La plupart des doctrinaires du développement avait longtemps associé la démocratie, envisagée comme un régime représentatif, pluraliste et compétitif, et la croissance. Laquelle est considérée comme un ensemble de progrès économiques, sociaux et culturels. L’articulation du tandem démocratie-développement a trouvé sa plus belle illustration après la chute du régime soviétique. Et de façon concomitante dans celle des pays de l’Europe de l’Est. Consacrant ainsi le triomphe de la démocratie libérale devenue l’indépassable horizon de notre temps.
Le développement, pour se réaliser, dit-on, doit aussi aller de pair avec la modernisation politique propre au mode de production capitaliste. Or, paradoxalement, l’histoire contemporaine offre de nombreux exemples de réussites économiques enregistrées sous des régimes autoritaires. Ainsi le succès des cinq « Dragons » (Corée du sud, Taiwan, Singapour, et Hong Kong), des cinq « Tigres » (Indonésie, Malaisie, Philippines, Thaïlande et Vietnam), s’est réalisé sur fond de régimes autoritaires. Il doit beaucoup à un contrôle social rigoureux, mais peu à la vitalité du pluralisme politique. Le cas de la Chine demeure jusqu’à ce jour l’exemple édifiant. Avec une croissance à deux chiffres, sans que la démocratie soit à l’ordre du jour, loin s’en faut.
Il n’est pas rare non plus de constater que l’engagement sur la voie démocratique ne s’accompagne forcément pas de progrès économique. Le cas du Pakistan, qui s’est doté de 1988 à 1999 d’un régime démocratique multipartiste, en est l’affligeant modèle. En dix ans, les désordres intérieurs se sont multipliés sous la poussée des mouvements islamistes. La corruption, les pots-de-vin et détournement de l’argent public ont affaibli les institutions. Et l’endettement s’est considérablement alourdi, mettant en péril la démocratie, la gouvernance et les droits de l’Homme. Autant d’obstacles au développement.
Démocratie: un luxe au coût exorbitant
Il y a dix ans, le peuple tunisien était descendu dans la rue pour chasser un président usant d’une autorité absolue. Un élément déclenchant avait précipité des événements que rien ne laissait présager; tant le président Ben Ali paraissait indéboulonnable. Le gouvernement était alors entièrement aux ordres du palais. Le parti-RCD avait le monopole de la vie politique. La direction syndicale était inféodée au régime, la presse était muselée. Quant à l’administration, elle était accablée de passe-droits, sans moyen d’y remédier. Tandis que la rue servait essentiellement à circuler.
D’ailleurs, le pays était suffisamment bien quadrillé par une police omniprésente pour exclure l’idée même d’une jacquerie. L’ordre public régnait, conditionnant le bon fonctionnement de l’Etat et de la société. Certes, la corruption sévissait dans bien des secteurs; mais elle était principalement confinée à l’intérieur de la famille présidentielle, dont les membres raflaient tout.
En ayant fait sauter le dernier verrou institutionnel menant au lancement du processus de développement, les Tunisiens avaient naïvement cru qu’ils allaient rompre irrémédiablement avec cette malédiction qui les a accablés pendant plus d’un demi-siècle. Soit une mauvaise gouvernance et son cortège de manque de transparence, de violation du droit, de népotisme, de corruption; et bien d’autres transgressions qui compromettaient la croissance économique.
Cependant, la paupérisation d’une large frange de la société sous le régime précédent, côtoyant l’insolente richesse d’une oligarchie alliée au pouvoir, n’excluaient pas une certaine modernisation des structures économiques et sociales du pays. Lui permettant de mieux résister aux crises et d’afficher un taux de croissance estimable au point d’être qualifié de bon élève du FMI.
Jusqu’au tournant de janvier 2010, le peuple tunisien s’en remettait pour tout ce qui concerne son destin, politique aussi bien qu’économique, à l’Etat et ses incarnations vivantes, Président et caciques du parti unique. Pauvres et riches partageaient la conscience tranquille d’une destinée sinon prospère du moins viable.
