Lors de son discours prononcé hier mercredi en présence du chef du gouvernement et du ministre de la Défense, le président de la République, Kaïs Saïed, en a surpris plus d’un. En effet, par un ton nouveau, il coupe avec une certaine rigidité des gestes et de la parole. Décryptage d’un discours new look.
Que reste-t-il de l’intervention télévisuelle du président de la République, Kaïs Saïed, hier mercredi 26 mai 2021? Il recevait, le chef du gouvernement Hichem Mechichi, en charge de l’Intérieur par intérim; ainsi que le ministre de la Défense, Brahim Barteji au palais de Carthage.
Kaïs Saïed, un président « zen »
Au niveau du contenant, les Tunisiens ont eu la bonne surprise d’écouter un Président apaisé, presque décoincé. En effet, il s’est adressé au peuple, oh surprise, dans le langage du peuple. En utilisant le dialectal tunisien et même le français; avec au passage le recours à de délicieux dictons tunisiens. Alors que d’habitude, il s’adressait à ses invités sur un air hautain, le visage fermé, la silhouette rigide, droit dans ses bottes. Maniant un discours pompeux et ampoulé en arabe littéraire d’une autre époque.
A-t-il été coaché cette fois-ci par de vrais professionnels de la com? C’est probable. Enfin, notre Président semble redescendu sur terre. C’est tant mieux, alors ne boudons pas notre plaisir.
Mechichi sous quelle casquette ?
Toujours au niveau de la forme, notons que le locataire du palais de Carthage recevait en audience, pour la première fois depuis des mois, le chef du gouvernement, Hichem Mechichi. Et ce, en présence du ministre de la Défense, Brahim Bartagi. A l’occasion de la cérémonie de décoration d’éléments distingués des forces armées et sécuritaires.
Si Hichem Mechichi était invité en tant que chef du gouvernement, il s’agirait sans doute d’un début de dégel entre les deux hommes. Mais alors que signifie dans cette perspective la présence de M. Bartagi? Sinon que la réception du chef du gouvernement se faisait plutôt en sa qualité de ministre en charge de l’Intérieur par intérim.
Car, selon la lecture présidentielle de la Constitution, en plus des Affaires étrangères, les départements de la Défense et de l’Intérieur font partie de la chasse gardée du chef de l’Etat. Et ce, en sa qualité de commandant suprême des forces armées civiles et militaires.
Rappel à l’ordre
C’est donc probablement dans ce sens que Kaïs Saïed martelait encore qu’il n’y a qu’un seul Etat. Et que chacun devait assurer ses prérogatives, sans empiéter sur celles des autres. Rappelant à l’occasion qu’il n’y a qu’une seule diplomatie tunisienne. Et que les Affaires étrangères relèvent des prérogatives du président de la République.
Pour preuve, le cinglant rappel à l’ordre du chef du gouvernement. Puisqu’il est coupable de ne pas avoir adressé un rapport sur sa récente visite à Tripoli. Où nous apprenons avec consternation et stupeur que le chef de l’Etat n’a pas été informé du contenu et des résultats de la visite importante de Mechichi en Libye. Un disfonctionnement intolérable des rouages de transmission entre les deux têtes de l’Etat.
« Nous sommes partisans de l’harmonie entre les institutions du même État. En dépit de la divergence des opinions, il doit y avoir une coordination complète entre ces institutions ». C’est encore ce que rappelait, à juste titre, le Président.
Et ce n’est pas tout, puisque s’adressant à M. Mechichi en sa qualité de ministre de l’Intérieur par intérim et donc dépositaire de la force publique, le Président déplorait que les forces de l’ordre n’aient pas recherché activement certains députés. Lesquels refusent de se présenter devant la justice sous prétexte de leur immunité parlementaire. A l’instar du mandat d’amener émis contre le député Rached Khiari; lequel reste à ce jour sans exécution.
Coup de griffe
En outre, le Président pointait du doigt la présidence de l’ARP. Car elle continue, selon lui, à protéger ceux qui narguent la loi; et ce, sous couvert de leur immunité parlementaire. Il appelle à l’occasion le Parlement à coopérer et à assumer ses responsabilités. « Certains sont pris en flagrant délit et d’autres sont actuellement en fuite et ceci touche l’Etat tunisien. La justice militaire a les moyens d’agir en un temps record », rappelle-t-il. Faisant allusion au fugitif, Rached Khiari, sans toutefois le nommer.
« Il y a plus de 25 affaires de corruption, de contrebande, de drogue et d’autres affaires qui trainent à l’ARP. Et ce, sans que les personnes impliquées ne soient inquiétées. Ces gens ne sont pas mieux lotis que le commun des mortels. Mais, il s’agit en vérité de garder ces dossiers sous la main pour négocier avec ». C’est ce qu’indiquait Kaïs Saïed d’un ton menaçant.
Dérision
Arrivé au plat de résistance de son discours, le Président à longuement évoqué l’affaire du document fuité par le site londonien Middle East Eye pour la tourner en dérision. « Je ne comprends pas que l’on puisse évoquer un putsch constitutionnel. Un putsch est généralement planifié contre la légitimité et non en se basant sur la Constitution ». Ainsi, explique-t-il en professeur de droit constitutionnel.
Et de conclure avec ironie: « Les soi-disant fuites se succèdent. A ce rythme, on aura bientôt un ministère des fuites. Mais pourquoi accuse-t-on celui qui reçoit le courrier au lieu de chercher celui qui l’a envoyé? »
Du grand art.