, est inconstitutionnelle. La solution selon le Président? Modifier la Constitution; or seule la Cour constitutionnelle est habilitée à le faire… Allez comprendre quelque chose dans cet imbroglio juridique!
Le hic c’est que l’alinéa 4 de l’article 81 de la Constitution stipule que « Le Président de la République promulgue les lois et ordonne leur publication au Journal officiel de la République tunisienne, dans un délai n’excédant pas quatre jours à compter de l’adoption sans amendement par l’Assemblée en seconde lecture ». En clair, le Président devra signer avant la date butoir de samedi 8 mai. Le fera-t-il?
La réponse est oui selon le constitutionnaliste Kamel Ben Messaoud. Ce dernier affirmait, hier jeudi sur Shems FM, que le président de la République n’a plus d’autre choix que de signer la loi sur la Cour constitutionnelle et d’autoriser sa publication.
« Le président de la République a renvoyé le texte pour une deuxième lecture et c’est tout à fait son droit. Mais les députés ont choisi de lui renvoyer une version identique en retour. Il est vrai que le président a exercé son droit mais sans respecter la constitution. Car elle lui imposait d’argumenter son retour, ce qui n’a pas été fait. Le président a deux types d’arguments possibles pour renvoyer le projet de loi à l’ARP. Soit des arguments juridiques; soit des motifs politiques. Or, le chef de l’Etat dans sa lettre est resté dans des généralités sans arguments précis comme il aurait dû ». Ainsi, concluait le constitutionnaliste.