Ainsi rien ne venait perturber leur insouciance du lendemain grâce à un pacte longtemps convenu entre un peuple et les tenants du régime. A savoir: ni débats d’idées, ni contestation politique, ni intérêt partagé pour la chose publique; mais une relative stabilité socioéconomique qui s’accommodait tant bien que mal de la privation de liberté politique assurant ainsi le statu quo. Tout était médité, anticipé, décidé, exécuté par la seule volonté d’une autocratie tout à la fois omniprésente, omnipotente et omnisciente. Dans ce cas, à quoi bon se soucier du lendemain?
« La corruption sévissait dans bien des secteurs, mais elle était principalement confinée à l’intérieur de la famille présidentielle dont les membres raflaient tout… »
On estimait aussi qu’un pouvoir fort ne peut mener à bien la modernisation du pays qu’à l’abri des turbulences sociales. Un régime autoritaire serait alors plus à même d’effectuer des choix en faveur d’investissements productifs plutôt qu’au profit de revendications sociales coûteuses.
En Tunisie, le mois de février 2021 a enregistré plus de 1600 mouvements sociaux. Sans parler de la démagogie des politiciens de tous bords et les scandales indignes qui secouent la représentation nationale, devenue objet de railleries.
Pour attirer les investisseurs trop frileux et qui doivent se montrer sélectifs, la prévisibilité de l’action publique par un régime dominateur est dans ce cas considérée comme plus importante que la reddition de comptes (accountability). Dans un contexte de laxisme et d’irresponsabilité de l’Etat et de ses représentants, tel qu’on l’observe aujourd’hui, la démocratie d’apparat tant acclamée est devenue un luxe au coût exorbitant.
Au départ, et à partir d’un événement abusivement qualifié de révolution, les Tunisiens s’attendaient à voir s’installer une société de liberté. Laquelle aurait pour unique finalité le bien-être social, la prospérité économique et la consécration de l’Etat de droit.
Or, c’est surtout sur le plan politique que le changement s’est produit. De multiples forces se sont rapidement positionnées sur la scène politique pour surenchérir et rivaliser de promesses. Et ce, à l’adresse d’un public pris au piège de son immaturité.
L’euphorie a cédé la place au désenchantement
Dix ans plus tard, l’état du pays est devenu l’incarnation politico-économique de l’absence de compétences. Ainsi que de toutes les règles éthiques, morales ou sociales de ses dirigeants, tous partis confondus. Année après année, l’euphorie a cédé la place au désenchantement. En effet, le chômage persiste et s’aggrave, la croissance tarde à venir, la monnaie s’effondre. Alors que le budget est en déficit permanent, le poids de la dette est devenu si lourd au point de rendre les conditions d’emprunt quasiment insoutenables. Et tandis que l’insécurité s’aggrave et la permanence des inégalités sociales est toujours aussi tenace.
De ce fait, le développement de la culture démocratique et de l’esprit civique s’avère plus malaisés qu’on ne l’imaginait. La scène politique est encombrée de nombreux partis et mouvements politiques. Avec leurs alliances éphémères et contradictoires, leurs initiatives irréfléchies; et leur politique à courte vue pour l’élaboration d’une nouvelle société.
S’estimant parfaitement aptes à assumer la charge pleine et entière du pouvoir, les politiques se plient vite au principe de réalité une fois représentés au gouvernement. Quant au peuple, exclu depuis toujours de toute participation politique active et démocratique, il découvre qu’en fait de démocratie, sa contribution s’ordonne principalement autour de l’acte de vote, sans plus.
Une faillite annoncée!
En dix ans, que reste t-il de toutes les campagnes engagées? Une faillite annoncée. L’Etat n’a jamais réussi à faire preuve de fermeté ni d’autorité nécessaires à la régulation des activités en société. Or, dans tous les secteurs, le besoin de trouver un soutien auprès d’une quelconque autorité est si impérieux que le monde se mettra à vaciller si celle-ci venait à manquer. La démocratie, un refrain répété à satiété que même les islamistes revendiquent, n’a fait que servir de cache-misère pour des rois fainéants qui règnent sur un peuple dont les exigences croissaient à mesure qu’il travaillait moins.
