Les négociations en vue d’un accord sur un nouveau prêt concédé par le Fonds monétaire international (FMI), le quatrième en dix ans, marque un nouvel épisode dans les tentatives de la Tunisie de s’extirper du marasme économique dans lequel elle est plongée depuis 2011.
Ce prêt aura un coût multidimensionnel pour la Tunisie, même si on ne connait pas encore son montant. En sus de l’engagement d’un plan de réformes structurelles, c’est la souveraineté réelle du pays qui se joue. Mais, pris en tenaille entre des dettes abyssales et un impératif de relance économique, le pouvoir en place a-t-il le choix face au FMI?
En échange du prêt, les autorités tunisiennes s’engagent à mettre en œuvre un vaste programme de réformes économiques soumis au FMI.
Une autre révolution en marche
Ainsi, outre la restructuration des entreprises publiques, deux mesures-phares marquent le dispositif proposé. D’une part, la substitution des subventions des prix des produits de première nécessité par des aides directes aux familles. D’autre part, la réduction de la masse salariale de la fonction publique. L’entrée en vigueur effective de telles mesures constituerait en soi une véritable révolution économique, culturelle et sociale.
Cependant, une telle perspective demeure difficile à imaginer au regard de l’état du paysage social. Il faut ici se remémorer la crise de janvier 2019 d’une ampleur et d’une intensité singulière. La tension et la contestation sociales atteignaient un niveau paroxystique. Ce mouvement se cristallisait alors autour de l’adoption de la loi de finances 2018. Celle-ci prévoyait l’augmentation de la TVA et donc du coût de la vie, mais aussi la création de nouvelles taxes. Le gouvernement amplifiait sa politique d’austérité, alors que le pays était déjà marqué par une inflation galopante.
L’aide du FMI plus que nécessaire
Le gouvernement était déjà pris en étau. D’un côté, la situation des finances publiques plaçait le pays dans une position de dépendance. Et ce, à l’égard du Fonds monétaire international qui conditionnait, à l’époque, sa dernière ligne de crédit de 2,4 milliards d’euros sur quatre ans à la lutte contre le déficit public. De l’autre, les appels officiels à la patience et aux restrictions n’étaient plus audibles par une population au bord de la crise de nerf… Nombre de voix de la société civile exprimait alors la volonté de rééchelonner la dette. Et ce, plutôt que de conclure un nouvel emprunt auprès du FMI.
Aujourd’hui, la situation n’a fait qu’empirer avec les conséquences économiques et sociales de la pandémie de Covid-19. La dette extérieure atteint le seuil fatidique des 100 milliards de dinars, soit près de 100% du PIB. L’aide du FMI se révèle plus que nécessaire. Sauf que le processus enclenché risque de placer le pays sous tutelle, au moins de fait.
L’encadrement de la liberté des Etats
Ainsi, la Tunisie se trouve progressivement dans la situation d’un pays dont une part de sa souveraineté lui échappe. C’est loin d’être un cas isolé. Au contraire, la Tunisie connaît le sort de ces pays qui s’engagèrent sur la voie néolibérale de l’orthodoxie budgétaire; tout en perdant par là une part de leur liberté souveraine.
Des mécanismes d’examen systématique des politiques des Etats se sont multipliés. Et ce, avec le développement des organisations internationales. De même qu’avec l’introduction des mécanismes par lesquels les organes de ces dernières doivent apprécier le comportement des Etats membres au regard de leurs obligations. Les pouvoirs et les techniques d’inspection, de surveillance et de contrôle de l’organisation sur ses Etats membres se sont diversifiés et améliorés. Même si leur efficacité est variable et demeure le plus souvent problématique.
Vers une évolution de la notion de souveraineté d’Etat
Quel que soit leur degré de perfectionnement, ces mécanismes ont pour trait commun d’avoir été institués pour encadrer et obliger les Etats dans un cadre « corporatif » particulier. Ce dernier est constitué par l’organisation internationale à respecter les règles qu’ils ont eux-mêmes librement élaborées et ratifiées.
Outre ce type de contrôle classique, la pratique internationale s’enrichit d’un mode de contrôle qui tente d’échapper aux objections et aux résistances nationales invoquées au nom de la souveraineté de l’Etat. Ce « soft control » de type cognitif ou informatif consiste essentiellement dans la mise en place de mécanismes d’évaluation des politiques nationales au regard des objectifs de l’organisation. Cette approche plus souple et plus large ne vise pas la surveillance et la sanction des (in)actions étatiques au regard de leurs obligations juridiques. Il n’y aurait donc pas d’opposition entre la coopération internationale d’une part et les politiques publiques d’autre part. Mais plutôt une interaction permanente.
Cette idée essentielle se manifestait très tôt au sein de l’OCDE. Sans doute favorisée par l’homogénéité idéologique et économique qui caractérisait cette organisation pendant la guerre froide. Elle transparaît également dans la pratique des rapports au sein de l’Organisation International du Travail.
Ces évolutions illustrent une évolution de la souveraineté de l’Etat, de plus en plus éloignée de sa conception originelle: absolue et sans limite.