Visite officielle ou privée? La brève visite de 48 heures que Rached Ghannouchi a rendue récemment à Doha est passée sous silence dans les médias officiels qataris. Signe que le leader islamiste n’a plus ses entrées dans les hautes sphères du pouvoir au richissime émirat gazier.
« Le premier pas vers le vice est de mettre du mystère aux actions innocentes », disait Jean-Jacques Rousseau. Cette citation s’applique parfaitement à l’énigmatique visite que Rached Ghannouchi a rendue, le week-end dernier au Qatar et qui a fait couler beaucoup d’encre.
Une visite de Ghannouchi sous quelle casquette?
A-t-il effectué cette visite en sa qualité de président de l’ARP, de leader du mouvement islamiste Ennahdha ou à titre personnel? Pour rendre un dernier hommage, disent ses détracteurs, à son mentor politico-religieux, Youssef Karadhaoui. A savoir, le terrible théoricien semeur de discorde entre les musulmans et que l’on dit agonisant entre la vie et la mort?
En tout cas, la présidence de la République ne semble pas être au parfum de cette controversée visite. C’est du moins ce qu’indiquait le porte-parole du palais de Carthage, Walid Hajjem.
« S’il s’agit bien d’une visite privée, qu’il nous revienne en bonne santé. En tout cas, l’occasion est offerte pour rappeler encore une fois que l’Etat n’a qu’un seul président. Et une seule politique étrangère définie par le président de la République », affirmait-il sur les ondes de Diwan FM.
Explications embarrassées
Pour sa part, Ryadh Chiibi, conseiller politique auprès du président du mouvement Ennahdha, apportait des précisions. En effet, il annonçait que son patron « était parti au Qatar pour une visite privée qui n’a aucun rapport avec sa qualité de président de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) ».
Par ailleurs, le député et membre du bureau exécutif du parti islamiste d’Ennahdha Maher Medhioub confirmait vendredi dernier que Rached Ghannouchi avait bien effectué cette visite de deux jours. A cette occasion, il avait rencontré l’émir Temim Ben Hamad. Enfin, qu’il est revenu de l’émirat pétrolier « avec des sommes importantes qui serviront au soutien des finances publiques tunisiennes. Ainsi que pour faire face à la crise sanitaire et aux autres dossiers liés aux intérêts des Tunisiens au Qatar ». Ainsi postait-il sur son compte FB.
Dans une déclaration accordée à une radio locale, le député nahdhaoui et porte-flingue médiatique du président de l’ARP, Maher Madhioub, fanfaronnait que la visite du cheikh à Doha avait permis le décalage du procès du jeune Fakhri Landolsi, condamné à mort au Qatar, à une date ultérieure. Sachant que l’avocat n’est autre que Seif Eddine Makhlouf. De plus, et toujours selon la même source, l’Emir a décidé l’ouverture d’une deuxième école tunisienne au Qatar suite à cette visite.
Enfin, le mouvement Ennahdha se fendait samedi 8 mai 2021, d’un vague communiqué. Dans lequel il saluait le « succès » de la visite effectuée par son leader, Rached Ghannouchi, à l’émirat du Qatar. Le but avancé étant de « consolider la coopération économique et sanitaire entre les deux pays ».
Confusion
Ajoutant de la confusion à la confusion, ce bref communiqué nous laisse sur notre faim. En effet, quid de la nature de cette visite, ses motifs et son aboutissement? Surtout que le dit-communiqué omet totalement de répondre à la question essentielle: Cheikh Temim a-t-il accordé une audience au visiteur tunisien?
Sans équivoque, la réponse est négative. Car, aucune photo, aucune ligne sur cette visite ne figure dans les médias officiels qataris. Lesquels n’omettent jamais d’évoquer la moindre activité ou déclaration de l’émir.
Bouleversements stratégiques
Alors, Rached Ghannouchi aura-t-il été snobé, voire ignoré par les autorités de ce richissime émirat gazier?
Tout porte à croire que Rached Ghannouchi est allé à Doha en quête d’assurance que son puissant et unique soutien et mentor n’a pas l’intention de le lâcher. A l’instar du président turc, Recep Tayyip Erdogan. Lequel, sans état d’âme, n’avait pas hésité à chasser les dirigeants des Frères musulmans de son pays. Et ce, dans le cadre du rapprochement spectaculaire d’Ankara avec Riyad et le Caire.
Ajoutant à cela le bouleversement stratégique dans la région, à la lumière du retour du Qatar au bercail du Conseil du Golfe. Et dans le même temps le dégel de ses rapports avec l’Arabie saoudite et les Émirats-Arabes-Unis. Les pires ennemis de l’islam politique représenté par les Frères musulmans.
Alors, le Qatar laissera-il tomber son obligé tunisien et surtout coupera-t-il le robinet de ses subsides, le nerf de la guerre d’Ennahdha? Ce serait le scénario-catastrophe d’Ennahdha et le pire cauchemar du cheikh de Montplaisir.