Certes, des campagnes ont été engagées contre la corruption et autres avoirs illicites des élites. Mais on s’était vite rendu compte que la corruption était profondément enracinée dans la culture de la société. D’où le faible impact des réformes de la gouvernance politique de l’Etat. Les acteurs majeurs d’un régime devenu opaque, les bénéficiaires véritables de la corruption, sont toujours installés dans les rouages dominants de l’Etat.
Depuis dix ans sommes-nous devenus plus riches, mieux soignés, mieux transportés, nos enfants mieux éduqués? Nos entreprises sont-elles plus compétitives, nos ingénieurs plus innovants, nos médias plus responsables, nos villes plus propres, notre administration plus performante, nos services publics plus motivés? La justice est-elle plus sourcilleuse, la police plus proche des citoyens, les syndicats moins opportunistes et le patronat moins cupide?
« L’Etat n’a jamais réussi à faire preuve de fermeté ni d’autorité nécessaires à la régulation des activités en société »
Alors que le contenu ordinaire du discours politique trouve sa cohérence par l’insistance sur des thèmes liés aux conditions économiques d’existence; la rhétorique des partis politiques est en revanche aménagée non pas sur les mesures concrètes qu’ils entendent réaliser au bénéfice de la collectivité et pour sortir le pays du marasme, mais plutôt sur ce qu’ils assurent de ne pas entreprendre. Cet effet d’inquiéter en rassurant, dont personne n’est dupe, n’est pas dans la logique démocratique, mais relève de la politique du chaos.
Du sommet du G8 de mai 2011, qui avait permis à la Tunisie alors auréolée pour avoir été l’instigatrice de la révolution du jasmin de se joindre à la table des grands, jusqu’aux présentes et humiliantes négociations avec le FMI, nous n’avions cessé de faire signe aux riches de la planète de notre appétit permanent d’argent frais pour achever la transition démocratique qui ne manquera pas de produire des dividendes. Nous voici enfin libres, mais de la liberté de ceux dont le bol est vide et ne peut servir que de sébile au bon gré de la charité internationale. Nous n’avions jamais cessé de faire entendre le cri des affamés.
Conviés à leur festin, nous avions pris la relève des gueux, regardant avec les mille yeux ardents et abattus ces riches donateurs réfléchir sur ce qu’ils pourraient bien concéder sans trop de risques à ces peuples désormais affranchis, mais non moins acculés à la mendicité. La démocratie a un coût, et pour que cet heureux processus aboutisse, il est nécessaire de lui éviter les écueils de la crise économique voire de la faillite. Autrement dit l’assister.
La raison, de tout temps invoquée par les bailleurs de fonds, était la mise en œuvre de « politiques de développement » en Tunisie. Un rêve d’une croissance auto-entretenue, longuement caressée depuis l’indépendance, mais jamais réalisée. Sauf peut-être pour consacrer un régime autoritaire qui se faisait un point d’honneur de rembourser à temps ses échéances et d’être attentif aux conditionnalités économiques sans égard pour leurs coûts sociaux.
Que les raisons de notre endettement passé aient été structurelles ou simple problème conjoncturel de liquidité, nous sommes toujours à courir pour rattraper notre incapacité absolue de dégager des capacités de remboursement suffisantes pour honorer nos créances. De plus, ces mêmes créanciers, hier encore bien en phase avec les régimes autoritaires, agissent toujours avec le cynisme bienveillant des usuriers. Nous rappelant qu’ils ne sont pas un club de donateurs et qu’il n’est pas seulement question d’aide financière mais de commerce. « Trade, not just aid », comme l’affirmait Obama à Béji Caïd Essebsi en 2011.
« Nous n’avions cessé de faire signe aux riches de la planète de notre appétit permanent d’argent frais pour achever la transition démocratique qui ne manquera pas de produire des dividendes »
Le soutien du FMI et de la Banque Mondiale renvoie toujours à une stratégie à long terme, initiée depuis le président Truman (1884 – 1972). Laquelle liait alors l’aide économique à la lutte contre le communisme. Celle-là même qui continue aujourd’hui à n’envisager la démocratisation et la stabilité du monde qu’à travers le seul prisme du commerce. C’est-à-dire, asseoir des régimes démocratiques dotés d’économies ouvertes au libre-échange. A l’époque du plan Marshall, l’Europe ne s’engageait-elle pas en contrepartie de l’aide à acheter des biens américains et à autoriser les compagnies américaines à investir dans leurs industries?
Nous sommes encore témoins impassibles et débiteurs impénitents, mais jamais satisfaits. Exclus comme on avait coutume de l’être sous Ben Ali, d’un débat sur le bien-fondé de ce colossal endettement extérieur qui sert à nourrir les marchés financiers qui aiment tant la dette parce qu’ils en vivent. Et qui n’ont cure des modes de gouvernement des régimes en place. La meilleure preuve que le capitalisme financier ne s’embarrasse pas de scrupules dès qu’il s’agit de profit, est qu’il s’accommodait bien mieux d’une autocratie qu’aujourd’hui d’une démocratie.
Les bailleurs de fonds s’accordent tous sur une stratégie bien claire. Celle qu’il ne peut y avoir de développement durable sans: stabilité macro-économique; intégration suffisante dans l’économie mondiale; restructuration du secteur public; atténuation concrète de la pauvreté. Et sans donner la place qui convient au secteur privé et à la société civile en général.
Mais le diable est dans les détails, sources de nombreux problèmes. Tels que: le rôle de l’Etat; les entreprises à privatiser; la vérité des prix et ses implications sur le sort des populations vulnérables; la dévaluation monétaire et ses inconvénients; les répercutions du processus d’aide sur le long terme et autres joyeusetés. Mais, plus essentiel, la pérennité des programmes de réformes dépend, avant tout, de la mobilisation des populations concernées.
Dans ce domaine, le modèle asiatique n’est pas transposable, car il est avant tout le fruit du patriotisme, de la détermination et de la volonté des hommes et des femmes et leur engagement au nom de la collectivité nationale. Rappelez-vous en 1998, lors de la crise financière asiatique, lorsque les Sud-Coréens s’étaient rendus dans les mairies avec leur or afin d’en faire don à l’État!
Où en sommes-nous?
Les dettes contractées, quelles que soient leur origine et leur modalité, nous engagent tout en pénalisant les générations futures. Pour l’instant, une fois obtenues, elles nous permettront tout juste d’atténuer les effets de la crise. Mais à quel prix et où en sommes-nous dans ce domaine dix ans après? La Tunisie démocratique, dont la dette extérieure a atteint la barre symbolique des 100 milliards de dinars, soit 100 % de son PIB, doit rembourser quelque 4,5 milliards d’euros sur l’année en cours. Et elle sollicite une rallonge de 5,7 milliards d’euros pour boucler son budget 2021.
Pour ce faire, le chef de Gouvernement et son équipe de farfelus revigorés par la crise, pensaient qu’on pouvait fourguer aux dirigeants du FMI un programme de réformes sous la forme d’un roman de science-fiction. Pour convaincre les créanciers, il suffirait d’inventer un monde alternatif, dont les faits se passent aujourd’hui, mais dans une « dimension parallèle ». L’essentiel étant d’user d’une formulation ronflante et incompréhensible, d’un langage abscons, intermédiaire entre le réel et l’abstrait.
Pour tracer les voies de la richesse, les économistes, auteurs du programme, des monstres linguistiques, usent d’un langage aussi hermétique qu’une marmite construite pour résister à la pression. Bien malin celui qui en déchiffrerait le code secret de ce passage: « […] sachant que la libéralisation financière extérieure avec aussi la mise en place d’un cadre de surveillance macroprudentielle efficient, constituent des prérequis primordiaux pour que l’on puisse définitivement migrer vers un cadre de ciblage explicite de l’inflation ». Bravo!
« Le chef de Gouvernement et son équipe de farfelus revigorés par la crise, pensaient qu’on pouvait fourguer aux dirigeants du FMI un programme de réformes sous la forme d’un roman de science-fiction »
Examinons maintenant le plan d’aide qu’on ne pourra jamais mettre à profit sans compromettre la paix sociale. Il est question, disent-ils en préambule, de mettre en œuvre un ensemble de réformes. Et ce, « afin de restaurer les équilibres macroéconomiques et renouer avec une croissance saine, durable et inclusive ». Renouer, c’est nouer ce qui a été dénoué. Or, il n’a jamais été question depuis l’avènement de la démocratie d’une croissance élevée qui aurait été tout d’un coup interrompue. Son taux ayant été en moyenne de l’ordre de 1.7%. Ce sont simplement là des mots impropres. C’est un choix délibéré quant à l’adéquation du dire à la chose dite.
Un peu plus loin, le mensonge fait place à la langue de bois. Dès lors, on ne voit plus que les mots, derrière lesquels la réalité s’efface, cesse d’être perceptible. « Construire un programme de réformes incluant les meilleures solutions pour réussir la transformation de la Tunisie et réaliser son plein potentiel ». Plus loin, avec toujours la perte de lien direct des mots et des choses, il est écrit :
« Compte tenu des défis et des opportunités qui se présentent, les priorités du Gouvernement pour la période 2021-2024 consistent à:
- Renforcer la résilience de l’économie tunisienne;
- Mettre en œuvre un plan de relance de l’économie soutenable et ambitieux;
- Profiter de cette crise pour accélérer la nécessaire transformation de l’État et de pans importants de l’économie tunisienne;
- Définir un ajustement soutenable des finances publiques favorisant une trajectoire viable de l’endettement public ». Que demande le peuple!
Une fois ce vaste système d’illusions achevé, on passe aux rêveries des auteurs devenus dupes de leur propre fiction que résument trois défis majeurs:
- Transformer le modèle économique pour créer des emplois durables;
- Libérer le potentiel économique et les énergies créatives en démantelant les autorisations et en encourageant la digitalisation;
- Redonner espoir aux Tunisiens en remettant l’ascenseur social en marche (santé, éducation et culture pour tous). Au diable l’avarice!
Pour relever ces défis, le Gouvernement a bâti une approche qui s’appuie sur trois principes:
- Dialogue avec l’ensemble des parties prenantes tunisiennes et internationales;
- Transparence sur la réalité de la situation et les défis à affronter;
- Engagement sur des résultats concrets et tangibles avec un impact pour les concitoyens ». Plus on est de fous, plus on rit!
Interminable crise de la dette
Il existe deux façons principales pour un État de financer ses dépenses: par l’impôt, qui constitue généralement une part essentielle des recettes publiques et conduit à soustraire des ressources à des personnes qui s’apprêtaient à les dépenser utilement; ou par la dette. L’un comme l’autre n’ont jamais rempli correctement leurs fonctions; ni répondu aux attentes des pouvoirs publics.
L’évitement fiscal et la fraude produisent des effets désavantageux sur le financement des services publics De même qu’ils ont un impact défavorable sur la cohésion sociale. En alimentant un système à deux vitesses entre ceux qui ont les moyens d’éviter l’impôt et ceux qui ont l’impression d’être les seuls à s’en acquitter.
Ce sentiment d’injustice affaiblit la légitimité de l’impôt, un des piliers des démocraties modernes. Quant à la dette, le pays est enferré depuis des décennies dans une interminable crise de la dette. Elle est même devenue pour nous une seconde nature et notre principal élément de survie. Elle dépasse cette fois une année de revenu national et les perspectives économiques paraissent gravement assombries par l’absence d’issue visible à la crise de la dette. Dans ce programme, la réforme fiscale occupe une place importante. Dans ce domaine des mesures ont été identifiées pour passer à un système plus efficient qui élargira l’assiette fiscale.
« Le pays est enferré depuis des décennies dans une interminable crise de la dette. Elle est même devenue pour nous une seconde nature et notre principal élément de survie »
Comme il n’y a pas de voie réalisable de réformes sans bâtir le consensus sur la stricte discipline du marché, on impose aux pays débiteurs des remèdes draconiens qui rendent exsangues leurs économies. Et ce, pour le seul profit des marchés financiers et sans se soucier du coût social exorbitant de ces restructurations.
Les réformes majeures proposées seront donc les suivantes:
- La libération de l’économie des pratiques anticoncurrentielles et l’amélioration du climat des affaires;
- L’amélioration des capacités de l’État à collecter et à mobiliser des ressources;
- La refonte de la politique de subventions et des mécanismes de compensation;
- La remobilisation et l’optimisation du rendement de la fonction publique;
- La transformation et la réforme de la gouvernance des entreprises et établissements publics;
- La stimulation de l’investissement et la relance de l’économie.
Pour engager ce processus, le gouvernement propose d’activer l’article 70 de la Constitution et gouverner par ordonnances. La raison? C’est plus commode car cela évite au gouvernement « les effets de congestion de l’agenda législatif; et de réduire les délais et les retards de législation ». Merci pour nos députés!
Maintenant, pour un projet qui propose de dégraisser le mammouth administratif, le programme de réformes propose la création de:
- Agence chargée de la gestion de la dette;
- Agence de fiscalité, de la comptabilité publique et du recouvrement;
- Instance générale de la fonction publique résultant de la fusion de trois instances (DG des services administratifs et de la fonction publique, DG de la formation et du développement des compétences, DG de l’organisation des services publics);
- Agence de participation publique qui favoriserait une meilleure gestion des entreprises publiques;
- Fond de restructuration des Entreprises publiques (FREP).
En outre, un assainissement des finances publiques passe inéluctablement par une maitrise de la masse salariale. Les départs volontaires ou anticipés, le gel des recrutements étant jugés insuffisants. Il ne faut pas craindre d’innover. Mais pour cela, il faut du sang froid, du courage à toute épreuve, de la résolution qui vaudra aux auteurs le succès et la gloire.
Ces experts, qui ne font qu’exercer leur talent, proposent d’engager de nouveaux axes de réformes. Celles-ci ne manquent pas d’audace. Ainsi cette idée singulière qui concerne la mise en place d’un programme de départs volontaires « permettant aux fonctionnaires de conserver 25% des salaires net (plus les cotisations sociales) pour se consacrer à une autre occupation y compris une activité rémunérée (autre que dans le secteur public et les entreprises publiques ». Une start-up, par exemple?
Des effets imprévisibles très dangereux
Enfin, il faut saluer l’engagement des autorités à réduire le coût de la Caisse Générale de Compensation, une réforme révolutionnaire et risquée. Elle n’a jamais pu être appliquée par le passé. Elle mettra ce gouvernement face à des effets imprévisibles très dangereux.
On voit mal en effet comment il serait possible, non seulement de « de passer de la subvention des prix à la compensation des revenus à travers le versement direct de cash aux ménages bénéficiaires en contrepartie d’un ajustement graduel des prix de vente au public », mais aussi d’identifier la population éligible.
Osons, au point où on en est, et puisque nous sommes en état de guerre contre la banqueroute, proposer une solution pratique qui éviterait les fraudes et les abus : l’institution de tickets de rationnement sous forme de bons émis par une caisse créée à cette effet pour permettre à leurs titulaires d’obtenir les denrées au prix du marché. Ainsi, ils payeront le ticket 200 millimes pour l’achat d’une baguette à 630 millimes, le litre de lait à 4 DT, la boîte de tomate concentrée à 6 DT, etc.
Enfin, nos valeureux dirigeants politiques promettent au FMI, à titre subsidiaire, un renforcement du cadre réglementaire et institutionnel de lutte contre la corruption. De même l’enracinement de la culture de la bonne gouvernance qui continuera d’être une priorité importante.
Pour terminer, on voit mal comment avec de tels schémas de pensée ce programme pourrait trouver preneur. Non pas seulement auprès des bureaucrates du FMI, mais également auprès de l’opinion publique. Au moment même où les organes de médiation entre le gouvernement et la population se trouvent plus que jamais dévalorisés et déconsidérés.